dimanche 6 novembre 2011

Leçon de magasinage

Dimanche de merde comme le sont tous les dimanches depuis leur triste invention. Même s’il fait beau, c’est une journée de merde parce que c’est dimanche. Y a que les cons qui aiment les dimanches. D’ailleurs, ce sont sans doute les mêmes qui aiment l’hiver et ce genre de truc pas drôle. Qu’est-ce que tu peux bien faire d’un dimanche quand t’es tout seul et grippé ? Je vous le demande, braves gens, je vous le demande.


J’ai donc occupé cette journée à faire des trucs que je ne fais jamais d’habitude, c'est-à-dire acheter des fringues. Deux paires de pantalons, dont un Levi’s, quatre chemises et un gros pull de laine. Total : 54$ et pas un rond de plus. Tout ça au Village des valeurs et ça ne m’a même pas pris dix minutes pour tout boucler. Magasiner me fait chier alors je tente toujours de faire ça le plus rapido possible.

Si vous êtes comme moi et que vous ne voulez pas perdre un temps fou dans les boutiques, voici comment y faut faire:

J’entre dans la boutique (Village des Valeurs toujours et jamais d’autre que celle-là), je me dirige vers le rayon des chemises et je laisse aller mon instinct guider ma main... celle-là... celle-là....celle-là... et puis celle-là. Je les cueille comme des tomates mûres et je continue ma route sans regarder en arrière. Ce qui est choisit est choisit et faut pas commencer à hésiter sinon t’es mort et tu deviendras très vite comme n’importe quelle bonne femme et tu passeras le reste de la journée à te demander si la vert lime vaut mieux que la rouge pomme. Faut pas se poser ce genre de question. Lime ou pomme, on s’en criss. Prends ta chemise et poursuis ton chemin jeune homme ! Va et ne regarde pas en arrière sinon tu deviendras une bonne femme.

Pour les pantalons c’est drôlement plus compliqué qu’une chemise, mais si tu suis bien mes conseils, tu y arriveras comme un grand. D’abord faut savoir que les pantalons et les chemises, c’est très différent. En effet, il n’y a que trois tailles possibles pour les chemises : petit, moyen et large. Mais pour les pantalons, ça se joue sur un autre tableau de mesure et c’est vraiment là que les choses se compliquent. On parle d’une échelle qui va, je crois, de 0 à 1000 et il faut vraiment savoir quel est le chiffre qu’on t’a donné à la naissance sinon t’es dans la merde et t’auras toujours besoin d’une blonde pour t’acheter tes pantalons. C’est bien connu, les filles connaissent tout dans l’art de deviner les tailles et les chiffres qui vont avec. Moi mon chiffre c’est moyen pour les chemises, 9 pour les chaussures, mais 32 pour les pantalons et je me le suis rentré bien comme il faut dans la tête pour ne jamais l’oublier parce que ce n’est pas demain que je vais avoir une blonde.

32 donc.

En bas de ça, c’est trop petit et en haut de ça, c’est trop grand. C’est fou, mais c’est comme ça et y a rien à comprendre. C’est pour ça que tu ne peux pas les choisir sans t’arrêter, comme pour les chemises. T’as pas le choix d’aller voir les petites étiquettes et c’est là que ça devient chirurgical comme opération. Mais j’ai un truc et mon truc, c’est la boutique Village des Valeurs parce que les pantalons sont tous classés par numéro. De 0 à 1000, sans exception. Du coup, je ne perds pas de temps et je me dirige tout de suite vers le numéro 32 sans avoir à regarder les étiquettes et hop, je pige dans le tas les morceaux qui me semble les plus convenables. Une fois la chose faite, je me dirige à la caisse, je paie et je décriss vite fait bien fait. Temps accordé à l’achat à partir du moment où je suis entré dans la boutique et jusqu’au moment où j’en suis sorti ? 12 minutes 34 secondes ! Oui monsieur ! Essaie de faire ça avec ta blonde pour voir, tu m’en reparleras.


Je n’essaie jamais les articles que je vais acheter parce que les cabines d’essayage ont toujours des portes qui laissent voir les pieds des gens qui sont dedans. J’sais pas pourquoi, pour économiser sur le bois peut-être, mais ce n’est pas une très bonne idée si vous voulez mon avis. Du coup, les gens du dehors voient tes mollets et ça me tue grave de savoir que des étrangers me scrutent les mollets pendant que je suis de l’autre côté, en bobette, en train de me battre pour essayer d’enfiler un pantalon. Je suis du type très prude au niveau du mollet et forcément, d’être obligé de l’exhiber malgré moi, ça m’angoisse. Ça prend vraiment des malades pour scruter les mollets des étrangers dans les cabines d’essayage et je me demande bien pourquoi on laisse des gens comme ça en pleine liberté et avec droit de vote en plus. À la limite, on pourrait leur foutre un bracelet de sécurité à la cheville, genre GPS et quand on en retracerait un qui s’approcherait trop près d’une cabine d’essayage, Crack! On y ferait débarquer l’escouade de la moralité pour le choper solidement, le vicieux !

- Viens par ici bonhomme ! On a des questions à te poser !


Résultat, il m’arrive souvent d’acheter des trucs qui ne me font pas du tout même si j’ai rigoureusement respecté les règles très strictes des chiffres et des tailles. Quand ça arrive, je les fous dans un coin et quand j’ai le temps, je vais les porter à l’église qui elle va les porter au Village des Valeurs et que je fini par racheter quelques mois plus tard pour ensuite les retourner à l’église. À moi seul, je fais rouler l’économie du milieu des fripes, mais on ne me donne pas un rond en subvention pour ça. Quand je pense qu’on a sanctifié des ploucs pour moins que ça.

Dimanche de cônes

Dimanche 8h22. En fait, il serait 9h22, mais c’est cette nuit qu’on a reculé l’heure. Et c’est ce matin à 8h AM (heure normale) que les génies de la Ville de Montréal ont décidé de débuter des énièmes travaux sur ma rue. Pas demain matin, non. Pas cet après-midi, non. Mais bien ce matin, dimanche, seule ostie de journée où tu peux dormir une heure de plus dans l’année.

J’avais vu apparaître les cônes orange géants sur le trottoir. Je crois que c’était vendredi ou samedi. Va savoir. Il y en a tellement en ville depuis trois ans qu’on arrive à ne plus les remarquer. D’autant plus que depuis trois jours, je ne vois plus rien à cause d’une grippe qui voudrait bien m’assommer, mais qui n’y parvient pas parce que je lui réplique coup pour coup avec des médicaments qui assommeraient un cheval. Mais ma grippe est plus forte qu’un cheval et elle persiste et moi aussi. Qui va gagner? Je ne sais pas, mais en attendant, je suis fuzzé depuis 72 heures et je ne vois même plus les cônes orange.

Et à 8 h précise, voilà-t-y pas que ça se met à klaxonner pareil aux matins d’hiver quand les déneigeuses s’apprêtent à se manger des bancs de neige.


Je me suis donc levé de peine et de misère et je me suis habillé. J’étais couvert de sueur comme il arrive souvent quand on a la fièvre. De fait, mes draps étaient littéralement humidifiés par une nuit complète de combat contre cette foutue grippe. Dans le miroir de la salle de bain, mon visage blême me renvoyait un avant-goût d’agonie. Mon teint hésitait entre le blanc sépulcral et le vert caca d’oie. Mes yeux calleux se perdaient tout au fond de mon visage et se cerclaient d’une intense couche de peau noirâtre. J’avais mal aux pupilles juste à voir ça. Du coup, je ne me suis pas attardé plus longtemps à ces choses déprimantes et je me suis dirigé à l’extérieur, clés de voiture en main tout en retenant une forte envie de chier. Une équipe de cols bleus étaient là, occupés à caresser les cônes en groupe. Je crois qu’ils s’amusaient à leur donner des prénoms. On aurait dit une bande de doux demeurés sortis d’un centre de réhabilitation pour personnes ayant connus de graves problèmes sociaux affectifs. Ce qui semblait être le chef du groupe tenait dans sa main un long manche relié à une roue qui lui servait à mesurer les distances entre chaque cône. Il semblait drôlement fier de son jouet et ne cessait justement de mesurer les distances entre chaque cône. Mais pas seulement. Car il le faisait aussi entre le cône et la bouche d’égout ou entre une pierre et une canette de coca écrasée. Ça l’occupait gravement. Le reste de l’équipe était composée de deux grosses madames dans la cinquantaine qui parlaient comme des vendeuses de club-sandwichs d’Hochelaga-Maisonneuve. Elles alignaient les cônes sur le bas-côté de la rue et pour être bien certaines qu’ils seraient bien droits, elles se servaient d’une longue corde jaune qu’elles passaient par l’ouverture des poignées situées sur le dessus des cônes. Leur opération semblait des plus scientifiques et à voir le sérieux avec lequel elles procédaient, on ne pouvait que se dire que le sort du monde et des ses banlieues dépendaient de la précision de leur manipulation. À Cannes cette fin de semaine, et en prenant une pause sur les problèmes de la Grèce, le G20 a très certainement dû consacrer une heure ou deux de ses travaux sur le périlleux exercice de la manipulation des cônes oranges prévu sur la rue Iberville pour ce dimanche 6 novembre. En tout cas, c’est ce que je me suis dit en les regardant travailler. Mais je ne suis pas une bonne référence. À cause de ma grippe, vous savez.

Les deux autres qui complétaient l’équipe étaient, d’une part, un jeune postado dont le dossard jaune lui était manifestement trop grand. Son dos monstrueusement voûté et son regard vide planté dans des yeux porcins me laissaient croire qu’il venait de passer les deux dernières années de sa vie à se masturber très fort en pensant à sa directrice du programme «société et vie communautaire» donné dans son centre de réhabilitation évoqué un peu plus haut. Ou en tout cas, c’était quelque chose de pas très net. Puis finalement, cet autre type, plus long que grand, et dont le crâne rasé laissait deviner un camouflage désespéré pour masquer une couronne de cheveux dont la fine repousse laissait voir qu’elle lui ceinturait stupidement la tête. Il y a des gens ici bas qui ne comprennent pas que ce n’est pas donné à tout le monde de se promener avec un crâne rasé. Ça prend la tête adéquate pour aller avec le crâne. À la limite, on porte une casquette ou un foulard, mais de grâce, on ne se rase pas la tête quand on sait qu’on a en dessous un crâne qui ressemble à un gland qui aurait été malade du typhus.


Je vais voir le type qui poussait sa petite roue pour m’informer de ce qui se passe. Il tient dans son autre main une planche à pince sur laquelle déborde une paperasse colorée et griffonnée de notes. Il dit Je pour m’expliquer la chose; je comme dans «Je suis sur la rue Iberville jusqu’au 12 janvier mon cher monsieur» Forcément, et quand la construction de la phrase l’exige, il utilise aussi le J apostrophe, comme dans «La semaine dernière, j’étais sur la rue Chapleau». Autrement dit, les cônes, les travaux de réfection, la ville de Montréal, le pont de la 25, l’échangeur Turcot, le ministère des Travaux publics, tous les chantiers routiers, Tony Accurso, c’est lui. Très fier, il m’explique même que les caméras de TVA étaient là hier après-midi, près du deuxième lampadaire à gauche, avec le maire d’arrondissement pour parler du chantier. Drogué de Advil Extra Fort et de Vitamine C, je l’écoutais à moitié fasciné et à moitié somnolant, pas tout à fait certain de partager la même réalité que la sienne. Il y a 10 000 ans, et pour la survie de la tribu dont les bouches à nourrir étaient scrupuleusement comptées, on bannissait à coups de pierres ce type d’individu dont la seule fonction consistait à gaspiller de la précieuse nourriture. C’était le bon temps. Derrière lui, les grosses madames prenaient à bras le corps les cônes géants et valsaient sur la rue Iberville tout en houspillant contre les résidents du quartier qui tardaient à déplacer leur voiture. Le type au crâne de gland les regardait sans trop savoir comment aider et le jeune postado à la libido exacerbée contenait tant bien que mal son envie de se branler en occupant ses mains moites à replacer son dossard trop grand. Voyant que la voiture de A... ma voisine était toujours garée, je me suis dit que ça ne serait tout de même pas con de la réveiller pour ne pas qu’elle se mange un ticket de contravention. Tak! Tak! Tak! Tak! Quatre coups de clé dans la fenêtre de sa porte d’entrée. Ça fait plus d’effet qu’une sonnette le dimanche matin. Car c’est bien connu, les seuls qui sonnent à la porte les dimanches matin ce sont les témoins de Jéhovah et ça ne vaut vraiment pas la peine de se lever pour ça. Mais une clé dans la fenêtre, alors là, c’est du sérieux.

Voilà donc A... en pyjama sur son balcon et qui se réveille en constatant le bordel sur sa rue et qui se trouve aussi à être la mienne quand on y pense, puisque nous sommes voisin-voisine. Je lui explique rapidement que les zoufs qui sont là vont te-me-la remorquer si elle ne bouge pas sa voiture bientôt et que bon, y a rien à faire contre eux puisqu’en 10 000 ans, ils ont eu le temps d’instaurer un genre de démocratie et que la lapidation préventive pour la survie de l’espèce n’est plus permise par la loi et qu’on se demande bien pourquoi d’ailleurs. A... ne fait ni un ni deux et émet à voix haute un questionnement des plus pertinent. «C’est quoi c’t’ostie d’bordel sacrament! On a jamais été avisé!» Le chef, celui qui a évité à 10 000 ans près le bannissement, la main tenant toujours le manche de sa roue, reste un peu perplexe devant cette poussée oratoire. Voyant que celui-ci cherche ses mots, les deux grosses dames s’avancent pour prendre sa défense. «On a placé les panneaux hier soir!» lance l’une d’elles en se gonflant le torse qu’elle avait déjà gros. Mais à 8h un dimanche matin, A... n’est pas du genre à se laisser piler sur les pieds comme on dit. Impériale dans son pyjama bleuté et ses pantoufles en fantex, elle réplique assez joliment «Fuck you! Y avait rien d’indiqué hier soir quand je suis revenue!» Les deux grosses madames ne trouvèrent rien à redire et la scène se serait sans doute terminée là si le chef ne s’était pas cru obligé d’ajouter une réplique qu’il croyait imprenable. S’avançant en faisant toujours rouler sa roue sans même y penser, il dit avec un air de défi : « Ok, voici ce que vous pouvez faire madame. Appelez TVA et demandez-leur si leurs caméras étaient là ou pas hier! » Il y a eu un court moment de silence et j’ai vu dans les yeux de A... quelque chose qui ressemblait à un doute. Suis-je bien réveillée, se demandait-elle sûrement? Baissant le ton d’un degré parce que l’instinct, et même quand il n’est pas tout à fait réveillé, nous dit qu’il ne faut pas gueuler contre un démuni intellectuel, elle répliqua «C’est quoi ton ostie de problème avec TVA?»


Voilà la scène à laquelle j’ai assisté en me réveillant.

mercredi 2 novembre 2011

Défaite

Censuré

mardi 1 novembre 2011

Résultat

Censuré