Dans les textes perdus de mon ordinateur
volé, il y avait ces milles détails concernant tes sept journées passées en
septembre. Pour ne pas oublier, j’avais pris l’habitude de noter chaque jour
des petits flashs de ta présence qui, chacun à leur manière, représentaient des
micros instants de bonheur. Ça allait du saucisson de ton papa accroché au mur
de ma cuisine en passant par ton écharpe qui reposait sur le dossier de ma
chaise de cuisine.
Ne crois pas que j’ai oublié le Chablis que
tu as apporté ! Ni ton CD de musique enregistré par ton band. Ni l’espèce
de fromage fucked up super bon qui va au four avec des pommes de terre. Tout ça
était noté.
Tu ne t’en doutes pas, mais quand tu ronflais
encore le matin et que je me levais avant toi, je dégustais mon premier café en
notant ces petits chefs d’œuvres de félicité. J’aimais découvrir tes chaussures
reposant dans un recoin de mon logement. Ça me remplissait de bonheur et les
sachant éphémères dans leur indolente position, je m’en remplissais les yeux et
le coeur pour m’en remémorer plus tard le bien être de les avoir eu sous mon
toit, aussi à l’aise que si elles avaient été chez elles.
J’avais noté notre halte sur ce banc de bois
géant près du métro Mont-Royal. Il faisait beau et chaud pour la saison. Je me
souviens de la glace au yaourt gelé que tu avais mangé là. Moi j’avais pris
vanille enrobée de chocolat. Je prends toujours ça. Si on se mariait un jour,
tu finirais par me le reprocher. C’est pour ça qu’il ne faut jamais nous
marier, pour que l’on puisse toujours manger ensemble vanille-chocolat et toi
yaourt gelé.
J’avais noté toute ta conversation sur le
marbre des Pyrénées, ta spécialité. Nous étions sur le balcon arrière, la
soirée était un peu fraîche tu avais sur les épaules un châle de laine et nous
buvions du vin blanc. Sans doute ton Chablis d’ailleurs. J’avais mémorisé les
termes et les techniques et que je m’étais empressé d’écrire ensuite pour ne
pas les oublier. Je trouvais surréaliste ce moment alors que j’étais en extase
devant une fille qui me racontait la différence profonde entre le marbre des
Pyrénées et celui de la grotte du Korallgrottan en Suède. Quand j’étais ado, je
n’aurais jamais pu penser qu’un jour, je tomberais éperdument amoureux d’une
fille qui dirait des mots aussi peu sensuels que Korallgrottan. T’as ce pouvoir
là sur moi, méchante fille !
Et puis ce matin-là où j’étais à la table de
ma terrasse avec un café et que je t’avais vu sortir de la maison, les cheveux
encore mouillés parce que tu venais de prendre ta douche. Tout sourire, (comme
toujours) tu m’avais invité à aller prendre un petit dej. « C’est moi qui
rack ! » Dans ton jargon, ça voulait dire que tu payais. On s’était
ramassé dans un endroit pourri sur une terrasse où il faisait chaud. Le menu
ressemblait à une trappe à touriste. Tu m’avais dit « on se casse? » On
a tout laissé en plan et comme deux voleurs, on s’est poussé du resto après
avoir commandé je ne sais plus quoi mais qui coûtait trop cher. Est-ce cette
fois là que nous avions terminé notre marche à la binerie Mont-Royal? Ça se
mélange déjà dans ma tête, fuck.
Putain de voleur de merde. Me fait chier celui-là.
J’ai perdu ces notes. J’avais le vague projet
de m’en faire une manière de récit en détaillant au microscope chaque élément
de toi qui m’avait fait triper. J’aurais pu facilement faire 300 pages. Va
savoir pourquoi, je n’ai pas sauvé mon document sur une plateforme de
protection.
Je n’ai pas sauvé ça!
Comme je m’en veux!
J’avais noté dans ce document mon stress à
l’aéroport en t’attendant. La crainte absurde de ne pas te reconnaitre, des
fois que tu serais devenue obèse ou juste radioactive avec un bras dans le
front. C’est le genre de conneries auxquelles je pense quand je suis nerveux.
Et puis aussi à la manière de te serrer dans mes bras. Fort? Pas fort? Juste un
peu? Comment on fait après 1 000 ans? Et puis les bises!! Eh merde, les bises!
Une? Deux? Ou trois? Voilà un moment clé qu’il faudra gérer avec tact tout en
laissant une porte à l’improvisation. Et puis elle, va-t-elle me reconnaître?
C’est que j’ai attrapé la cinquantaine aiguë depuis la dernière fois. Putain
j’aurais dû me faire couper les cheveux !
Je t’ai vu sortir de la foule avec tes deux
sacs à dos, l’un au dos, l’autre par devant. Tu ressemblais à une petite tortue
coincée dans sa carapace. Jolie la tortue, ça c’est sûr ! En me voyant, ta
bouche a dessiné cet impossible sourire qui n’appartient qu’à toi et qui
m’avait si souvent tué naguère, du temps de ton premier séjour. Je n’ai jamais
rien aimé autant que ce soutire-là quand tu me le pointais à bout portant. Et
puis aussi, juste au-dessus, tes yeux merveilleux qui créés des univers à
chaque battement de paupière. On s’est fait la bise. Je ne t’ai qu’à peine
tenue par les épaules. C’est le stress qui fait ça. Dehors, on a attendu la
navette qui nous ramènerait vers le parc de stationnement. Tu te souviens du
léger malaise ? On n’arrêtait pas de se regarder en souriant. J’étais
redevenu un ado. T’as aussi ce pouvoir là. Ça n’a pas mis de temps avant qu’on
redevienne osmose et à partir du moment où l’on a « dégelé » toi et
moi, on a repris notre conversation exactement là où nous l’avions laissée des
années plus tôt. Et ça n’a pas lâché pendant ces sept jours.
Je n’ai rien sauvé je te dis. Tout ça est
effacé aujourd’hui. Même ce passage où tu étais à la maison et que je terminais
de travailler tard le soir. Tu m’avais préparé une bouffe et tu m’avais attendu
pour manger, pareil comme si nous vivions ensemble depuis toujours. Je ne t’ai
jamais dit qu’à ce moment là, en arrivant dans ma maison et en te voyant devant
la cuisinière, souriante comme toujours, heureuse de me voir arriver, j’ai
effleuré du bout des doigts le paradis? Oui bon, tu vas dire que j’exagère. Que
j’en mets un peu trop. Mais détrompe toi. J’aurais passé le reste de ma vie
dans ce moment là. J’ai tout savouré seconde par seconde, au ralentie, parce
que tous les synapses de mon cerveau étaient exclusivement occupés par ce
bonheur incommensurable qui me tombait dessus. Juste parce que tu étais là et que
tu m’attendais pour manger. Comme si nous étions en couple. En fait, nous
l’étions, mais en raccourcie, comme le chantait Brassens. Tout était là. Le
bonheur d’être ensemble. La joie de te retrouver après une journée de travail
et toi qui avait pensé à moi en préparant la bouffe. On a bouffé ensemble le
repas que tu avais fait avec tes petites mains et ton immense cœur en or. Même
qu’on avais mis des chandelles. Après ? Je crois que c’est ce soir-là
qu’on a été se péter la gueule au Verre Bouteille. Pour la forme et pour le
plaisir. J’ai encore la photo de nous deux prise par une passante alors que
nous fumions une clope à l’extérieur du bar.
La journée de ton départ. Un coup de couteau
qui rentre lentement dans mon ventre. Je tente de ne pas y penser, de me draper
de chaque seconde qui me reste à te regarder, à t’entendre parler, à te
respirer près de moi. J’ai du marbre des Pyrénées qui me pèse sur les épaules. Tu
prépares tes effets. Je suis sur le balcon arrière et je t’entends manipuler
tes deux gros sacs à dos dans la cuisine. Je me bats pour ne pas chialer. À
l’aéroport, au moment de nous quitter, c’est une petite mort. Là ouais, on
s’est vraiment serrés dans nos bras très fort. Juste avant de nous séparer, tu
m’as tenu le bras et dans les yeux, tu m’as dit « Prends bien soin de
toi Raillejean» (Cette manière que tu as de prononcer mon prénom… ça
tue de beauté !) Comme une ange gardien qui serait venue à un moment
clé de ma vie alors que j’étais à ramasser à la petite cuillère. T’as toujours
eu ce don-là ma belle, d’appeler, d’écrire ou d’être là quand je suis à terre.
Comment tu fais ça ? T’es qui au juste ?
Je chiale en marchant jusqu’à ma voiture.
J’ai cette étrange sensation que cette vie-ci n’est pas pour nous, que celle d’avant
ne l’était pas non plus, mais que celle d’après le sera. Je te connaissais
avant de te connaitre. Mais je te perds encore.
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