lundi 23 juin 2014

Le protocole

Des gens qui ne te connaissent pas qui viennent te serrer la main et t’offrant leurs sympathies. Au début, tu ne comprends pas trop et tu te demandes si le type devant toi ne s’est pas trompé de personne. Ça peut arriver avec l’émotion. Mais quand ça fait le 30e inconnu qui te redit la même chose, là, tu comprends que ça doit être le protocole.

Faut pas déconner avec le protocole.

Le protocole, il dit très clairement que le mec que tu ne connais pas mais qui vient t’offrir ses sympathies, il doit obligatoirement avoir une gueule de circonstance. C’est à dire dévastée et à deux doigts de se mettre une balle dans la tête tellement il semble affecté par la tristesse. T’es touché, c’est sûr, mais en même temps, tu te dis que c’est tout de même étrange de voir ce mec là que t’as jamais vu de ta vie être aussi tétanisé devant l’urne paternelle. Parce que justement, tu ne l’as jamais vu le mec, avec le paternel en question du temps où il avait un corps et pas encore de cendres.
C’est qui lui ?
C’est qui elle ?
Mais non, je ne râle pas. Je constate, c’est tout.

Le mec, on s’entend, il a le droit d’avoir la gueule qu’il veut et ce n’est pas ça la question. La vraie question est : kissé donc c’mec que je n’ai jamais vu avec mon père dans mes 51 ans de vie terrestre mais qui semble en ce moment si démoli qu’on dirait qu’il ne passera pas la nuit à force d’être dévasté ? Bizarre autant qu’étrange, mais c’est correct. C’est le protocole qui exige ça.

Faut pas déconner avec le protocole.

Autre point incontournable du protocole, c’est l’entrée en scène du curé en toute fin de journée. Toi t’es là depuis des heures, t’as serré des tas de mains d’inconnus, embrassé des tas de matantes, pris dans tes bras de vrais amis, reçu plein d’amour, entendu des tas d’histoires touchantes et tu commences un peu à gérer tout ça avec une certaine contenance. Avec les heures et la redondance des choses, tu es parvenu à atteindre un certain contrôle et tu en arrives même à te croire un peu chez toi dans cette vieille maison centenaire. Tu vas même jusqu’à faire visiter l’endroit à celui de tes potes qui vient d’arriver. T’as fini par te sentir à l’aise dans ce triste endroit. Plus qu’une heure et ce sera terminé. Finalement, ça c’est bien passé. Mais c’est là que ça chie. Boum ! Le curé saute dans la mêlée. Son rôle est plutôt symbolique, mais dans les circonstances et compte tenu du moment où il s’implique, il me fait penser à ces goons au hockey qui ne sont là que pour péter des gueules adverses et que le coach n’embarquent sur la glace qu’à la toute fin de la partie, quand l’équipe perd 5 à 0 et qu’ils ont pour seule mission celle un peu absurde «de préparer » le prochain match. C’est le protocole qui veut ça.

Faut pas déconner avec le protocole.

Il débarque avec ses gros sabots bénis d’entre tous les sabots et que tu le veuilles ou non, impose sa vision manichéenne des choses avec une assurance intransigeante. Il n’en a rien à crisser du fait que tu peux désormais très bien gérer la dernière heure de deuil en paix, avec ta famille et tes proches. Lui son rôle, c’est de droper les gants de la morale chrétienne pour « préparer » le prochain match, même si ça ne sert plus à rien. Chiant d’entre tous les chiants, vedette incontestée du deuil, représentant officiel du branding Jésus Christ Inc., il s’approprie sans ménagement de ta dernière heure de recueillement pour être certain qu’on ne le manquera et que son show sera écouté par tes proches soudainement devenus troupeau prisonnier par la force millénaire (deux fois) des choses. C’est le principe de la cage à homards. C’est aussi le protocole.

Le protocole mec, le protocole !

Dans ses regards, dans sa voix de stentor et dans le choix de ses mots, il s’emploie sans trop de subtilité à vouloir te faire passer – toi l’agnostique qui refuse de se signer – pour un dangereux criminel qui menace l’équilibre des choses ici-bas alors qu’au fond, tout au fond de la bassesse humaine, le manipulateur hypocrite des faibles d’esprit, c’est plutôt lui. T’as pas de sang sur les mains alors que lui, en terme de sang humain versé, il baigne historiquement dedans. Combien de femmes brûlées vives sur les bûchés de l’Inquisition ? Pas loin de six millions je crois. Combien de génocides ? Combien de massacres ? Combien de guerres ? Et l’on a pas à retourner loin en arrière. N’est-ce pas un pape qui a béni les troupes de Mussolini avant qu’elles n’aillent envahir l’Ethiopie ? N’est-ce pas le pape d’aujourd’hui, ce bon François Machin, qui s’est fait photographier avec le terrible SWAT de Sao Polo, casqué, ganté, plastronné de cuir noir, ces troupes de choc dont l’une des missions fut (et est encore au moment où j’écris ces mots) de « nettoyer » sans pitié les favelas de tout élément potentiellement opposé à la coupe du monde ? T’as vu le sang dans ces escaliers qui marquait le déplacement des cadavres ? Non ? T’as pas Internet ou quoi ? Et c’est un délégué de cette Église-là qui viendrait me dire à moi comment prier mon père ?

Mais le protocole mec, le protocole.

Je préfère de loin mon « vivre et laisser vivre » que son « crois ou meurs ! » avec son gros point d’exclamation menaçant à la fin. Et je ne parle même pas de pédophilie parce que ça serait trop facile. Mais je vais en parler quand même parce que ça me fait méga chier de voir un enculé ensoutané venir s’approprier de mon deuil à la toute fin du processus pour en gâcher toute sa laïque beauté. J’ai un goût amer dans la bouche d’avoir été instrumenté par un représentant officiel d’une organisation criminelle responsable du plus monstrueux réseau organisé de pédophilie. Je ne dis pas que ce type est un pédophile. Je dis simplement que son Église l’a été et que par son impardonnable mutisme qui perdure encore aujourd’hui, par son imperméabilité, par son réseau d’influence planétaire, elle aide encore des milliers de monstres à se soustraire de la justice.

Quoi ? Qu’est-ce que tu dis toi avec ta soutane de merde ? Que mon père était un homme bon ? Mais ferme-là pauvre con ! Je n’ai pas besoin de toi pour me le dire ! Et d’abord, qu’est-ce que t’en sais ? Tu ne le connaissais même pas ! T’as été payé $150 pour cracher 20 minutes d’idées creuses et de clichés. T’as même pas été foutu de te rappeler le nom de mon frère avec qui t’as parlé juste avant pour régler les derniers détails de ton petit show de merde. Tu te prends pour qui espèce de charlatan ? Pourquoi tu nous parlais comme si nous étions des demeurés un peu débiles ? Et d’abord, tu ne trouves pas qu’il faut un peu louche pour faire carrière dans ton domaine ? T’as été battu dans ta jeunesse ou quoi ? T’es un peu handicapé de la bite ? T’étranglais des petits chats ? C’est ça ? Mais va te faire foutre pauvre con ! Et arrête de parler de mon père comme ça, tu m’insultes ! Arrête de prononcer son prénom à toutes les deux minutes comme pour essayer de donner un peu de crédibilité à ton texte de merde que tu répètes depuis 20 ans de funérailles en funérailles, de Ginette en Gaston, de Pauline en Gérard, de Suzanne en Maurice. T’es qu’un branleur. Un menteur. Un hypocrite. Si t’es pas encore en chômage, c’est parce qu’il reste encore en vie des gens de cette dernière génération, celle dont vous avez manipulé les esprits sans pitié depuis leur prime jeunesse. Si on ne t’a pas encore pété la gueule, c’est par respect pour nos parents qui vivent encore et qui vous voient toujours comme du sacré, alors que vous n’êtes en fait qu’une bande de sacrés morons. Des fous furieux qui se croient investis d’une mission divine en carton pâte. Viens avec moi dans la ruelle que je te prêche les vertus d’une barre à clous bien placée sur ta clavicule d’enculé. Mais non ça ne fait pas mal. En tout cas, bien moins mal qu’une vie complète à se faire lessiver le cerveau. Tu ne penses pas ? Quoi ? Kess tu dis ? Le protocole ? Ben oui le protocole, tiens donc ! Il est là, sur la table, écrit en encre noire sur papier blanc. Bouge pas, je vais te le rouler gros comme un barreau de chaise. Je vais le recouvrir de plomb liquide et le laisser durcir. Ça va faire comme une grosse tige que je vais te foutre dans l’cul jusqu’aux oreilles en la roulant dans le sens des aiguilles. Mais non ça ne fait pas mal.

C’est juste le protocole.

Ou enfin, le proctocole.

dimanche 22 juin 2014

Matin sur mon balcon arrière

Matin sur mon balcon arrière. Ciel très bleu et soleil resplendissant. La journée s’annonce belle. De fait, je regarde sur la page de météo Canada et je vois qu’on annonce jusqu’à 29° sans un seul nuage. On déconseillerait de porter du noir. Pourtant, c’est exactement ce que je vais faire aujourd’hui. J’ai préparé tout ça hier.
Chaussures, pantalon, chemise.
Tout ça bien noir et bien endeuillé, plié sur ma commode.  

Je suis un peu anxieux. J’imagine que c’est normal. Tu ne peux pas être autrement quand tu te prépares à te retrouver face à cette chose creuse remplie de poussière paternelle. Que tu sois croyant ou pas, ça marque un passage symbolique dans ta vie. Ton père est là-dedans et ce n’est pas plus gros qu’une boîte à chaussures.

Oui, ce qui reste de son enveloppe est là-dedans, mais les sourires et les regards remplis de tendresse, dans nos souvenirs, ne s’incinèrent jamais. Où c’est que t’as vu des hommes bons comme lui tomber dans l’oubli ?

Le deuil est une période qui permet de passer d’un état à un autre.

L’éphémère.
La vie n’est que ça, éphémérité. Ce qui ne dur pas. Tout passe, même les gens. Surtout les gens. Il faut goûter chaque seconde de vie comme si c’était la dernière. C’est un cliché sans doute, mais les clichés existent justement parce qu’ils décrivent une réalité qui ne peut être exprimée autrement.

Matin sur mon balcon arrière. Ciel très bleu et soleil resplendissant. La journée s’annonce belle. Ma coloc adorée s’en va planter des mots à Québec. Je l’entends dans sa chambre qui pianote sur son clavier. Quelqu’un vient la chercher. Elle vient me saluer alors que je suis dans la cuisine à me préparer mon énième café du matin. Elle me souhaite une « bonne journée » en m’enlaçant dans ses bras. C’est chouette d’avoir une coloc comme elle. Ça tient chaud et ça habille juste comme il faut ma solitude d’une présence bienveillante. Samedi dernier, après la tourmente matinale qui a suivit le départ de mon père, je suis repassé ici, question de prendre une douche, de me changer et de manger un morceau avant de retourner à la maison familiale pour épauler ma mère et mes frères dans ces pénibles obligations. J’étais à chier et c’était bien visible. Mais j’ai évité de lui parler de tout ça, tentant de rester neutre pour ne pas la mettre mal à l’aise. J’avais un truc pour elle que j’oubliais toujours de sortir de ma voiture. Un petit bidule artisanal donné par une amie commune pour service rendu. En lui remettant, nos mains sont restées un moment l’une dans l’autre et se petits doigts ont serrés ma paume, manière à elle de me dire qu’elle était de tout cœur avec moi. Un courant d’amitié fort apprécié. Plus tard, en quittant la maison, j’ai été la voir dans sa chambre et je lui ai demandé si elle ne pouvait pas par hasard me serrer fort dans ses bras. « Deviens ma blonde pour trente secondes, j’en ai besoin ». Ce qu’elle a fait avec un abandon parfait.
On forme une bonne équipe elle et moi.

Matin sur mon balcon arrière. Ciel très bleu et soleil resplendissant. La journée s’annonce belle. J’ai reçu des nouvelles de Toulouse l’autre soir. Des nouvelles et du support transatlantiques. Cela se fait naturellement chez elle. Toulouse, c’est en effet la ville où habite mon âme sœur. M’a dit que s’il n’en dépendait que d’elle, elle sauterait sur son vélo pour venir ici, sur ce balcon et partager ma peine en descendant une bouteille de vin avec moi. D’ailleurs, je la sentais légèrement allumée. Il devait être 3h du matin chez elle. Ça lui arrive souvent de m’appeler quand elle a un verre dans le nez. Là, je crois aussi qu’elle est tristounette à cause de son amoureux qui ne l’aime plus tout à fait. Un type un peu con si vous voulez mon avis franc et entier. Parce que franchement, faut vraiment être con quand t’as un trésor comme ça et que tu lui tourne le dos pour t’en aller vers d’autres aventures. Y a des mecs comme ça, je vous jure.


Matin sur mon balcon arrière. Ciel très bleu et soleil resplendissant. La journée s’annonce belle. J’attends ma fille qui se pointera vers midi. On ira ensemble là-bas, dans cette maison centenaire qu’on a transformée en salon funéraire.

samedi 21 juin 2014

C'est l'été je crois

C’est l’été. Officiellement je veux dire. C’est pour ça que je peux écrire sur la table à pic nic de ma voisine, celle qui fait pousser des tomates. Au-dessus de ma tête, un parasol déployé qui a la fâcheuse manie de se déplacer quand il y a trop de vent. Il faut toujours le remettre dans le bon angle et ça devient un peu gossant. Sauf que là, j’sais pas. Il semble s’être calmé.

Au bout de la ruelle, y a des types qui travaillent avec je ne sais quel outil qui fait du bruit. C’est d’ailleurs typique de l’été. Même en congé, ces connards ne peuvent pas s’empêcher de clouer des planches ou de visser des machins. Et pour que ce soit bien satisfaisant, faut qu’ils le fassent avec le maximum de décibel. Sinon ça les rend tout triste.

La vieille mémé d’en face, celle qui lave ses sacs de plastique, nourrit aussi les moineaux. J’ai vu ses deux bras ce matin qui balançaient du pain par le cadre de sa fenêtre.

Un monsieur qui habite le bloc d’à côté de la mémé au sacs de plastique vient d’épousseter son tapis du haut de son balcon. Ça faisait de petits nuages de poussières. Peut-être qu’à l’autre bout de la ville, et voyant ces nuages s’élever dans le ciel, un autre type décidera de lui répondre.

Un avion passe dans le ciel.


La fille qui habite à côté de chez Marie-Claude fait sécher du linge sur sa corde. D’ici je vois deux serviettes blanches, trois linges à vaisselle, 5 débarbouillettes (dont une de couleur rose), une jupe à fleurs, une petite culotte blanche et un soutien gorge noir de petite taille.

jeudi 19 juin 2014

Les corniches

C’est un beau matin d’été. Des moineaux piaillent sous les corniches de la ruelle. Suis sur le balcon arrière et je me laisse bercer par les bruits de la ville en ce matin du 18 juin. La vieille dame d’en arrière, celle du 3e étage, vient d’étaler sur sa corde à linge des sacs de plastique. Je crois qu’elle les lave avant de les réutiliser. D’où je suis placé, je ne vois que ses bras surgissant du cadre de sa fenêtre pour fixer les pinces à linge sur ses sacs. Cette cocasserie ménagère me porte à croire qu’elle n’a sans doute pas baisé depuis au moins le premier gouvernement de René Lévesque. Triste histoire.

C’est un beau matin d’été. Des moineaux piaillent sous les corniches de la ruelle. Un peu plus tôt, j’ai vu passer la jolie Marie-Claude qui promenait son chien. Scarlett le nom de son chien. Ce que j’aime d’elle, c’est quand son chien se ramène au pied de mon balcon et qu’elle vient le chercher. Pour le prendre dans ses bras, elle se penche toujours sans faire attention à son décolleté et comme je suis deux marches au-dessus, la vision qu’elle m’offre alors devient un chouette cadeau de la vie. Elle le promène chaque matin et chaque soir, de sorte que je peux la voir au moins deux fois par jour si je suis chanceux. Ce qui me fait penser qu’hier, en revenant de chez mes parents, j’ai trouvé un écriteau écrit à la main sur la clôture de ma cour. C’était écrit « Veuillez ramassez les cacas de vos chiens  SVP ! » Avec un gros point d’exclamation très fâché à la fin. Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? Le pire c’est que c’était sur mon côté de la cour, de sorte que ça donnait l’impression que j’étais l’auteur de cette missive. Je n’ai même pas hésité une seconde et j’ai arraché le truc. D’abord, parce que je ne veux pas que Marie-Claude croit que je suis l’immonde grincheux responsable de cette affiche ; et ensuite parce que moi, sincèrement, ça ne me dérange pas du tout que Scarlett vienne faire caca au pied de mon balcon. Même que je ne demande que ça si vous voulez tout savoir. Parce que Marie-Claude s’empresse toujours de ramasser les crottes et comme je suis toujours deux marches au-dessus…
Elle habite le bloc juste à côté. On ne se connaît pas beaucoup, mais on se parle toujours. L’an dernier, elle est même venue prendre quelques bières avec moi sur ce même balcon. Le seul truc chiant avec elle c’est son mec.  

C’est un beau matin d’été. Des moineaux piaillent sous les corniches de la ruelle. L’homme à tout faire de mon propriétaire vient de passer. Il voulait m’aviser qu’il allait repeindre les escaliers en fer forgé dans les prochains jours. M’a demandé des nouvelles de mon père. Ils ont le même âge. Enfin, « ils avaient » puisque je dois désormais m’habituer à parler de lui au passé.
Mon père avait…
Mon père était…
Mon père disait…


Ça aurait pu être un beau matin d’été.