mercredi 31 octobre 2012

Routine


Ils sont une dizaine et sont masqués. Normal, c’est l’Halloween. Ils entrent dans la succursale et se lancent sur les tablettes en les vidant des bouteilles qu’elles contiennent. Ils remplissent leurs sacs à dos. C’est la cohue et les clients présents n’en croient pas leurs yeux. Dans leur précipitation, ils en cassent une bonne dizaine. Ils quittent le magasin dès que leurs sacs sont à ras bord. Le tout ne prend pas plus de 45 secondes. 
Après leur fuite, le magasin est dans un état comparable à celui d’un lendemain de tsunami. Le plancher est inondé d’alcool. Des éclats de vitre partout. 
La routine quoi. 

Casting de Fellini au boulot


Ce genre de journée où t’as l’impression qu’un ovni aurait atterri quelque part pas trop loin de ton magasin et que l’équipage au complet se serait donné le mot pour venir acheter des bouteilles. 
La quantité d’énergumènes, de vibrions, de loustics, de pasquins, de mauvais plaisants, d’hurluberlus, de weirdos et d’hétérodoxes qui sont passés dans la boutique, je ne peux même pas les compter. Sans doute les effets secondaires de l’ouragan Sandy. Ou alors la pleine lune. Ou alors les deux à la fois. 

La madame fnouia-fnouia : Cette femme bourrée de tics nerveux et atteinte fort probablement de troubles compulsifs obsessionnels. Sa lèvre supérieure ne cesse de remonter et descendre à une vitesse prodigieuse. En même temps, elle sort sa langue par petites touches rapides. Elle cligne des yeux aussi. On dirait une couleuvre paniquée. Elle se frotte les cheveux 10 fois de suite avant de prendre sa bouteille. Elle replace son collet avec des gestes nerveux tout en se relevant les épaules 7 ou 8 fois de suite. Fuck, elle me fait peur. En plus, elle émet de drôles de de sons. Ça fait «fnouia, fnouina, fnouia». Au Moyen-Âge, c’est certain, elle aurait fini au bûcher. Même aujourd’hui, remarque, ça serait peut-être à considérer. Des fois que ça serait contagieux son truc. 

Le monsieur au moignon : C’est un manchot et comme il faisait chaud cet après-midi, le mec a décidé de porter un t-shirt. Du coup, il exhibait son moignon à tout-va. Bon, c’est vrai, on est dans un pays démocratique et tout le monde a droit de porter des t-shirts. Mais quand t’as un moignon qui dépasse, j’sais pas... ça me trouble. L’allaitement en public, pas de problème. Mais le moignon... pas sûr. Et puis tu voyais que le mec, il était fier de le montrer son putain de moignon. Le genre de gars qui s’est dit en perdant son bras «c’est pas vrai que ça va changer ma vie!» Il avait raison sauf que ça change le quotidien de celui qui se le fait passer sous le nez par contre. On devrait inclure les moignons dans la nouvelle charte sur la laïcité de madame Marois. Pas le droit de signes religieux distinctifs et pas le droit de moignons non plus. C’est que je ne veux pas voir ça moi. C’est dégueulasse un moignon. Mon boulot est déjà assez pénible comme ça. 

La madame poche de patates: Devait avoir une soixantaine d’années. Peut-être plus. Va donc savoir avec les madames poche de patates. Elle portait un genre de robe qui ressemblait beaucoup à une poche de patates. Avec ça, des piercings un peu partout sur le visage dont un entre autres juste au-dessus du menton. Un machin énorme qui me faisait penser à ces anneaux qu’on fout dans le museau du boeuf de labour. Archi horrible le truc. Dans le cou, une chaîne de mauvaise qualité avec au moins une bonne trentaine de bagues et d’anneaux de toutes sortes. Et parlant de bagues, elle en portait au moins deux à chaque doigt, y compris les pouces. Une quincaillerie à elle toute seule. Woodstock generation left over. Elle a sûrement pris beaucoup de drogue dans sa vie. 

Le monsieur à qui il manque un doigt : C’est un monsieur qui lui manque l’index. 

Le monsieur à qui il manque deux doigts : C’est un monsieur qui lui manque l’index et le pouce de la main droite. 

Le monsieur à qui il manque trois doigts : C’est un monsieur qui lui manque le majeur, l’annulaire, l’auriculaire. 

Le monsieur à qui il manque une main : C’est un monsieur qui lui manque la main droite. Au moins lui il porte une manière de ganse en cuir pour en cacher le moignon. 

Note : je ne déconne pas. Il y a dans cette clientèle de Montréal Nord beaucoup de travailleurs manuels et mal payés. Du coup, je croise un tas de mecs - des vieux messieurs à la retraite pour la plupart - à qui il manque un, deux ou trois doigts. Je n’en avais jamais vu autant que depuis que je suis affecté à cette succursale. 
Fin de la note. 

La fille à la bedaine fuckée : Deux pétasses qui viennent s’acheter une liqueur alcoolisée. Pas très jolies et fringuées comme des putes des quartiers mal famés. Sans goût et sans classe. L’une d’elles porte un petit chandail court qui lui remonte bien au-delà du nombril. En principe, ça devrait attirer mon oeil, mais là, c’est tout le contraire. C’est carrément inesthétique à cause de son gros ventre dégueulasse avec plein de petites cavités à cause d’une graisse mal répartie. Elle n’est pas grosse, j’veux dire pas énorme, elle est juste bedonnante et on dirait que c’est encore pire. À quoi elle pense devant son miroir quand elle se fringue comme ça? Elle se trouve bandante? Il y a quelqu’un dans la salle qui pourrait lui expliquer deux ou trois trucs sur l’art d’afficher un charme discret? 

La grosse black avec un cul gigantesque... mais ÉÉÉÉÉÉÉNOOOORME et qui portait en plus un leggings hyper moulant : C’est exactement ça, une black avec un cul prodigieusement gigantesque. Tellement gros que tu pourrais faire tenir dessus un paquebot ou même le siège social de la Goldman Sachs. Je suis dans un quartier à forte majorité haïtienne. Forcément, on a beaucoup de clients blacks et pauvres. Pauvre d’argent et pauvres au niveau de l’éducation et donc, forcément, pauvres au niveau de l’esthétisme ou de la culture en général. Parce que justement, Montréal Nord se trouve à être en plus un quartier pauvre. On aurait l’équivalent pour les blancs dans Hochelaga-Maisonneuve où j’ai habité longtemps. Des grosses blanches qui se fringuent «pitounes» en essayant de ressembler à Britney Spears que c’est à dégueuler, j’en ai croisé des milliers. Mais comme je me trouve dans Montréal-Nord, je dois spécifier que la fille est black. Je le spécifie aussi par cette manière qu’ont les jeunes filles blacks quand vient le temps de s’habiller avant d’aller faire la fête. Ce n’est vraiment pas le même look que les blanches de Hochelaga-Maisonneuve. Par exemple, le leggings hyper moulant est très prisé. Quand la fille est belle, ouais, c’est très attirant. Comme cette black samedi dernier qui avait une taille de déesse et qui était belle comme ce n’est même plus possible d’être belle en ce bas monde. Elle portait une veste de cuir noire et un leggings noir aussi, mais dans un tissu inconnu à mon touché et sur lequel la lumière venait en découper dramatiquement les rondeurs et les Wallons. À couper le souffle! Littéralement. 
Mais la grosse black d’aujourd’hui, c’était autre chose. Un camion de pompier aurait été plus bandant. Deux fesses titanesques qui n’en finissaient plus d’être grosses. Et en plus, avec des trous dedans. Si, si! Des trous! Pas de blague, d’une fesse à l’autre, il y avait un décalage horaire d’au moins six heures. Le temps que ça prend à son mec pour se rendre de l’une à l’autre avec sa main, c’est à peu près le même temps que ça te prendrait pour prendre l’avion, atterrir à Boston, prendre un expresso et revenir à la maison. C’est même plus un cul, c’est le centre de l’univers autour duquel toutes les planètes du système solaire sont obligées de faire leur rotation. Quand elle marchait, t’avais l’impression d’entendre le frottement de la fin du monde. La fin du monde par frottement intensif. C’est grave! Les quatre cavaliers de l’apocalypse dans sa craque, rien de moins les amis. Et en leggings en plus!!!! Mamamiiiaaaa!!! 

Aujourd’hui, j’ai eu droit comme clientèle à ce qui pourrait se rapprocher le plus d’un casting d’un film de Fellini. 

mardi 30 octobre 2012

THALE - Official Trailer


Créature mythique du folklore Norvégien. Je veux voir ce film là!!

L'éléphant et l'Assemblée


Assemblée syndicale ce soir. On y parlait des modifications aux assurances de groupe. L’exécutif arrive et propose un machin. Tu votes pour ou tu votes contre. That’s it. Pas de débats, pas d’échanges, pas de nuances acceptées. C’est ça ou c’est le statu quo. 
Un débat de fond? 
Na! C’est pas le moment. Le temps nous presse. On a la salle jusqu’à telle heure. On en fera un plus tard si l’Assemblée le demande. 

Il faudrait revoir les structures rouillées de nos vieux syndicats et nous inspirer des structures des associations étudiantes. Redonner le pouvoir aux membres et modifier le rôle de l’exécutif. En fait, couper carrément l’exécutif et n’avoir que des portes-paroles qui auraient des mandats très précis décidés démocratiquement par l’assemblée. Oui, ça serait plus lourd, mais fuck, au moins t’aurais l’impression de participer et non d’être un simple numéro passif à qui l’on demande de se prononcer une fois par année par oui ou par non sur des sujets qui mériteraient pourtant d’être approfondis. 

Je n’ai pas voté. Je me suis abstenu. Je trouvais l’exercice particulièrement biaisé. Non pas par malice ou par malhonnêteté de ceux qui étaient en avant, non! Mais simplement par aveuglement. Ils croient en ce qu’ils font et c’est correct. C’est simplement la structure qui me déprime. La manière. La formule. La procédure sclérosée et trop engoncée profonde dans le XXe siècle. On en est plus là fuck! Le patronat s’est adapté au XXIe siècle, il faut que le syndicat en fasse autant. 

J’ai quitté l’Assemblée à la pause, un peu découragé par cette perte de temps et d’énergie. Je le dis et je le répète, nous avons un syndicat qui préfère dépenser fric et temps sur des tournées provinciales pour discuter de la couleur de la salle de bain plutôt que de se préparer pour l’ultime négociation - et du conflit majeur qui risque d’en découler - qui aura lieu dans quatre ans. C’est vraiment décourageant. T’as l’impression d’assister en direct à l’effacement progressif de ton pouvoir de négociation. Plus le temps passe, moins t’auras le temps de former et d’entrainer tes bataillons. Plus de la moitié des membres de ce syndicat n’a même pas connu le dernier conflit de 2004. Dans 4 ans, il ne nous restera plus qu’une poignée de nos vieux loups gris qui connaissent l’odeur âcre des champs de bataille. On n’aura plus qu’une armée de bleus qui n’a jamais été au feu. Disons-le franchement : à ce rythme-là, on s’en va au massacre. 

Je me suis dirigé vers ma voiture en compagnie de la jolie I.. et de sa petite gamine de 5 ans. Elle n’avait personne pour la garder, alors elle l’a amenée avec elle pour la première portion de l’Assemblée. Dans la soirée, et pendant que les grands discutaient de choses que la gamine ne comprenait pas, celle-ci sculptait de la pâte à modeler sur le plancher de la salle de réception. J’ai été la rejoindre pendant que les grands discutaient de la manière d’enculer des mouches. Je lui ai montré comment faire un chouette éléphant avec une trompe qui fait des vagues, de grandes oreilles qui font comme des assiettes et puis une petite queue en tire-bouchon que c’est même pas vrai que les éléphants ont des queues en tire-bouchon, mais que ce n’est pas grave vu que c’est même pas un vrai éléphant. Enfin bref, dans le parking et juste avant de les laisser, la gamine m’a serrée dans ses bras pour me remercier et j’ai trouvé ça vraiment touchant. D’autant plus que sa maman est foutrement belle et qu’elle n’arrêtait pas de lui dire combien j’étais gentil. Quand je me suis engouffré dans ma voiture, et bien à l’abri pour ne pas que la maman m’entende, je me suis entendu dire à voix haute «fuck! mais qu’est-ce qu’elle est belle cette maman-là!» Ses cheveux noirs comme du charbon et son nez en trompette qui te donnerait envie d’être Miles Davis pour une nuit. Ou deux. Ou peut-être même pour quelques mois, va savoir. 

J’ai ensuite roulé doucement vers la maison en sentant ma vieille Tercel toute pourrie se faire balloter de droite à gauche par le vent de l’ouragan Sandy. Dans mon coffre arrière, bien à l’abri des intempéries, j’avais une bouteille de Chardonnay Gran Reserva de la maison Luis Felipe Edwards. Des fois que l’ouragan m’aurait forcé à passer la nuit dans ma voiture.

lundi 29 octobre 2012

LOOPER - Official Trailer


Journée un peu morne à tourner en rond dans la maison. Faire de la bouffe pour la semaine, perdre mon temps, écouter la radio. J’ai commencé à bouger vers 14h30 en quittant la maison pour aller me prendre une marche sur le Plateau. En passant devant une épicerie fine sur la rue Mont-Royal, j’ai acheté une huile d’olive marocaine que je connais bien et qui ne m’a coûté que $8 au lieu $14. Pourquoi si peu cher? Est-ce parce que la proprio est Marocaine et qu’elle passe ses bouteilles en fraude? J’sais pas, mais ce n’est certainement pas moi qui vais la dénoncer. C’est noté dans ma tête. Elle va me revoir la madame, c’est certain. 
J’aurais dû acheter plusieurs bouteilles. Des fois que les prix augmenteraient. 
J’ai continué ma marche vers l’ouest en regardant mon reflet dans chacune des vitrines que je croisais. Ce genre de débordement narcissique me prend quelques fois. J’sais pas pourquoi. À cause des vitrines justement? Ou alors à cause de mon nouveau foulard, un Keffieh palestinien que je rêvais d’avoir depuis au moins 25 ans, mais que je n’osais pas parce que tout le monde en portait? Va savoir. N’empêche, j’avais fière allure dans ces vitrines. 
Enfin, il me semble. 
Devant cette boutique de disques vinyles, je m’arrête comme à chaque fois pour observer et surtout rêver un moment sur les petites guitares miniatures qu’on y vend. Ce sont des bibelots. De reproductions de guitares célèbres d’à peine six pouces de haut. Elles sont toutes là : la Fender Statocaster de Jimmy Hendrix. La Gibson EDS-1275 de Jimmy Page, celle avec laquelle il a composé Stairway to Haven et aussi The Song Remains the Same. La Gibson Hummingbird de Keith Richard sur laquelle il a gratté pour la première fois son mythique riff de Satisfaction. La Rickenbacker de John Lennon, mais fuck, il n’y avait plus la Höfner Violin Bass de Paul McCartney. Vendu sans doute à un Beatlemaniac comme moi. Ça me fait chier un peu, mais en même temps, je n’aurais jamais acheté. Je ne collectionne plus rien. Perte d’argent et perte d’espace dans la maison. Mais n’empêche, elle était toute mignonne cette petite Höfner pour gaucher. 
Je poursuis ma route en tenant dans ma main droite mon sac de plastique qui contient mon huile d’olive marocaine. Je ne sais pas où je vais, mais j’aime ça. C’est la même sensation que de me promener en forêt, mais dans la ville. Le même sentiment de solitude sauf qu’ici, les êtres humains remplacent les arbres. 
Je constate encore une fois une forte population de Français. L’impression qu’un quidam sur deux que j’entends parler sur le trottoir est Français. Pas de doute, la hausse des loyers sur le Plateau, c’est de leur faute. Ils sont débarqués en signant à deux mains des loyers qui coûtaient trois fois le prix parce que c’était encore moins cher qu’à Paris. Résultat : 15 ans après leur déferlement platonien, le prix de nos loyers a rejoint ceux de Paris. 
J’exagère à peine. 
Mais bon, on les aime bien quand même. Surtout les filles. 
Me suis rendu jusqu’à chez Renaud-Bray où j’ai glandouillé pendant au moins une heure sans rien acheter. N’empêche, je suis venu à deux doigts de partir avec un petit bouquin écrit par Anne Goscinny, la fille de. Une petite chose à $12. Une longue lettre à son père. Mais bon, faut que je me contienne. Faut que je me retienne. Faut que j’économise. À la place, je suis retourné sur mes pas et j’ai dépensé un peu de fric à la maison du rôti où j’ai acheté de la viande pour me faire un Tartare. 
Ensuite? Retour à là maison où je me suis remis à tourner en rond. Angoisse et sentiment de perte de temps. Impression de vide. J’ai pris mes cliques et mes claques et je me suis précipité au Mousse Café, question d’avoir l’impression de faire quelque chose de ma journée. J’y ai passé deux heures à ne rien faire. Mais comme j’étais dans un endroit public, ça passait mieux. J’ai lu le Devoir et la Presse d’hier au complet. J’ai voulu appeler G... pour lui demander ce qu’elle foutait, mais j’ai pas osé. Des fois qu’elle penserait que. Y a pas de que justement, mais comme c’est une jolie fille, c’est toujours chouette de passer du temps avec elle. Même si c’est pour le perdre ce temps. Je voulais aller au cinoche. Elle n’aurait peut-être pas dit non. D’ailleurs, elle dit rarement non quand je l’invite. Mais du coup, je me suis dit qu’elle penserait peut-être que. Alors qu’il n’y a pas de que justement. J’sais plus comment faire avec des amies filles platoniques. J’ose plus trop même quand elles sont toujours partantes. 
Je deviens parano à cause de mon âge. 
Du coup, je me suis dit que j’irais tout seul au cinéma. Ça me permettra de choisir le film que je veux sans avoir a faire des compromis à la con pour plaire au goût d’une fille que c’est toujours les mauvais films qu’elles choisissent. J’ai opté pour Looper avec Bruce Willis qui fait un retour en force depuis deux ou trois ans. Je n’avais pas envie de me prendre la tête avec un film en serbo-croate où il est question de la finalité des névroses intérieures. Plutôt envie d’un film d’action avec un tas de mecs qui meurent violemment et au ralenti si possible. 

L’idée de départ de Looper est jouissive. Je ne vous dévoile pas de punch puisque ce que je vais vous dire ici est raconté dans les deux premières minutes du film. Ça se passe en 2044. Une SF rapprochée donc. J’adore parce qu’on a les mêmes repères qu’aujourd’hui, mais avec juste assez de détails fucked up ici et là pour nous dire que mon gars, on est ici dans le futur même si ça ne paraît pas du premier coup d’oeil. 2044 donc. Les voyages dans le temps n’existent pas encore. Mais ça arrivera dans 30 ans, donc en 2074. C’est le crime organisé qui mettra la main sur la technologie. Pour éliminer un mec, il le déplaceront dans le temps, faisant le voyage de 2074 à 2044 pour être abattu sur place dès son arrivée par un «looper», un tueur à gages. Et ça ne traîne pas. Le mec apparaît et bang, l’autre qui l’attendait lui tire une balle à bout portant. Il se débarrasse du corps et c’est terminé. Il ira ensuite se faire payer en lingots d’argents chez un brocanteur singulier, un mec du crime organisé de 2074 envoyé en 2044 pour organiser et gérer les affaires. Le seul hic c’est que lorsque le tueur de 2044 arrive dans sa vie de 2074, les mêmes types du crime organisé l’interceptent et le renvoient en 2044 pour se faire tuer par son double de 2044. Oui je sais, ça semble compliqué, mais ça ne l’est pas vraiment. Le Looper termine sa vie de Looper quand il doit boucler sa boucle, c’est à dire quand son «moi» de 2074 revient en 2044. Il le tue. En fait, il tue celui qu’il sera dans 30 ans. Ensuite, il prend sa retraite et si vous avez bien suivi, il passera 30 ans à dépenser son fric en attendant de se faire enlever par ses patrons et de se faire retourner en 2044 pour se faire tuer pas un autre «moi» de 2044... oui bon, j’avoue que ce n’est pas très clair. Mais au cinéma, c’est très très très compréhensible. 
Si, si!
Alors donc, on suit un mec en 2044 qui sait que tôt ou tard, il devra tuer son moi de 2074. Mais le problème c’est que le jeune de 2044 qui ressemble drôlement à Bruce Willis jeune, ben merde, c’est justement Bruce Willis, le vrai, mais vieux et de 2074 et qui réapparait pour se faire tuer. Mais comme c’est Bruce Willis, le vrai, et même vieux, il ne se fera pas tuer. Et là, l’histoire commence vraiment où le Bruce Willis de 2074 est en cavale en 2044, poursuivi impétueusement par un Bruce Willis jeune de 2044 joué par un Joseph Gordon-Levitt qu’on a joyeusement maquillé pour ressembler au vrai Bruce Willis de 2012\2074, mais jeune. 
Là, je me perds complètement et je ne sais même plus où j’en suis. 
Pas grave, l’idée est géniale. Faites-moi confiance. 
Bon cinéma d’action. 
Histoire pas conne du tout avec deux ou trois rebondissements inattendus. 
Bon, j’avoue que le rythme est ralenti après la première moitié du film. On passe en effet du film d’action à une sorte de mélasse cosmique un peu trop insistante. Comme si les scénaristes avaient manqué de souffle en cour de route. Ou alors qu’ils avaient deux idées fortes qui auraient pu faire deux films, mais que par audace, on s’est obstiné à intégrer dans un seul film. Ce n’est pas tout à fait raté, mais ce n’est certainement pas réussi. N’empêche, c’est un film parfait pour oublier les turpitudes d’une vie où il ne se passe plus grand-chose de nouveau. 

samedi 27 octobre 2012

Je ne connais pas son nom



Il s’est installé devant le magasin et y a passé toute la soirée. J’ignore son nom, ayant oublié de le lui demander. Je sais par contre qu’il a 45 ans, qu’il est natif du Nouveau Bruswick et qu’il a vécu dans le quartier Montréal-Nord il y a une dizaine d’années, à l’époque où il travaillait encore et espérait en des lendemains plus souriants. Il fréquentait une fille qu’il n’a plus revue depuis ces années. Il prenait de la coke à l’époque, mais il est sobre depuis 2 ans. C’est pour ça qu’elle l’avait laissé d’ailleurs. Il voulait la revoir et c’est la raison pour laquelle il se promenait dans le secteur. Il est retourné chez elle pour lui annoncer qu’il était sobre, mais ce fut impossible. Elle est morte depuis deux ans. C’est un voisin qui lui a appris. Enfin je crois. Ce n’était pas très clair et j’avais du mal à tout comprendre ce qu’il disait. Il bouffait la moitié de ses mots. Et puis avec un accent gros comme ça. 
Il a un chien, compagnon de misère, dont j’ignore aussi le nom. Le clebs a dormi toute la soirée à ses côtés. Un chien gentil. Dans son fourbi, il y a toute sa vie qu’il traîne derrière son vélo. Ramassis épars collectés dans les poubelles des gens ordinaires. Et pas que de la merde. Hier par exemple, il a trouvé un machin électronique avec lequel il peut regarder des DVD et écouter de la musique. C’était aux ordures, mais il l’a rafistolé toute la nuit dans un Tim’s en tétant un gros café. Et aujourd’hui, ça fonctionne très bien. Le seul problème, c’est qu’il faut trouver une prise pour brancher son truc. Or ce soir ça tombait bien puisque juste à côté du magasin, sur le mur, il y en a une. Il m’a dit que ça sera parfait pour y passer la nuit, car avant de dormir, il pourra se regarder un film. Ce qu’il doit être en train de faire au moment où j’écris ces lignes (23h40) 

Je ne sais pas son nom, j’ai oublié de le lui demander. Je sais juste que c’est un frère humain dont le hasard n’aura pas fait naître à Westmount ou à Outremont. Je suis certain aussi que son père n’est ni avocat, ni docteur et ni diplomate. Je crois aussi deviner assez bien qu’il est venu au monde dans une famille plus pauvre que riche. Je dis ça comme ça, mais au fond, je n’en sais rien. Je suppute. 
Il a une belle bouille avec des yeux sans malice ni méchanceté. Même que je trouvais qu’il avait une tête d’acteur avec un je ne sais quoi de Liam Neeson dans les traits. 

J’ignore son nom, je disais. Mais je sais qu’il a déjà été un petit gamin comme les autres avec des rêves et des chansons plein la tête. Comme tout le monde, il devait bien connaître une ou deux comptines qu’il se répétait parfois quand il jouait tout seul dans le bac à sable. À sept ans, peut-être qu’il avait une petite amoureuse à qui il a dit qu’il la marierait un jour. À dix ans, peut-être qu’il rêvait d’être pompier ou pilote d’avion. 
J’sais pas, je dis ça comme ça. 
Peut-être que ç’a chié quelque part à l’adolescence. Ou peut-être même avant. 
Dans le berceau peut-être. 
Peut-être qu’il a été abandonné et qu’il a traîné de famille d’adoption en famille d’adoption ce frère humain là. 
Je sais qu’il a un coeur et une tête. Je sais qu’il aime parler aux gens. Je sais qu’il sourit souvent. Je sais qu’il ne m’a pas jugé quand je ne lui ai rien donné dans sa casquette tendue. Je sais surtout qu’il m’a dit «merci» quand je lui ai refilé une clope deux minutes plus tard. Je sais aussi que quand il parle de la pluie ou du temps qui va faire, ce n’est pas pour meubler les conversations, mais bien pour organiser stratégiquement ses déplacements de même que pour choisir adéquatement les endroits où il passera la nuit. Je lui ai suggéré deux ou trois recoins autour de la bâtisse, là où A... avait ses aises et ses habitudes il y a trois ans. A..., c’était le clochard précédent, celui qui quêtait devant le magasin du temps où je n’étais pas encore au syndicat. Mais je me suis abstenu de lui parler de A... de peur de m’échapper et de lui dire qu’il est mort de froid il y a deux ans, pendant une nuit particulièrement froide de janvier. 

jeudi 25 octobre 2012

Le jeune délégué et le vieux dossier


JF est le nouveau délégué d’une autre division. Celle justement où travaille le collègue dont j’ai parlé. C’est un sympathique bleu rempli de convictions (et de naïveté aussi) Mais il ignore encore l’étendue de sa tâche. Avec le temps, il fera sans doute un très bon délégué, mais pour l’instant, il apprend sur le tas comme on dit et ce n’est pas toujours facile. Il croit pouvoir changer les choses en y donnant toute sa bonne volonté. Je l’ai aidé à se faire élire et il me contacte souvent pour avoir des conseils. C’est par lui justement que j’ai appris le retour au travail éthylique du collègue suicidaire. Il voulait des conseils sur la manière de gérer le dossier. Mais de conseils, je n’en avais pas. 
  • Il est mort. Ils vont le passer à la Guillotine. Tu ne pourras juste que l’accompagner à l’échafaud. Je le sais, je suis déjà passé par là comme délégué accompagnateur.  
  • Il y a sûrement une façon d’arranger ça. 
  • Il n’y a pas je te dis. Il est mort et enterré. Cette dernière frasque vient de lui coûter son emploi.  Ça va commencer par une suspension de dix jours aux fins d’enquête, mais la décision est déjà prise. Ils ne le reprendront plus. Tout ce qui va suivre ne sera que de la formalité. Tu vas sans doute recevoir une lettre de convocation vers la fin de la semaine prochaine. Il sera rencontré pour être avisé de son congédiement. Le seul truc que je peux te conseiller c’est de tenter dès maintenant de faire parler l’employeur sur leur intention. Si effectivement ils te confirment le congédiement à venir, prends-les de vitesse et demande à XYZ de signer une lettre de démission. Ça lui permettra d’avoir un dossier vierge pour ses prochaines demandes d’emploi. C’est un vieux truc du Che quand il n’y a plus rien à faire. 
  • T’es-tu sérieux!? 
  • Fuck JF, tu veux l’aider ou pas? 
  • Oui mais il reste le grief automatique en cas de congédiement. Il lui reste une chance devant la Commission des Relations de Travail. C’est jouable. 
  • Ce n’est pas jouable JF. Aucun commissaire ne va lui donner raison. Le mec a accumulé plus d’absences de travail en trois ans que tous les membres de sa division. Il a fucké deux cures coup sur coup. Il n’assistait plus à ses suivis des AA. Il s’est pogné avec tous les directeurs qu’il a côtoyés. Il en a envoyé chier une demi-douzaine en tout. Après sa dernière cure, il n’a pas donné de signe de vie pendant deux semaines. C’est un miracle qu’il soit encore à l’embauche de cette boîte. Ça fait trois ans qu’on le maintient en vie malgré qu’il fait tout pour se faire câlisser dehors. C’est au Che qu’il doit son sursis de trois ans. Dans un monde sans Che, ça ferait trois ans qu’il serait sur le trottoir. On a tout fait pour lui. On a payé ses loyers de retard, on a fait des arrangements avec son proprio, avec son frère à qui il devait des milliers de dollars, on a été le porter deux fois à la porte du centre de désintox Pierre-Péladeau... fuck, je suis même entré par infraction chez lui pour aller le récupérer. C’était à lui de démontrer son désir de garder son emploi. Le premier dossier sur lequel j’ai travaillé quand je suis rentré au syndicat c’était le sien. Et regarde, ça fait quatre ans de ça et c’est encore la même maudite affaire. Le mec, il ne veut pas s’en sortir. 
  • Il est malade. 
  • Oui, il l’est. Mais il ne veut pas s’aider. On a trouvé des places en soin de santé pour lui, mais il a refusé. Alors j’applique ce que sa psychiatre m’a conseillé de faire : je lâche prise. 

Ça fait mal mec? 
Oui bien sûr. Je l’aime bien ce collègue. Je veux dire, le collègue sobre qui s’efface de plus en plus derrière l’autre, le fou qui prend le dessus et qui est sur le point de le tuer. 
Ça fait mal mec? 
Je t’ai dit oui! Ça fait mal. Je suis venu à deux doigts de passer chez lui cet après-midi, après avoir appris la nouvelle. Mais je savais que ça n’aurait rien donné. J’aurais trouvé un mec complètement pété de mauvais alcool et d’antidépresseurs. Il m’aurait déliré ses conneries. Et comme les dernières fois, dès demain, il aurait complètement oublié que je suis passé. Il n’est plus là. 
Ça fait mal mec? 
Bon allez, changeons de sujet. 

La boulangère


Une boulangerie artisanale sur Mont-Royal, juste au coin de Parthenais. Il devait être 16h. Je ne travaillais pas et je revenais de faire des courses. Le soleil se montrait enfin après une journée un peu grise. Je passe devant la boulangerie avec mes sacs de provisions. Je suis chargé comme un mulet. Derrière la grande vitrine, je vois la boulangère qui est assise dans le seul recoin de son commerce où le soleil peut pénétrer, collée à la grande vitrine justement. Il n’y a aucun client. Elle en profite pour prendre un peu de soleil et écrire à la main dans un joli cahier très chic qu’elle tient ouvert sur ses genoux. Elle ne fait pas attention aux passants; dont moi. Je jette un regard sur ses pages ouvertes. Je lis «Acte III» en début de page, suivi d’un début de texte qu’elle travaille au même moment où je passe. 
J’ai trouvé cette image très jolie. 

Ce collègue


Ce collègue, je vous en ai déjà parlé. Alcoolique et dépressif. Dans l’ordre des choses, ce fut la dépression qui l’amena vers l’alcoolisme et depuis les dernières années, c’est l’alcool qui le maintient dans la dépression. Cercle vicieux.  Un type qui se laisse maintenant glisser vers la mort. Ce collègue qu’on a récupéré trois fois après autant de rechutes ou de tentatives de suicide. Ce collègue qui s’endette plus vite que son ombre et qui laisse les factures s’accumuler. Ce collègue qui n’est déjà plus tout à fait sur cette terre. Ce collègue qu’on a déménagé en catastrophe l’été dernier. Ce collègue pour qui j’ai appelé deux fois le 911. Bref, ce collègue était en congé de maladie après une énième rechute. Problèmes d’alcool et problèmes psychologiques. S’était aussi pété la gueule lors de son déménagement. J’étais là, c’est moi qui l’avais ramassé. Commotion cérébrale, fractures aux deux poignets. Trop saoul, il avait dévalé les escaliers intérieurs de son logement avec une boîte de vaisselle dans les mains. Ce collègue donc, il retournait au boulot ce matin après des mois d’absence. Retour progressif comme on dit. Mais bon, ça n’a même pas duré dix minutes. Le directeur l’a renvoyé chez lui. 
Il était saoul. 

C’est l’avant-dernier chapitre de son triste roman. Il en reste un. Le banc de parc ou la mort. Mais avec l’hiver qui se ramène, le premier donnera automatiquement sur l’antichambre du second. 

Un jour, je vous raconterai son histoire. 

Comme hier


On ne se cassera pas plus la tête ce soir et comme hier, je laisse mes doigts se promener sur le clavier comme bon leur semble. Quand on se tape deux 12 heures en ligne, tu ne peux pas faire autrement. Le voudrais-tu que de toute manière tu n’en serais même pas capable. 
Je reprends comme hier donc. Même vin, même trompette de Miles Davis. On ne change pas une combinaison gagnante. 

Ma nouvelle directrice n’arrête pas de se faire demander par les autres directeurs si tout est ok avec moi. «T’es une vedette qu’elle me dit. Je ne sais pas ce que tu leur as fait, mais tout le monde me parle de toi. Ils ne me croient pas quand je leur dis que tout va bien, qu’on s’entend très bien et que tu ne me tortures même pas.»  
Ils sont drôles les autres directeurs. Comme si j’allais me mettre à couper en morceaux une directrice sous prétexte qu’elle est directrice. Ils n’ont pas compris que ce n’est pas contre la direction que j’en ai, mais contre la bêtise et les tripeux de pouvoir. 
Quand t’es con et que t’es au même niveau hiérarchique que moi, ça va. Je peux endurer même si c’est pénible. J’évite, je me tiens loin et ça finit par s’endurer. Mais quand t’es directeur et que ta connerie envenime nos conditions de travail, là ouais, ça risque de faire mal. Et je dois avouer que j’adore faire chier. 
Comme cette connasse la semaine dernière. Directrice nouvellement nommée, ne doit même pas avoir 24 ans. Bon ce n’est pas son âge le problème. Tu peux avoir 20 ans et être brillant. (Gabriel Nadeau-Dubois, Martine Desjardins, Léo Bureau-Blouin, ça vous dit quelque chose?) Mais c'est sa connerie qui est redoutable. 
Un collègue black était sur le point d’être embauché dans un poste à la sécurité au palais de justice. Le poste nécessite le port d’une arme de poing. Donc, enquête préliminaire de la SQ sur ledit pote. Enquête minutieuse auprès de la famille, des voisins des amis, des collègues, des dirigeants et j’en passe et j’en passe. Tout le monde - dont moi - n’a donné que de bonnes références. Tout le monde sauf cette sublime connasse qui a été dire que le pote en question arrivait les 3/4 du temps au boulot en retard. Elle n’a pas mesuré ses mots, elle a dit «3\4» comme on dirait «il arrive parfois en retard» Ce qui est de toute manière totalement faux. Le mec n’a rien dans son dossier. Pas même la moindre mention d’une rencontre informelle avec son employeur. On ne sait pas pourquoi elle a répondu ça, mais toujours est-il que l’enquêteur a sauté sur l’occasion pour retarder son embauche. Le collègue doit maintenant prouver que les allégations de cette connasse sont fausses. (Et je répète : le collègue est black! Donc, il part dès le début avec trois chances en moins que le petit blanc cato franco) Résultat : Lui qui devait faire partie de la première vague d’embauche en novembre, se voit sur le carreau pour les 8 prochains mois, sans même avoir l’assurance de passer ce premier stade de sélection. 
Tout ça par la faute d’une petite connasse incapable de mesurer l’importance de bien choisir ses mots. 
Le Che, délégué syndical et responsable du bien-être de tous ses collègues, était chez moi quand on a appelé cette pauvre conne pour savoir exactement ce qu’elle a dit. Il avait actionné le «main libre», grave erreur parce que je pouvais entendre et surtout répondre. Quand elle a dit au Che qu’elle avait effectivement dit «en retard les 3/4 du temps», j’ai vu le visage de mon ami s’effondrer. Mais diplomate, il a respiré très fort par le nez et il lui a répondu en se serrant les poings : «Bon, ce n’est pas grave... on va essayer de...» C’est là que je suis intervenu parce mon pote de délégué, autant il peut parfois lancer des chaises sur la gueule du  vieux directeur con, autant il peut ménager la pauvre petite directrice nouvellement nommée pour ne pas lui faire peur. Mais là, je trouvais qu’elle ne méritait pas sa retenue. J’ai gueulé très fort pour qu’elle m’entende au bout du fil. 
    • Fuck le Che! Oui c’est grave! Il faut lui dire que c’est grave sinon elle va passer les 40 prochaines années de sa vie à bousiller celle de tout le monde. Elle vient de fucker l’avenir professionnel de Gontrand (nom fictif, on s’en doute) 
puis, m’adressant directement à elle, j’ai poursuivi. 
    • Ostie de tabarnak, qu’est-ce que t’avais d’affaires à aller dire une stupidité comme ça, ciboire! Si ça se trouve, tu viens de fucker la job de Gontrand, tabarnak! Mais c’est quoi ton ostie de problème!
Elle s’étonne de m’entendre, croyant qu’elle avait une conversation privée avec le Che. Elle proteste, tente de prendre un ton autoritaire, mais vacille dans sa prononciation et laisse plutôt échapper une nervosité impossible à contrôler. 
    • J’ai juste voulu être honnête. 
    • Honnête? Honnête sacrament!!? Mais de quoi tu parles? Tu veux vraiment que je sois honnête avec toi? T’es qu’une ostie de conne!
Ça n’a pas tardé. Cinq minutes plus tard, on recevait un appel de la directrice de secteur qui disait que la connasse déposait une plainte contre moi. Menace ou insubordination, je ne me souviens plus. Le Che lui a tout expliqué, mais elle ne semblait pas comprendre et n’en démordait pas. Nous avions menacé une directrice et ça allait nous coûter cher. Mais le Che n’en avait cure, il savait qu’une directrice de secteur ne vaut pas une VP et comme une des VP de la boîte passe toujours par le Che pour régler les conflits internes, il pouvait se permettre de me faire de larges sourires pendant qu’au téléphone, la directrice de secteur y allait de ses remontrances. Après l’appel, on a poursuivi nos démarches pour tenter de trouver une solution pour notre ami et collègue. Entre deux cafés, on se bidonnait des menaces de la directrice de secteur. Elle ne nous toucherait pas. D’ailleurs, elle ne nous a même pas touchés. Même qu’on a une lettre d’un haut cadre qui contredit les dires de la petite directrice connasse. Un cadre de la haute direction qui n’était pas très content de la petite directrice. Un cadre qui se trouve à être plus haut que la directrice de secteur. Un cadre qui a même dit au Che que j’avais eu raison de bousculer verbalement la petite directrice. Et je le connais bien ce cadre. C’est le même qui m’avait suspendu pendant un mois; un tout petit mois qu’ils ont a ensuite décidé de régler hors cours après que le Che eut parlé à la VP. 
Le monde est bien petit. 

mercredi 24 octobre 2012

Premier client


On ne va pas se prendre la tête ce soir. On va juste déposer nos doigts sur le clavier et voir un peu ce que ça donne. Je laisse couler la magnifique trompette de Miles Davis tout en écoutant un petit Pinot Grigio... heu non, c’est le contraire. Faut pas tout mélanger. 
Faut dire qu’après une journée de 12heures au boulot, le cerveau devient un peu comme de la sauce blanche. Ça coule le long des oreilles. Ça tombe sur le plancher. Faut tout éponger ensuite. Sale époque si vous voulez tout savoir. 

Un mec. Le premier client du matin. Il vient pour s’acheter une bouteille de rhum. Sa carte ne passe pas. Une fois, deux fois, trois fois, retiré. Il ne comprend pas. Il gueule, il peste, il accuse la terre entière et même le gouvernement en passant. Pourquoi pas, c’est son droit. Mais en attendant, pas de bouteille mon coco. Faut payer. Ce n’est pas un comptoir de l’Armée du Salut ici. 
Il sort de sa poche une poignée de cochonnerie : factures, boutons de pantalons, bouts de papier, vieux kleenex usagé et dans le paquet de caca, un peu de monnaie et deux billets de cinq dollars tout dégueulassés et tout chiffonnés. Il fout ça sur le comptoir en me regardant comme si je venais de le provoquer en duel. Il fait le fier le con! Donald Trump dans ses pupilles, rien de moins. 
Qu’est-ce que tu veux que je fasse mec? Que je les compte pour toi? T’es malade? C’est ton bac à germes, pas le mien. 
Il s’achète une bouteille de Havana Club, $25.25 Juste à l’oeil, je vois qu’il n’en a pas assez. En plus d’être fauché, il ne sait pas compter. Remarquez que c’est logique quelque part. Généralement, l’un ne va pas sans l’autre. 
Anyway, je reste là, mine de rien, les bras croisés et je prends mon attitude de croupier de casino de Monaco. Hyper respectueux, mais ferme comme le mur de ciment qui sépare l’État d’Israël de ses esclaves palestiniens. Finalement, il comprend que je ne toucherai pas à sa merde. Il commence à compter. C’est long et c’est pénible. Il a le doigt incertain chaque fois qu’il touche  avec hésitation une des pièces de monnaie. On sent qu’il en est à son premier grand travail intellectuel du mois, voire de l’année. Un sou, deux sous, trois sous... ah, tiens, un dix sous... sa main prend ensuite un billet de cinq et il le regarde intensément, comme s’il venait de découvrir un morceau de métal inconnu tombé d’un météorite. Tu comprends finalement qu’il est en train de compter dans sa tête. Ça semble douloureux. Son regard s’embrouille. De la fumée sort de ses oreilles. On ne déconne pas ici... on est face à un grand questionnement intellectuel qui va faire reculer les limites du cerveau humain. $5 + 13 sous, ça fait combien?... fuck, on a le droit de mettre un gros trente secondes pour trouver la réponse. On frise ici les équations qui nous ont mené à la découverte des particules de Bozon. 
T’as envie de dire « Jusqu’à maintenant, ça fait $5.13 Il vous reste donc $20.12 à trouver dans votre merde. Vous aurez beau jongler avec votre petite monnaie, vous n’y arriverez pas. Tout au plus, vous avez 11 dollars et des poussières» Mais lui, il n’en est pas là. Il compte. Deux billets de cinq plantés au milieu d’un tas de sous noirs, ça ne peut pas faire $25.25 Un enfant de sept ans verrait ça du premier coup d’oeil. Mais pas lui. Il prend le deuxième billet de $5 avec un élan d’espoir qu’il ne peut trahir. Il le dépose par-dessus le précédent, juste comme ça, sans doute pour construire une pile de billets qui va de toute manière s’arrêter là. Finalement, il arrive au bout de sa petite monnaie et réalise qu’il n’a que $11.45 Il se met à fouiller sans ses poches et bien sûr, il n’en sort qu’une autre variété de cochonneries non négociables. Il est muet, mais actif. Il veut boire. Il laisse son tas de merde sur le comptoir et me demande d’attendre. Il quitte le magasin, se dirige vers sa voiture. Il revient trente secondes plus tard avec quelques sous de plus. On en est à $12,18 Nous sommes encore bien loin du compte. Il comprend finalement que sa journée commence plutôt mal. Il se retourne alors vers les petits formats et empoigne la première petite bouteille venue. Une Grey Goose de 375ml. 
À $23,75
Il vous en manque monsieur. 
Il ne comprend pas pourquoi. Dans sa tête, puisque le format est plus petit, le prix doit aller en conséquence. Je n’ai pas envie de lui faire le topo des quatre distillations du produit qui demandent une main d’oeuvre accrue. Je sais que ça serait trop compliqué et que de toute manière, il ne comprendrait rien. Mon premier client de la journée est un inculte profond. Il ne sait même pas lire les étiquettes de prix. Je dois gérer un type qui, dans les temps anciens, aurait été chassé du village pour cause de bouche inutile à nourrir. L’évolution humaine et la démocratie relative de nos sociétés permettent maintenant à ces idiots de survivre et de procréer. C’est comme ça. Faut pas en faire un drame. 
Je lui dis que ce n’est pas moi qui détermine les prix, mais il ne me croit pas. Dans sa tête de con, je suis le grand tourmenteur des alcoolos. Je prends finalement les choses en main et je lui balance une bouteille de St-Rémy 350 ml à $11.50 Il pousse de ses deux mains son tas de merde vers moi. J’en retire du bout des doigts le montant demandé. Je lui refile sa bouteille et je lui souhaite une bonne journée. 

lundi 22 octobre 2012

Nirvana - Smells Like Teen Spirit


J’aime Nirvana. Leur rage surtout. 
À l’époque, je m’étais identifié très rapidement à leur musique, à leur style, à leurs angoisses, à leur fougue. Kurt Cobain, le chanteur, avait à peu près mon âge. C’était des mecs de ma génération qui gueulaient à peu près ce que nous aurions aimé gueuler, mais à défaut de micros, nous nous contentions d’en discuter entre nous autour des tables arrosées de bière de ces bistrots qui n’existent plus aujourd’hui. Ils le faisaient à notre place. Nous chantions leurs refrains. Ils étaient habillés comme nous. Je veux dire que comme nous, fauchés au début de leur carrière, ils se fringuaient dans les fripes et autres magasins de vêtements de seconde main. On le faisait par manque de fric, mais aussi un peu par romantisme. Ne pas s’habiller comme les autres, ne pas suivre de mode, rejeter les grandes corporations du vêtement... le problème c’est que lorsque Nirvana est devenu populaire, on a donné le nom de grunge comme dénomination au style esthétique de cette musique et de ses courants inhérents, dont l’habillement. 
Autrement dit, nous les non-mode devenions à la mode. Nous étions «grunge» depuis 10 ans sans le savoir. 
La non-mode devenait la mode. 
Comme quoi tout se récupère ici-bas. 

Quand Cobain s’est tiré une balle dans la tête à 26 ans, ça m’avait foutu un cafard pas possible. Je ne sais pas comment expliquer ça. C’était un peu notre porte-parole qui venait de se flinguer. En même temps, ça rejoignait tellement le mal de ma génération. Pendant longtemps, les mecs nés entre 1960 et 1970 furent les champions toutes catégories dans le domaine pas très rigolo du suicide. 
Pourquoi? 
J’sais pas. C’est un élément connexe de l’histoire de ceux de ma fournée générationelle. Est-ce parce que nous sommes la première génération de l’histoire à se voir plus pauvre et moins bien nantie que la précédente? L’avenir bouché, les contingences de toutes sortes, les emplois délocalisés, les restructurations d’entreprises, la fin des emplois à vie, les familles décomposées et recomposées... 
J’sais pas. 
Mais j’aime Nirvana. 
Leur rage surtout. 

Monasterio De La Vinas, Crianza 2008



Dam! Je suis en train de boire un petit vin à $10 qui me jette par terre. Monasterio De La Vinas, Crianza 2008. Je voulais quelque chose de pas cher, mais de buvable quand même pour faire ma sauce de ragoût. Bon, d’accord, ce n’est pas un Château Cheval Blanc, mais ne soyons pas snob les amis, ce petit vin de semaine torche solide beaucoup de bouteilles qui se vendent à $15 et plus. 
Cépages? Grenache, Tempranillo, Carinena et Cabernet-Sauvignon. Disponible à peu près partout. 
Je déguste en écoutant Nevermind de Nirvana. Mais ça pourrait aussi bien accompagner n’importe quel album des Beatles ou Jacques Brel. 
Vin très versatile comme dirait c'te gars. 

Un souper


Ça faisait deux ou trois fois que j’avais reporté depuis cet été. Un souper chez mon ex. Finalement ça s’est fait ce soir. Et puis ça tombait bien, la petite est maintenant assez grande pour porter les vêtements que je lui avais achetés à sa naissance. Au lieu d’une photo, je la verrais en vrai avec les fringues que j’ai achetées moi-même avec mon argent. 

Quand je parle de la petite, je ne parle pas de mon ex, mais bien de sa gamine. 
Faut suivre merde. 

Ça fait toujours un peu étrange de retourner là-bas, dans ce grand logement qui était à nous et qui est maintenant à eux. Eux, je veux dire mon ex et son copain. Un mec sympa qui ne se trouve pas à être celui qui fut derrière sa décision «de vivre seule pendant un moment pour prendre un peu de recul». 
Me semble, ouais. J’avais des poignées dans le dos à cette époque. L’amour rend aveugle qu’ils disent. C’est pour ça que j’ai décidé de ne plus jamais tomber amoureux, même si je tombe amoureux douze fois par jour. 
Bref, lui qui n’est pas l’autre. Un brave type. Musicien un peu paumé si j’ai bien compris le topo. Il joue et donne des cours de guitare. Se cherche un boulot d’appoint parce que bon, la musique, ça ne paie pas beaucoup. Et puis juste comme ça en passant, j’ai remarqué que le mec, ben merde, il se tape un bas de poitrine qui commence à prendre de l’expansion. Plus vraiment svelte le mec. Même que je dirais pré-gros. Trente ans tout juste. hoooooon.... c’est-y pas malheureux. 
Hé! hé! hé! 
Moi et ma taille de guêpe, moi et mes quasi 50 ans, on regardait ça du coin de l’oeil et on se disait froidement que finalement, body pour body, je ne suis pas si mal que ça à bien y regarder. En plus, sans faire exprès, j’avais enfilé une chemise très baba cool fleurie ouverte sur un t-shirt vintage Paul McCartney engoncé dans un pantalon très chic, très L’Aubainerie, auréolé d’une ceinture de cuir brune un peu défraichie. Très cool le mec, très Mick Jagger tournée 2006 avec la même maigreur du tour de taille en démonstration pour qui veut bien l’admirer, dit-il modestement. 

Moi y en a être maigre malgré mes (presque) 50 balais. 
Moi y en a revendiquer devant mon 32 de tour de taille, comme à mes 18 ans. Viens pas me dire ma belle que tu ne regrettes pas un peu sinon merde, je mets en doute ton sens de l’esthétisme nom de Zeus! Tu m’as laissé pour une demie portion même pas beau, petit, avorton, qui se tapait une gueule de mouche qui aurait été malade à la naissance, qui devait sûrement étrangler des petits chats la nuit, en cachette (salaud!), qui puait grave la carcasse de chien pourri à ce qu’on m’a dit et que même si ce n’était pas lui, c’était donc son frère. Et puis quand il t’a quitté, tu t’es retrouvée devant rien. Abandonnée et triste. Malheureuse! Tu m’avais téléphoné pour me dire qu’il t’avait laissé tomber comme une merde. Qu’est-ce que tu voulais que je te dise? Reviens? Na! Remarque, t’as rien demandé et je n’ai rien proposé. Mais nous avions été prendre un café. Tu pensais que ç’a allait me réjouir. Me réjouir de quoi? Y a rien de drôle de voir une larguée larmoyante, même s’il s’agit de celle qui nous a personnellement largué deux ans plus tôt. J’étais rendu ailleurs, quelque part dans des chemins de brumes que t’avais provoqués. Je n’étais plus celui que tu avais connu, ni celui que je suis devenu. N’empêche, t’avais encore un beau cul. Ça ouais, je m’en souviens. Ensuite, t’as été avec un mec et puis un autre pas longtemps après. Quelque part entre les deux, tu es venue chez moi pour une bouffe qui s’était terminée très tard. Tu n’es repartie que le lendemain après-midi. Drôle d’histoire. Il n’y avait plus d’amour, mais une manière de complicité qui palliait un peu; comme de la colle bon marché étendue sur les morceaux d’une assiette cassée. Ensuite il y a eu ce mec-là, et puis enfin ta gamine. Tes yeux brillent, mais on dirait juste pour elle. Lui, le sympathique pré-gros, il m’a semblé que... enfin, ce n’est peut-être juste qu’une idée. Moi? Si je suis en couple? Tu rigoles! Je t’avais dit qu’après toi, c’était terminé. T’as tué mes dernières naïvetés en t’en allant. J’en ai plus. Terminé la réserve. Moi y en a décidé de crever tout seul, de cette manière ça me laisse libre d’en aimer des milliers. 
Oui bon, des centaines. 
Ok, d’accord, disons des dizaines. 
Même qu’elles sont toutes belles, surtout celles qui sont jolies. Plus de promesses avec les caresses. J’ai appris que ça ne marche jamais. Ou alors juste un temps, mais après ça t’es bon pour l’enfer. L’enfer, je laisse ça désormais pour les autres. Ceux qui pensent s’aimer pour la vie. Les cons! Les tristes cons! Les histoires d’amour finissent mal. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la chanson. D’ailleurs y a pas d’amour ici bas, ou alors celui pour ses enfants. L’amour entre un homme et une femme est un piège à dupes. Une pulsion de primate qui s’est faite verbe avec l’évolution. T’aimes pas une fille, tu veux juste la sauter. Après seulement viennent les émotions. Et ce n’est toujours pas de l’amour. L’amour comme on l’entend n’est qu’une recherche permanente de satisfactions personnelles. Je suis bien avec toi pour ce que tu m’apportes. That’s it. Dès que tu ne m’apportes plus ce bien dont j’ai besoin pour maintenir ma structure biologique à un degré de satisfaction adéquate, je te quitte. Si l’amour existait vraiment, l’habitude serait un mot absent du dictionnaire des couples. Et va pas dire le contraire, c’est la même chose pour les filles. 

Me retrouver dans ce logement je disais. C’est toujours un peu weird. Je le connais comme le fond de ma poche, mais allez savoir, on dirait que ça fait comme dans un rêve. C’est le même logement, mais en même temps, ce n’est plus le même. Ça ne sent plus la même chose. Les meubles ne sont plus disposés comme avant. Des bibelots nouveaux sont apparus sur les tables du salon. Des objets qui rappellent des souvenirs heureux; comme ces coquillages ou ces petits cailloux. Des objets qui rappellent des souvenirs heureux je disais, mais inconnus au bataillon. Ces souvenirs-là ne furent pas construits avec moi. Mais ils reposent pourtant sur des meubles que j’ai touchés quotidiennement. Étrange sensation. Je voyage dans le temps, mais la machine qui m’a ramené dans ces lieux s’est déglinguée pendant le processus. Je suis dans un univers parallèle que je ne connais pas, mais qui me semble en même temps si familier. Je suis confortable dans mon malaise. Je sais exactement où je vais aller pisser, mais quand je me rends dans la salle de bain, tout a changé. Sauf le petit miroir de maquillage que je lui avais acheté du temps où les deux autres occupants de ces lieux, la gamine et son papa n’existaient même pas. Sait-il au moins que c’est dans mon miroir qu’elle se maquille chaque matin pour se faire belle pour lui? Et le machin au plafond de la cuisine, ce truc métallique qui sert à y ranger les coupes à vin et les chaudrons, sait-il que c’est moi qui l’aie posé tout seul avec mes petits doigts? Même que j’avais travaillé fort nom de nom! Je regarde, je scrute, il ne reste plus beaucoup de choses qui étaient là du temps où j’étais encore naïf et pré-largué. La table de cuisine tiens. C’est la même. Mais pas les chaises. La cuisinière est la même. Mais pas le frigo. Les sofas dans le salon, ouais, ce sont les mêmes. Et puis aussi la maman de la gamine; j’ai bien regardé, c’est la même. Enfin, il me semble. 

On est tous dans le salon et on parle de choses et d’autres. La gamine réclame le sein et du coup, merde, je détourne les yeux. Je m’occupe en parlant avec le jeune pré-gros parce que bon, je ne veux même pas donner une chance à la conversation de tourner autour du sujet de l’allaitement avec force démonstration à l’appui. 
Moi y en a pas vouloir avoir une conversation qui tournerait autour des seins de mon ex devant l’autre. 
Je sais, c’est con, mais c’est comme ça. J’assume. 

Bouffe. Rôti de canard et pommes de terre. Le tout mijoté pendant six heures. Un délice. Je m’occupais du vin. Un délice aussi, of course. J’ai joué au sommelier du dimanche, leur donnant un cours rapide sur l’art de déguster. Ça impressionne toujours, même quand on raconte n’importe quoi. 

Ensuite? Rien. On a parlé et discuté autour de la table comme on fait toujours après un bon repas. J’ai regardé à la dérobé le cul de mon ex deux ou trois fois dès qu’elle se levait de table pour aller chercher ceci ou cela. Faut pas m’en vouloir, c’est de naissance. J’adore regarder le cul des filles, surtout ceux que j’ai bien connus. Je voulais comparer avec celui qu’elle avait dans le temps. N’a pas beaucoup changé. Enfin, il me semble. Mais je n’ai pas voulu aborder le sujet, des fois que ça aurait créé des malaises inutiles. 

Je suis sorti de là vers 22h et j’ai roulé doucement dans les rues calmes de Montréal. Un peu nostalgique, c’est sûr. Ça me fait le coup à chaque fois que je la revois, la méchante fille que j’ai tant aimée même si l’amour n’existe pas. Le courant ne passe plus et je n’ai même pas le coeur qui palpite quand je la vois. Y a que de la douce curiosité amalgamée à un restant de complicité. Je n’ai plus envie de la prendre dans mes bras. D’ailleurs le voudrais-je que je ne saurais même plus comment faire. À cause de ses bras à elle maintenant habitués d’entourer ceux d’un jeune pré-gros. Forcément, il y aurait un décalage au niveau de la portée. 

mercredi 17 octobre 2012

le con global


Un type l’autre matin. Je suis seul sur le plancher de vente. Il vient vers moi et me bombarde de question sur le qui-que-quoi-comment du paiement de la carte de crédit. Je réponds du mieux que je peux et au moment où je me dirige vers ma caisse, il prend deux bouteilles de Cognac de la maison Global (de la pisse à 40%) et se pousse en courant. Il me regarde comme un voleur (ce qu’il est finalement) pour voir si je ne vais pas me mettre à courir derrière lui. Mais ma réaction est tout autre. J’explose de rire, ce qui semble le contrarier dans son action. 
Risquer ta réputation pour deux bouteilles de Cognac Global. Faut le faire! Si tu savais petit tata combien tu m’as fait plaisir. Tu m’as débarrassé de deux encombrements que personne ne veut. Du rince-bouche à 40% d’alcool. Si t’avais juste levé la tête un peu à gauche, du côté du petit meuble des spécialités, à deux pas d’où tu te trouvais, t’aurais vu un Rémy Martin Louis XIII à $2 850.00 la bouteille. 
Y en a je vous jure qui n’ont pas oublié d’être cons. 

mardi 16 octobre 2012

Couleurs du temps (suite)


Un jeune client et son pote. Doivent être dans la jeune vingtaine. Deux blacks. Je spécifie simplement pour dessiner plus précisément le contexte. On verra pourquoi plus loin. 
Ils me posent des questions un peu bizarres. Au début, je crois qu’ils viennent pour nous voler. C’est classique. Certains voleurs débutants n’agissent pas autrement avant de procéder. Ils se dirigent vers toi, te bombardent de questions songrenues sur les produits question de t’amadouer. Ensuite, dès que tu as le dos tourné, ils te piquent une bouteille et s’en vont vers d’autres aventures. 
Mais je me trompais. Leur malaise venait du fait que c’était sans doute la première fois qu’ils mettaient les pieds dans un magasin d’alcool et n’avaient aucune idée de ce qu’ils venaient acheter. En fait, c’était pour la copine du plus jeune. Elle lui avait demandé une bouteille de Bailey’s et le pauvre mec ne savait même pas à quoi ça ressemblait. 
Ok, cool. Plutôt sympas finalement. Touchants mêmes. Le jeune premier qui veut faire plaisir à son amoureuse. Le pote est là comme accompagnateur. Ils sont mignons comme tout. Je les aide et les laisse à leurs bouteilles de crème irlandaise. J’ai d’autres clients et je ne peux pas être partout à la fois. 
Arrive ensuite un groupe pas mal allumé. Ils sont bruyants, arrogants, parlent fort en se moquant de tout le monde. Ils sont cinq en tout, un blanc et quatre blacks. Le blanc semble être le plus déjanté du groupe. Le plus énervé, le plus baveux. Il se tape des tatous artisanaux d’un bleu délavé qui lui remontent jusqu’au visage. Une larme tatouée au coin de l’oeil. On dit que dans certains milieux, ce type de tatouage symbolise le regret d’avoir tué une personne. 
Je ne sais pas si c’est vrai, mais assurément, ce n’est pas à lui que j’irais m’informer. 
Ils sont déjà saouls ou gelés. Probablement même les deux à la fois. Le blanc surtout. Z’ont la dégaine typique des petits soldats de gangs de rue qui traînent dans le coin. Pas difficile de deviner qu’ils portent sous leurs vastes manteaux des trucs dont le port est prohibé. J’ai hâte qu’ils paient leurs bouteilles. J’ai hâte qu’ils quittent le magasin. 
Mais voilà que leur regard s’accroche sur les deux jeunots qui farfouillent au loin du côté des bouteilles de Bailey’s. L’un d’eux, le plus timide, celui qui achète la bouteille pour sa copine, porte un blouson rouge et une casquette de la même couleur. 
Grave erreur! 
Notre succursale est située en plein sur la frontière de deux territoires appartenant à deux gangs rivaux. 
Les bleus, et les rouges. 
De toute évidence, les cinq énergumènes sont affiliés aux bleus parce que merde, ils se mettent à invectiver mes deux jeunots, dont le petit amoureux sans défense. 
Le blanc surtout. 
Il parle un patois de ruelle qui se veut plus gangsta que les gangstas blacks qui l’accompagnent. Ceux-ci d’ailleurs sont morts de rire de voir leur soldat blanc inviter mes deux petits clients tout gentils à se faire taillader le bide à coups de couteau. On ne voit pas de lame, ni de canon, ni rien, mais on sait que c’est là, sous leurs putains de vastes manteaux. Le blanc gueule et invective mes deux sympathiques clients. Ceux-ci sont dans la rangée des liqueurs, figés comme deux poteaux de téléphone, morts de trouille. Je ne comprends pas tout ce que le blanc leur crache de part et d’autre du magasin, mais j’entends les mots «bitch», «red», «pussy» et quoi d’autre encore. 
Pas vraiment la prose de Lamartine en tout cas. 
Ni celle de Hugo. 
Ni celle de Neruda. 
Ils s’en vont finalement, mais ne restent pas trop loin devant la porte du magasin. 
Les deux jeunes clients, dont l’amoureux sympathique habillé de rouge de la tête aux pieds, sont morts de trouille. Par la grande fenêtre, ils peuvent voir la bande de barbares piaffer d’impatience en attendant qu’ils sortent. Fuck, le petit jeune sympa risque de se faire mettre un coup de couteau parce qu’il porte du rouge. 
Absurde vous dites?
Tout à fait d’accord avec vous. Mais quand tu vois ce genre de scène de tes propres yeux, tu ne penses pas à l’absurdité de ces choses. Tu penses juste au fait qu’un drame est sur le point de se produire. 
Ils ne veulent pas quitter le magasin et ils ont parfaitement raison. Mettre le pied dehors c’est mettre un pied à l’endroit précis où leur âme peut très bien changer de bord. 
Pour un simple blouson rouge!! 
Mon collègue décide d’appeler les flics. Au même moment, un autre client - black - qui était à la caisse et qui n’avait rien manquer de la scène, laisse sa bouteille sur le comptoir et sort du magasin à courant. Il se dirige vers la bande de cons et les informe sans doute du coup de téléphone que mon collègue est en train de donner. Tout de suite après, les loups s’engouffrent dans une voiture et démarrent à toute allure. 
Le chemin est libre. 
Ce client-là, qui n’était même pas avec les barbares, et allez savoir pourquoi, s’est senti obligé d’aller les prévenir de l’arrivée possible des flics. 
Mes deux jeunes clients paient la bouteille et déguerpissent en marchant rapidement comme s’ils avaient envie de chier. 
Même que si ça se trouve, le petit jeunot tout habillé de rouge l’avait fait depuis un bon moment.