lundi 31 mars 2014

Notes perdues

Dans les textes perdus de mon ordinateur volé, il y avait ces milles détails concernant tes sept journées passées en septembre. Pour ne pas oublier, j’avais pris l’habitude de noter chaque jour des petits flashs de ta présence qui, chacun à leur manière, représentaient des micros instants de bonheur. Ça allait du saucisson de ton papa accroché au mur de ma cuisine en passant par ton écharpe qui reposait sur le dossier de ma chaise de cuisine.
Ne crois pas que j’ai oublié le Chablis que tu as apporté ! Ni ton CD de musique enregistré par ton band. Ni l’espèce de fromage fucked up super bon qui va au four avec des pommes de terre. Tout ça était noté.
Tu ne t’en doutes pas, mais quand tu ronflais encore le matin et que je me levais avant toi, je dégustais mon premier café en notant ces petits chefs d’œuvres de félicité. J’aimais découvrir tes chaussures reposant dans un recoin de mon logement. Ça me remplissait de bonheur et les sachant éphémères dans leur indolente position, je m’en remplissais les yeux et le coeur pour m’en remémorer plus tard le bien être de les avoir eu sous mon toit, aussi à l’aise que si elles avaient été chez elles.
J’avais noté notre halte sur ce banc de bois géant près du métro Mont-Royal. Il faisait beau et chaud pour la saison. Je me souviens de la glace au yaourt gelé que tu avais mangé là. Moi j’avais pris vanille enrobée de chocolat. Je prends toujours ça. Si on se mariait un jour, tu finirais par me le reprocher. C’est pour ça qu’il ne faut jamais nous marier, pour que l’on puisse toujours manger ensemble vanille-chocolat et toi yaourt gelé.
J’avais noté toute ta conversation sur le marbre des Pyrénées, ta spécialité. Nous étions sur le balcon arrière, la soirée était un peu fraîche tu avais sur les épaules un châle de laine et nous buvions du vin blanc. Sans doute ton Chablis d’ailleurs. J’avais mémorisé les termes et les techniques et que je m’étais empressé d’écrire ensuite pour ne pas les oublier. Je trouvais surréaliste ce moment alors que j’étais en extase devant une fille qui me racontait la différence profonde entre le marbre des Pyrénées et celui de la grotte du Korallgrottan en Suède. Quand j’étais ado, je n’aurais jamais pu penser qu’un jour, je tomberais éperdument amoureux d’une fille qui dirait des mots aussi peu sensuels que Korallgrottan. T’as ce pouvoir là sur moi, méchante fille !
Et puis ce matin-là où j’étais à la table de ma terrasse avec un café et que je t’avais vu sortir de la maison, les cheveux encore mouillés parce que tu venais de prendre ta douche. Tout sourire, (comme toujours) tu m’avais invité à aller prendre un petit dej. « C’est moi qui rack ! » Dans ton jargon, ça voulait dire que tu payais. On s’était ramassé dans un endroit pourri sur une terrasse où il faisait chaud. Le menu ressemblait à une trappe à touriste. Tu m’avais dit « on se casse? » On a tout laissé en plan et comme deux voleurs, on s’est poussé du resto après avoir commandé je ne sais plus quoi mais qui coûtait trop cher. Est-ce cette fois là que nous avions terminé notre marche à la binerie Mont-Royal? Ça se mélange déjà dans ma tête, fuck.

Putain de voleur de merde. Me fait chier celui-là.
J’ai perdu ces notes. J’avais le vague projet de m’en faire une manière de récit en détaillant au microscope chaque élément de toi qui m’avait fait triper. J’aurais pu facilement faire 300 pages. Va savoir pourquoi, je n’ai pas sauvé mon document sur une plateforme de protection.
Je n’ai pas sauvé ça!
Comme je m’en veux!

J’avais noté dans ce document mon stress à l’aéroport en t’attendant. La crainte absurde de ne pas te reconnaitre, des fois que tu serais devenue obèse ou juste radioactive avec un bras dans le front. C’est le genre de conneries auxquelles je pense quand je suis nerveux. Et puis aussi à la manière de te serrer dans mes bras. Fort? Pas fort? Juste un peu? Comment on fait après 1 000 ans? Et puis les bises!! Eh merde, les bises! Une? Deux? Ou trois? Voilà un moment clé qu’il faudra gérer avec tact tout en laissant une porte à l’improvisation. Et puis elle, va-t-elle me reconnaître? C’est que j’ai attrapé la cinquantaine aiguë depuis la dernière fois. Putain j’aurais dû me faire couper les cheveux !
Je t’ai vu sortir de la foule avec tes deux sacs à dos, l’un au dos, l’autre par devant. Tu ressemblais à une petite tortue coincée dans sa carapace. Jolie la tortue, ça c’est sûr ! En me voyant, ta bouche a dessiné cet impossible sourire qui n’appartient qu’à toi et qui m’avait si souvent tué naguère, du temps de ton premier séjour. Je n’ai jamais rien aimé autant que ce soutire-là quand tu me le pointais à bout portant. Et puis aussi, juste au-dessus, tes yeux merveilleux qui créés des univers à chaque battement de paupière. On s’est fait la bise. Je ne t’ai qu’à peine tenue par les épaules. C’est le stress qui fait ça. Dehors, on a attendu la navette qui nous ramènerait vers le parc de stationnement. Tu te souviens du léger malaise ? On n’arrêtait pas de se regarder en souriant. J’étais redevenu un ado. T’as aussi ce pouvoir là. Ça n’a pas mis de temps avant qu’on redevienne osmose et à partir du moment où l’on a « dégelé » toi et moi, on a repris notre conversation exactement là où nous l’avions laissée des années plus tôt. Et ça n’a pas lâché pendant ces sept jours.

Je n’ai rien sauvé je te dis. Tout ça est effacé aujourd’hui. Même ce passage où tu étais à la maison et que je terminais de travailler tard le soir. Tu m’avais préparé une bouffe et tu m’avais attendu pour manger, pareil comme si nous vivions ensemble depuis toujours. Je ne t’ai jamais dit qu’à ce moment là, en arrivant dans ma maison et en te voyant devant la cuisinière, souriante comme toujours, heureuse de me voir arriver, j’ai effleuré du bout des doigts le paradis? Oui bon, tu vas dire que j’exagère. Que j’en mets un peu trop. Mais détrompe toi. J’aurais passé le reste de ma vie dans ce moment là. J’ai tout savouré seconde par seconde, au ralentie, parce que tous les synapses de mon cerveau étaient exclusivement occupés par ce bonheur incommensurable qui me tombait dessus. Juste parce que tu étais là et que tu m’attendais pour manger. Comme si nous étions en couple. En fait, nous l’étions, mais en raccourcie, comme le chantait Brassens. Tout était là. Le bonheur d’être ensemble. La joie de te retrouver après une journée de travail et toi qui avait pensé à moi en préparant la bouffe. On a bouffé ensemble le repas que tu avais fait avec tes petites mains et ton immense cœur en or. Même qu’on avais mis des chandelles. Après ? Je crois que c’est ce soir-là qu’on a été se péter la gueule au Verre Bouteille. Pour la forme et pour le plaisir. J’ai encore la photo de nous deux prise par une passante alors que nous fumions une clope à l’extérieur du bar.

La journée de ton départ. Un coup de couteau qui rentre lentement dans mon ventre. Je tente de ne pas y penser, de me draper de chaque seconde qui me reste à te regarder, à t’entendre parler, à te respirer près de moi. J’ai du marbre des Pyrénées qui me pèse sur les épaules. Tu prépares tes effets. Je suis sur le balcon arrière et je t’entends manipuler tes deux gros sacs à dos dans la cuisine. Je me bats pour ne pas chialer. À l’aéroport, au moment de nous quitter, c’est une petite mort. Là ouais, on s’est vraiment serrés dans nos bras très fort. Juste avant de nous séparer, tu m’as tenu le bras et dans les yeux, tu m’as dit « Prends bien soin de toi Raillejean» (Cette manière que tu as de prononcer mon prénom… ça tue de beauté !) Comme une ange gardien qui serait venue à un moment clé de ma vie alors que j’étais à ramasser à la petite cuillère. T’as toujours eu ce don-là ma belle, d’appeler, d’écrire ou d’être là quand je suis à terre. Comment tu fais ça ? T’es qui au juste ?


Je chiale en marchant jusqu’à ma voiture. J’ai cette étrange sensation que cette vie-ci n’est pas pour nous, que celle d’avant ne l’était pas non plus, mais que celle d’après le sera. Je te connaissais avant de te connaitre. Mais je te perds encore.

dimanche 30 mars 2014

La première sortie

J’avais écrit ça pour toi. Heureusement, j’ai eu l’intelligence de le sauver avant que l’autre enfoiré me pique mon ordi. C’est un extrais d’un plus long texte qui, sous un certain angle, pourrait ressembler à un roman. Ça raconte notre première vraie sortie ensemble, juste toi et moi. Ça fait 7 ans de ça, mais je m’en souviens comme si c’était hier. Tu m’avais invité à aller au cinéma. Tu voulais voir ce terrible documentaire qui parlait de l’exploitation pétrolière sur le fleuve Niger. Moi, j’aurais été jusqu’à me faire personnellement exploiter par n’importe quelle pétrolière juste pour avoir le droit de partager un café avec toi. Tu comprends donc que je n’ai pas dit non à ton invitation, documentaire chiant ou pas. Oui bon, j’ai un peu inventé deux ou trois trucs, mais l’essentiel est là. Ça va comme suit :


La première sortie

   Désolée, je suis à la bourre. T’es là depuis longtemps ?
   Non, j’arrive à peine.
Tu parles ! Ça fait deux heures et trois cafés que j’attends. Mais je ne vais pas lui dire. On ne dit jamais ça à une fille qu’on aimerait marier, même si on est contre le mariage. Au fait, pourquoi les filles sont toujours en retard, même quand ce sont elles qui décident du lieu et de l’heure du rendez-vous ? Y doit y avoir un truc que je ne comprends pas chez elles. C’est où qu’on peut acheter Les filles pour les nuls ? Ça s’est déjà écrit d’ailleurs ? J’pense pô. On le saurait si ça l’était parce que la chose serait un Bestsellers, c’est sûr. En tout cas moi j’en aurais une, d’édition, avec pleins de post-it jaunes dedans pour marquer les passages les plus importants.
   Putain, les transports en bus à Montréal, c’est trop nimpe !
     Elle parle français, mais avec quelques petites variantes qui viennent pimenter la sauce. Être à la bourre par exemple, ça veut dire être en retard. Enfin, c’est ce que je devine parce que V… est toujours en retard et qu’elle dit toujours « Désolée, je suis à la bourre. » Du coup, j’ai fais le lien tout seul dans ma tête. J’suis fort pour les langues. Et nimpe, c’est une contraction de n’importe quoi, comme dans « le transport en commun à Montréal, c’est n’importe quoi ! » Je trouve ça mignon comme tout.
Elle est là, devant moi, toute belle à force d’être une V… qui n’existera plus que pour moi et mes yeux pour les prochaines heures. Fuck, c’est presqu’incroyable ! Il n’y aura plus qu’elle et moi pour toutes ces heures qui s’en viennent ! C’est Noël en avril ou alors que je n’y connais rien en bonheur. Je me sens tellement bien ! Je voudrais que le temps s’arrête là, maintenant, que plus rien d’autre n’existe dans ma vie que ce moment-ci ; plus rien d’autre que sa présence, que son parfum, que son sourire, que son regard planté dans mes yeux à moi. Je me sens revivre quand elle respire près de moi. Ça se fait tout seul. C’est magique. Comment elle fait ça ? Comment parvient-elle à être une V… comme ça ? Pourquoi je trouve ça si beau quand elle bouge ? Pourquoi le simple fait de la voir tirer une chaise pour s’asseoir devant moi m’apparaît comme l’une des plus belles chorégraphies de toute l’histoire de la chorégraphie depuis l’invention des chaises et des tables de Café ? Pourquoi je trouve que son manteau d’hiver acheté sans doute dans une friperie du Plateau est le plus beau manteau d’hiver depuis les premiers manteaux de la première congélation du continent ? Et pourquoi son sourire me fracasse le squelette comme une porcelaine qu’on aurait projetée contre un mur de briques ? Pourquoi mon ventre, et mes jambes, et mes genoux, et mes veines, et mon système nerveux, et ma vision, et mes globules blancs, et mes ganglions, et mes cheveux, et mon cœur, et ma prostate, et ma respiration, et tout le bordel qui compose mon corps devient de la guenille, de la pâte à modelée, de le gelée, de la bouette, de la cire fondante quand j’entends mon prénom prononcé par sa bouche ? Pourquoi ça fait une symphonie dans sa bouche à elle et jamais dans la bouche des autres ? Est-ce que c’est ça une expérience mystique ? Elle retire son long manteau dont la coupe tout en lignes droites rappelle celle des années ’60. C’est sûr, elle se l’est procuré dans une friperie. Et en dessous, comme une deuxième peau, son gros pull de laine bleu un peu effiloché aux coudes. Et puis autour du cou une jolie écharpe pastel qui complète merveilleusement son look bohème de gauche, petite apôtre jolie du No Logo de Noemie Klein, ma douce non-consumérisme à moi ! Son sac qu’elle porte sur l’épaule n’est pas en jute. Ça ne va pas jusque là. Mais c’est tout de même un tissu qui s’en rapproche ; sorte de compromis entre le granola et le grunge. C’est assez gros et la chose semble bourrée d’objets hétéroclites. Comme il n’y a pas de fermeture éclaire pour fermer le tout, ça fait comme une grosse gueule qui voudrait régurgiter son trop plein, mais férocement empêchée par une sangle à trois crans. Celle-ci relie les deux côtés du sac en les maintenant ensemble par une boucle métallique dont l’ardillon est planté dans le premier cran. La pointe de la sangle est glissée dans un passant de cuir brun. Je ne peux pas dire que c’est joli, mais assurément ça t’a un look singulier. Disons que ce n’est pas le genre de sac que tu verrais porter par une pétasse de Laval. Je dis ça comme ça, sans méchanceté. Il n’y a pas que des pétasses à Laval. Mais il y en a beaucoup. Elle le dépose sur la table à café qui est ronde et toute petite. Du coup, je dois déplacer ma tasse pour faire un peu de place. Mais ce n’est pas grave du tout et j’accepte volontiers le dérangement. Je sais me tenir nom de Zeus ! Voyant mon regard un peu étonné, elle sourit et y va d’une explication.
   C’est mon baise-en-ville. Il y a tout ce qu’il me faut pour survivre trois jours sans revenir à la maison, soutifs et bobettes incluses. (elle rit). Bobettes, j’adore ce mot québécois. C’est tellement plus sympathique que slip. Tu ne peux pas être malheureuse quand tu prononces ce mot. J’adore ! Bobette, bobette, bobette !
C’est tout juste s’il reste de la place pour nos tasses quand le serveur lui ramène son café. C’est qu’il est drôlement gros son sac. Elle l’ouvre et y plonge sa main avant d’en ressortir de petites lunettes qu’elle fixe ensuite sur le bout de son nez. Mauve la monture des petites lunettes. Et puis une forme qui rappelle celles de Trotski. Ça lui fait ressortir ses grands yeux bleus qui sont plus ronds que des billes.
   C’est pour le cinoche. Je ne vois rien sinon. Au fait, on a encore le temps ?
Oui nous avons encore le temps parce qu’il y a une autre représentation après celle que nous étions supposé voir. Elle se confond encore en excuses pour son retard et m’explique que le mec qu’elle devait interviewer pour son émission de radio n’en finissait plus de raconter ses conneries. « Je ne pouvais pas le couper, il était tellement à fond dans son truc que ça me brisait le cœur de l’interrompre. » Elle bosse sur un reportage portant sur les coulisses de l’oratoire St-Joseph. Ce type de tableau urbain qui n’intéresse personne, comme c’est souvent le cas dans ces reportages d’émissions de radio communautaire. Mais elle est évaluée pour chaque dossier et la note finale de son stage sera en fonction du cumulatif. Elle ne peut donc se permettre de tourner les coins ronds. De toute manière, en retard ou pas, je m’en tape. Le plus important c’est qu’elle soit là, avec moi pour les prochaines heures. Comme dirait le cliché, il ne peut pas exister plus grand bonheur ici-bas. Mais je m’abstiens de lui dire, de crainte de passer pour un dingue. On passe toujours pour un dingue quand on complimente trop une femme. Je garde donc ça pour moi, comme un terrible secret d’ado, bien caché sous mon attitude faussement décontractée. Par l’ouverture de son sac, je vois un gros Minolta un peu vieillot avec sa courroie de cuir qui ondule jusque dans les profondeurs insondables du fourre-tout. Je profite habilement de cet objet pour entamer une première conversation qui vient officiellement briser la glace. Non pas que l’ambiance était gelé, mais disons que j’étais un peu nerveux. Faut me comprendre. C’était notre première sortie officielle juste tous les deux sans personne autour de nous pour nous regarder être bien ensembles. Forcément, ça joue au niveau de l’attitude générale. Tu voudrais paraître naturel que tu n’y arriverais pas. Enfin, extérieurement, peut-être que tu dégages quelque chose qui ressemble à du naturel, mais en dedans, dans tes boyaux et dans ton cerveau surtout, putain mais qu’est-ce que tu ne te sens pas naturel du tout ! Mais alors là, pas du tout ! Le premier truc auquel j’ai pensé et qui m’a donné un coup d’angoisse pas possible c’est de me dire que j’avais peut-être une boule de morve séchée et collée sur le coin de la narine. Avec ce printemps de merde et son froid de canard, tout le monde devient une victime potentielle. Tout le monde mouche et tout le monde se tape la goutte au nez. Dès que tu mets le pied dehors, crack ! Ça se met à couler comme une fontaine. Mais profitant du moment où elle s’installa, j’ai subrepticement usé de ma cuillère comme d’un miroir. Ouf ! Tout est clean. Pas la moindre trace de la chose. L’enfer si ç’a avait été le cas ! T’imagines ! Le premier rendez-vous officiel avec la fille de tes rêves et voilà-t-y pas qu’au moment où elle se pointe, tu réalises que t’as un chunk gros comme une des lunes de Jupiter coincé sur le rebord intérieur de ton orifice nasal. Ganymède, Callisto, Amathé, t’as le choix mec. Il y en a 67 avec des noms aussi cons. Quand tu lui parles, elle ne voit que ça parce que c’est tellement gros que ça provoque une éclipse du soleil. Même que tu commences à douter parce que les meubles de la pièce se mettent à te graviter autour. Mine de rien, t’essaies de prendre un posture normale pendant que le piano à queue fait des révolutions autour de ta personne, mais va savoir, elle ne mord pas et continue à fixer ton chunk de morve qui a tellement évolué depuis que t’as mis les pieds dans cette pièce qu’une forme de vie intelligente s’est développée dessus. Même que ces espèces en sont maintenant à l’étape des chasseurs cueilleurs et que si tu ne trouves pas un moyen d’aller te moucher bientôt, ils vont passer à la période industrielle et t’auras l’air malin avec des usines au charbon dans le nez.
   Il est numérique ?
   Mais non, pas du tout. Le numérique, c’est pour les beaufs.
Elle se fout un peu de ma gueule, mais sans méchanceté parce qu’elle est comme ça justement, sans méchanceté. Oui bon, pour couper court à tous les adjectifs que je risque de balancer sur elle d’ici les prochains chapitres, pour ne pas me perdre dans les compliments et autres louanges, j’aurais envie de dire qu’elle est parfaite, qu’il n’y en a pas deux comme elle, qu’elle est unique au monde, mais ça gâcherait un peu le plaisir d’écrire sur elle. Parce que dans le fond, si j’écris ces lignes, si je me tape ces chapitres, si je pioche quotidiennement sur mon clavier avec une routine de moine, c’est parce qu’elle habite encore ma tête de con et ses pensées qui sont dedans. Une vingtaine de journées de fréquentation – 28 pour être très précis, pas plus, pas moins – et ce fut suffisant pour qu’elle s’imprègne en moi comme une mutation génétique de l’âme. Heu… cette dernière phrase, franchement, je ne sais pas trop ce que ça veut dire, mais c’est tout de même ça. Du premier jour où l’on s’est vu jusqu’au moment de se retour en France, il s’est passé 28 jours. Même pas un mois complet. C’est vous dire l’effet qu’elle a eu sur moi. Non vraiment, c’est une putain de belle histoire d’amour que je vais vous raconter là.
   Trop fastoche de bombarder la vie avec 2,000 clichés pixélisés et d’en sélectionner un ou deux qui seront à peu près réussis. Mais avec la peloche, c’est autre chose.
   La peloche ?
Elle empoigne son Minolta et le sort de son gros sac. Elle en retire le capuchon protecteur et colle son œil contre le viseur en me pointant. Elle ajuste la bague de mise au point de l’objectif.
   La pellicule si tu veux. T’as pas le droit à l’erreur et tu dois faire un avec ton appareil. Ta lentille, elle doit être l’extension de ton regard. Tu dois désirer le sujet de ta photo. Oh, ne bouge plus ! C’est parfait comme ça.

- Click ! -

Elle dépose son vieux Minolta sur la table avec un petit sourire narquois sur le visage. Ce sourire, c’est une signature au bas d’un tableau. Il n’appartient qu’à elle et elle en usera à mon endroit jusqu’à me rendre complètement fou. Elle va me le balancer à bout portant en creusant chaque fois sa lame de bonheur un peu plus profondément dans ma chair. Il y a quelque chose qui tue dans ce sourire. Quelque chose qui fait tellement de bien que ça finit par faire mal. C’est la première fois qu’elle me l’offre, mais elle va m’en redonner à répétition pendant les 28 jours que nous passerons ensemble. Quand elle ne sera plus là, c’est d’abord ce sourire qui va me manquer à en pleurer. D’ailleurs, juste d’écrire ce passage, voilà que je chiale. Désolé.
   T’as fait une drôle de tête quand j’ai pris la photo.
   Une tête de con sans doute. Je ne m’attendais pas à ça.
   Alors ça donnera une photo d’un joli con. Tiens, c’est comme ça que je vais t’appeler : Jolic, pour joli con. C’est joli Jolic, tu ne trouves pas ?


À partir de cet instant, oui vraiment à partir de cet instant précis, il nous est tombé dessus une complicité instantanée, un truc de fou que je n’arrive toujours pas à m’expliquer et qui ne s’expliquera sans doute jamais. Je suis conscient qu’en écrivant ça je vais passer pour un dingue, mais c’est plus fort que moi et je dois en parler parce que ça m’habite encore au moment où j’écris ces lignes. Le fait est qu’il me semblait la connaître depuis la nuit des temps et que cette première sortie n’allait pas marquer le début d’une grande histoire, mais qu’elle ne faisait plutôt qu’en officialiser un état de fait qui existait déjà entre nous, au delà de toute logique et par delà l’explicable. Cette furieuse impression qu’elle avait toujours été là, quelque part en moi, vivant dans je ne sais quelle réalité quantique où mon autre moi-même avait ses habitudes parallèles ; cette sublime sensation de la retrouver après une simple absence de 24 heures, de la revoir pareille à ce qu’elle était au dernier millénaire, à peine plus vieille d’une seconde. Deux personnes nées à 18 ans d’écart, plantées dans deux continents différents, séparées par la simple logique des choses, mais réunies par l’incommensurable hasard du grand Tout dans une connivence des esprits qui nous habitait depuis toujours et qui n’eut besoin que d’un simple face à face pour que s’accomplisse le prodige. Je ne sais pas si je me fait bien comprendre, si je parviens à bien vous expliquer ce que j’ai ressentie ce jour-là et ce que je ressent toujours en moi, même encore aujourd’hui, bien après qu’elle soit disparue de ma vie. Avant d’en dire plus, avant d’aller plus loin, je voudrais vous dire que je suis agnostique à la base, que je ne crois en rien, ou alors ramène moi les preuves mec parce que je suis comme ça avec ces questions qui nous dépassent. Je ne crois en rien, ou alors simplement à ce fait très simple qui dit que je n’ai pas le cerveau assez développé pour comprendre d’où l’on vient, où l’on va et entre les deux, pourquoi on est là à vivre dans une société qui a inventé les télé réalités et les coupons rabais sur les boîtes de petits pois. Toutes ces questions me dépassent et nonobstant mes quelques notions de physique quantique qui tendent à me montrer la pointe d’une miette d’un début de commencement de piste de réponse, je sais que la véritable réponse, si réponse il y a, ne me sera dévoilée qu’après l’ultime glissade vers cet ailleurs qui nous attend tous. Je crois en rien je disais, mais je me laisse néanmoins ouvertes toutes grandes les portes du possible, juste au cas où, question de ne pas être trop déçu ou trop surpris quand ça arrivera. Le paradis ? J’veux bien. Le néant ? Pourquoi pas. La réincarnation ? Si vous le dites. Les mondes parallèles ? Je n’dis pas non. Je suis ouvert je disais parce qu’à défaut de pouvoir prouver, on reste forcément dans l’univers du possible, les deux pieds plantés dans une réalité de faits. Et le fait le plus crédible que nous ayons en notre possession et sur lequel nous pouvons analyser une quantité infime d’évidences sans pour autant nous donner la moindre réponse sur l’après, est que nous sommes pour le moment vivant. That’s it, mais c’est quand même énorme. Or, voici qu’arrive cette V… et qui me balance à bout portant cette étrange impression que nous étions tous les deux, et depuis toujours, l’un et l’autre dans l’attente de l’autre. Comprenez ce que j’veux dire ? Comme si je connaissais déjà tout d’elle, que je pouvais deviner ses réactions une fraction de seconde avant qu’elle ne les montre, que je pouvais deviner la naissance de ses sourires avant qu’elle ne les accouchent, et que juste en la voyant comme ça devant moi à ce premier rendez-vous, et en une simple intuition, j’ai même pu anticiper l’odeur, les saveurs et la douceur de sa peau des jours pourtant avant que mon nez et ses narines, que ma bouche et sa langue, que mes mains et leurs doigts ne s’y jettent enfin comme des chiens fous qu’on aurait lâchés libres dans un grand terrain boisé. Je la connaissais déjà je vous dit ! Je l’avais déjà rencontré quelque part avant, dans ce paradis-là, dans ce monde parallèle-là, dans cette réincarnation là ou dans ce néant là. Mais je la connaissais nom de Dieu ! Aussi débile que ça puisse paraître, elle me faisait croire en ça.

mercredi 26 mars 2014

Petite chose écrite rapidement pour se pratiquer sur le nouveau clavier, genre.

Jour 2 après le vol de mon ordi. Mes doigts tentent de s’habituer à ce petit clavier de ce petit laptop. MacBook Air, écran de 11 pouces. C’est léger comme tout. Facile à transporter, facile à voler. (fuck!) Je crois qu’on va bien s’entendre lui et moi. N’empêche, je pense encore à l’autre. 

Un peu rond par la dégustation d’un blanc du Sud Ouest de la France, j’ai envoyé le texte précédent à V…, question de jouer un peu la carte de la pitié. (des fois que ça la déciderait de tout laisser tomber et prendre le premier avion pour venir se lancer dans mes bras. Oui, bon, on peut rêver encore) Le doux piment de l’aveu balancé dans un texte, ce passage qui dit que je suis amoureux d’elle depuis 300 ans. C’était quand même audacieux mec. Si, si! J’insiste. Audacieux est le mot. Elle aurait pu se dire « mais qu’est-ce qu’il est con celui-là! » et puis ne pas répondre en me deleatant aussi sec de ses contacts. Mais non! À la place, j’ai reçu dès le lendemain matin deux photos d’elle pour compenser celles que j’ai perdus. Avec ce petit mot charmant « Le voleur, je le maudits aussi. Il ne l’emportera pas au paradis. » 
C’est y pas charmant? J’adore cette fille. Vous l’ai-je déjà dit? Si? Ah bon, désolé. 

Je me relève péniblement d’une soirée particulièrement arrosée. C’était l’anniversaire de ma coloc. Je lui ai acheté un bouquet de roses et puis des steaks. On est comme ça nous, les mecs. Un peu de tendresse, et puis tout de suite après, de la grosse viande rouge à mettre sur le grille du BBQ parce que bon, faut rester virile quand même. Le Che était là parce que depuis sa séparation, il est toujours là. N’a plus vraiment de vie sociale. Ou alors comme moi, avec le syndicat. Ce qui n’est pas toujours une bonne chose. Quand il sonne à la porte et que c’est ma coloc qui répond, elle me dit « Rej, ta femme vient d’arriver! » Ça surprend toujours un peu. N’empêche, elle l’aime bien quand même. On l’a inséré dans notre souper de fête de coloc en lui donnant le plus gros steak et la plus grosse portion de patates cuites en papillote. Faut bien les nourrir ces nouveaux célibataires mâles qui peinent à se faire cuir un oeuf. Sinon y font des conneries et vont se gaver de McDo. Vin blanc Italien en apéro, vin Marocain au souper, vin Espagnole pour éteindre le tout en fin de soirée. Faut faire gaffe quand des gens comme nous, qui travaillent à cet endroit, se rencontre dans un souper. On ne boit pas d’eau comme on dit. Ma coloc voulait ouvrir son Single Malt pour faire passer le tout, mais j’ai refusé. Sinon, je serais encore en train de ramper pour trouver mon lit. Faut de la discipline en ce bas monde, merde. 

Je me lève et je prends mon temps avant d’aller travailler. Je crois même que je vais arriver en retard. Mon patron ne dira rien. D’ailleurs, il ne dit plus rien depuis deux mois. Cassé le mec. On fait ce qu’on veux depuis qu’il a décidé de jouer aux bras avec nous. Il vient de chez Maxi et croyait qu’il pouvait gérer de la même manière. Fait pas ça mec, que je lui ai dit au mois trois fois avant qu’il ne signe la lettre de suspension de mon collègue. Tu ne sais pas dans quoi tu t’embarques. Il l’a fait quand même. Ç’a chié solide et depuis, il est cassé. Devant l’ampleur du bordel qu’on lui a donné, ses patrons l’on largué pour racheter la paix. Depuis, on fait ce qu’on veut et il nous fout la paix. 

Je crois que je vais arriver en retard ce matin. Mon patron ne dira rien. 

mardi 25 mars 2014

Deuil

Ça s’est passé en quelques secondes. Un truc de con. Je suis dans ce café où je vais depuis 300 ans. Je connais tout le monde et tout le monde me connait. Je connais la plupart des clients réguliers par leur prénom et la plupart des clients réguliers me connaissent par mon prénom. Les serveuses? Oublie ça mec. Je vais au resto avec elles, même si elles ont 567 ans de moins que moi. 
Je suis avec le Che. On termine un texte pour l’assemblée de la soirée. On est fier de notre truc, c’est parfait. On n’y touche plus. Hop! On le copie sur ma clé USB. Comme on fait toujours depuis 1000 ans, on laisse tout ça là et on va se fumer une clope. On reste devant la porte du café. On rentre 5 minutes après… et puis c’est la catastrophe! Fuck! Mon ordi!! N’est plus là!!! On check, on fouille, on regarde, on visite tous les clients. Rien! Madame Rose qui était à deux table de là, madame Rose qui, comme moi, a fait de ce Café sa deuxième maison et qui scrute, et qui potine, et qui ne manque jamais un événement de la petite histoire de ce café, ben merde, elle n’a rien vu. Madame Machin, qui est prof de ch’sais pas quoi et qui corrige toujours ses copies avec ses petites lunettes sur le bout de son nez, était à une table. À UNE TABLE! Rien vu non plus. 
Les serveuses sont catastrophées parce que c’est à moi que ça arrive, leur meilleur client. L’une d’elle me parle de ce mec étrange qui était debout et qui avait l’air perdu. Elle a été le voir pour lui demander comment elle pouvait l’aider. Lui a simplement répondu : « C’est bon madame, j’attends ma femme ». Le temps de se retourner pour aller au comptoir, le mec n’était plus là. Elle ne l’a pas vu piquer mon ordi, mais le mec est sorti par la porte de secours. Vraisemblablement avec mon ordo sous le bras. 
L’enfoiré!
L’immonde enfoiré!

L’ordi, je vais vous dire, je m’en crisse. C’est ce qu’il y avait dedans et que je n’ai pas sauvé comme un con qui me fait de la peine. Les photos de V... qu’elle m’envoyait des fois, le matin, après une énième correspondance où je lui disais la veille que je m’ennuyais d’elle. « Envois moi une photo de toi s’il te plait! » Comme nous avons 6 heures de décalage elle et moi, ce que je lui écrivais le soir, elle le recevait le matin. Avant d’aller travailler, toujours toute belle, elle se prenait en photo avec la petite caméra intégrée et m’envoyait le truc. Elle sortait la langue, se plaçait les yeux dans le même trou, trouvait une énième grimace pour s’enlaidir et m’envoyait la photo. Je trouvais son message au matin, en me levant. Immanquablement, je la grondais gentiment en la traitant de méchante fille, mais en lui demandant tout de même de reprendre l’exercice. Puis le lendemain, j’avais une belle photo d’elle, toute neuve et toute rayonnante, sans grimace ni rien, juste la beauté de son visage pour les plaisir de mes yeux et qui me faisait passer une super belle journée. On a ce genre de correspondance elle et moi. Ça fait 7 ans que c’est comme ça et on vit très bien là dedans. Elle sait que je suis amoureux d’elle en secret que c’est même plus un secret. Je lui ai dit mille fois depuis 7 ans. Si ça ne marche pas entre nous, c’est à cause d’un océan qui a décidé de nous séparer à la naissance. Y a des merdes comme ça qui arrive dans la vie. Faut faire avec. Mais ce n’est pas grave. (enfin si, un peu quand même, sinon merde, on serait mariés elle et moi au moment où j’écris ces mots)  

Je n’ai pas sauvé ces photos!!! Pas une tabarnak! Ça fait une quantité de soleils gaspillés. Le mec, le voleur, il va me les effacer sans hésiter avant de cleaner mon ordinateur pour le revendre au pawn shop. Et assurément, au moment où j’écris ces mots, mes photos de V... n’existent plus. 
Crime contre l’humanité. 
Mon humanité à moi!!!!
Câââlisssssse!!! 
Des textes aussi. Des tas de textes. 
Oui, oui, oui, je sauvais ailleurs. Mais pas tout. Les premiers jets, les idées, les bons mots, je ne sauvais pas toujours. Ça restait à l’état de brouillon. Pour ce blogue par exemple, j’avais au moins 10 textes de commencer et qui attendaient le bon moment pour les travailler. J’en avais encore 10 fois plus qui dataient de l’an dernier et qui attendaient, attendaient, et attendaient encore parce que depuis deux ans, je manque d’énergie, de temps et de passion pour écrire. J’ai un roman de 290 pages qui attend. Oui, lui, je l’ai sauvé du désastre. Mais y a un mec ce soir qui va (ou qui a) effacer deux ans de travail sans même avoir le début du commencement d’une première miette de remord. 
Un pauvre type qui a plus besoin d’aide que moi. 
Un bon mec à la base qui est devenu con par la force des choses. 


Il m’a volé mon esprit et m’a piqué mes photos de V... que je ne verrais plus jamais. 

mardi 18 mars 2014

Kiev (2)

Oui bon, plus je lis sur Kiev, plus j'ai le sentiment de m'être totalement planté dans mon texte d'il y a quelques jours. Et si cette révolte avait été montée de toute pièce? Je ne sais plus. Je me ferme la gueule, plus découragé que je ne l'étais avant la révolte. 

dimanche 16 mars 2014

Peg


Peg est un collègue. Peg vient d’avoir 30 ans. Peg a invité ses potes au resto. Ça commençait à 20h, après le boulot. Un resto apportez votre vin. Peg lui, il a apporté une portion de sa cave. Peg est un hédoniste. Il aime le beau et il aime le bon. Et surtout, bon Dieu de bon Dieu, il aime ses amis. Sur la table de Peg, en argent et en bouteilles de luxe, il y avait l’équivalent d’un voyage en France.
Et je ne déconne même pas.
J’écris ces lignes avec encore dans la bouche l’effet divin de quelques Champagne du paradis. Celui qui m’a le plus impressionné ? Les Vignes de Montgueux, de la maison de Jacques Lassaigne. Une petite production artisanale. Un machin qui te torche au nez et qui te tue en bouche. Sérieux, des notes de chocolat !!! Puissantes et insistantes. Dans un Champagne ! Quand tu goûtes, c’est comme ouvrir une porte vers l’au-delà, là où habitent les 50 vierges du Coran ou j’sais pas quoi. Ça t’a un goût d’éternité. T’oublies les bouleversements climatiques et t’oublies la guerre possible en Ukraine quand tu bois ça.