lundi 31 mars 2014

Notes perdues

Dans les textes perdus de mon ordinateur volé, il y avait ces milles détails concernant tes sept journées passées en septembre. Pour ne pas oublier, j’avais pris l’habitude de noter chaque jour des petits flashs de ta présence qui, chacun à leur manière, représentaient des micros instants de bonheur. Ça allait du saucisson de ton papa accroché au mur de ma cuisine en passant par ton écharpe qui reposait sur le dossier de ma chaise de cuisine.
Ne crois pas que j’ai oublié le Chablis que tu as apporté ! Ni ton CD de musique enregistré par ton band. Ni l’espèce de fromage fucked up super bon qui va au four avec des pommes de terre. Tout ça était noté.
Tu ne t’en doutes pas, mais quand tu ronflais encore le matin et que je me levais avant toi, je dégustais mon premier café en notant ces petits chefs d’œuvres de félicité. J’aimais découvrir tes chaussures reposant dans un recoin de mon logement. Ça me remplissait de bonheur et les sachant éphémères dans leur indolente position, je m’en remplissais les yeux et le coeur pour m’en remémorer plus tard le bien être de les avoir eu sous mon toit, aussi à l’aise que si elles avaient été chez elles.
J’avais noté notre halte sur ce banc de bois géant près du métro Mont-Royal. Il faisait beau et chaud pour la saison. Je me souviens de la glace au yaourt gelé que tu avais mangé là. Moi j’avais pris vanille enrobée de chocolat. Je prends toujours ça. Si on se mariait un jour, tu finirais par me le reprocher. C’est pour ça qu’il ne faut jamais nous marier, pour que l’on puisse toujours manger ensemble vanille-chocolat et toi yaourt gelé.
J’avais noté toute ta conversation sur le marbre des Pyrénées, ta spécialité. Nous étions sur le balcon arrière, la soirée était un peu fraîche tu avais sur les épaules un châle de laine et nous buvions du vin blanc. Sans doute ton Chablis d’ailleurs. J’avais mémorisé les termes et les techniques et que je m’étais empressé d’écrire ensuite pour ne pas les oublier. Je trouvais surréaliste ce moment alors que j’étais en extase devant une fille qui me racontait la différence profonde entre le marbre des Pyrénées et celui de la grotte du Korallgrottan en Suède. Quand j’étais ado, je n’aurais jamais pu penser qu’un jour, je tomberais éperdument amoureux d’une fille qui dirait des mots aussi peu sensuels que Korallgrottan. T’as ce pouvoir là sur moi, méchante fille !
Et puis ce matin-là où j’étais à la table de ma terrasse avec un café et que je t’avais vu sortir de la maison, les cheveux encore mouillés parce que tu venais de prendre ta douche. Tout sourire, (comme toujours) tu m’avais invité à aller prendre un petit dej. « C’est moi qui rack ! » Dans ton jargon, ça voulait dire que tu payais. On s’était ramassé dans un endroit pourri sur une terrasse où il faisait chaud. Le menu ressemblait à une trappe à touriste. Tu m’avais dit « on se casse? » On a tout laissé en plan et comme deux voleurs, on s’est poussé du resto après avoir commandé je ne sais plus quoi mais qui coûtait trop cher. Est-ce cette fois là que nous avions terminé notre marche à la binerie Mont-Royal? Ça se mélange déjà dans ma tête, fuck.

Putain de voleur de merde. Me fait chier celui-là.
J’ai perdu ces notes. J’avais le vague projet de m’en faire une manière de récit en détaillant au microscope chaque élément de toi qui m’avait fait triper. J’aurais pu facilement faire 300 pages. Va savoir pourquoi, je n’ai pas sauvé mon document sur une plateforme de protection.
Je n’ai pas sauvé ça!
Comme je m’en veux!

J’avais noté dans ce document mon stress à l’aéroport en t’attendant. La crainte absurde de ne pas te reconnaitre, des fois que tu serais devenue obèse ou juste radioactive avec un bras dans le front. C’est le genre de conneries auxquelles je pense quand je suis nerveux. Et puis aussi à la manière de te serrer dans mes bras. Fort? Pas fort? Juste un peu? Comment on fait après 1 000 ans? Et puis les bises!! Eh merde, les bises! Une? Deux? Ou trois? Voilà un moment clé qu’il faudra gérer avec tact tout en laissant une porte à l’improvisation. Et puis elle, va-t-elle me reconnaître? C’est que j’ai attrapé la cinquantaine aiguë depuis la dernière fois. Putain j’aurais dû me faire couper les cheveux !
Je t’ai vu sortir de la foule avec tes deux sacs à dos, l’un au dos, l’autre par devant. Tu ressemblais à une petite tortue coincée dans sa carapace. Jolie la tortue, ça c’est sûr ! En me voyant, ta bouche a dessiné cet impossible sourire qui n’appartient qu’à toi et qui m’avait si souvent tué naguère, du temps de ton premier séjour. Je n’ai jamais rien aimé autant que ce soutire-là quand tu me le pointais à bout portant. Et puis aussi, juste au-dessus, tes yeux merveilleux qui créés des univers à chaque battement de paupière. On s’est fait la bise. Je ne t’ai qu’à peine tenue par les épaules. C’est le stress qui fait ça. Dehors, on a attendu la navette qui nous ramènerait vers le parc de stationnement. Tu te souviens du léger malaise ? On n’arrêtait pas de se regarder en souriant. J’étais redevenu un ado. T’as aussi ce pouvoir là. Ça n’a pas mis de temps avant qu’on redevienne osmose et à partir du moment où l’on a « dégelé » toi et moi, on a repris notre conversation exactement là où nous l’avions laissée des années plus tôt. Et ça n’a pas lâché pendant ces sept jours.

Je n’ai rien sauvé je te dis. Tout ça est effacé aujourd’hui. Même ce passage où tu étais à la maison et que je terminais de travailler tard le soir. Tu m’avais préparé une bouffe et tu m’avais attendu pour manger, pareil comme si nous vivions ensemble depuis toujours. Je ne t’ai jamais dit qu’à ce moment là, en arrivant dans ma maison et en te voyant devant la cuisinière, souriante comme toujours, heureuse de me voir arriver, j’ai effleuré du bout des doigts le paradis? Oui bon, tu vas dire que j’exagère. Que j’en mets un peu trop. Mais détrompe toi. J’aurais passé le reste de ma vie dans ce moment là. J’ai tout savouré seconde par seconde, au ralentie, parce que tous les synapses de mon cerveau étaient exclusivement occupés par ce bonheur incommensurable qui me tombait dessus. Juste parce que tu étais là et que tu m’attendais pour manger. Comme si nous étions en couple. En fait, nous l’étions, mais en raccourcie, comme le chantait Brassens. Tout était là. Le bonheur d’être ensemble. La joie de te retrouver après une journée de travail et toi qui avait pensé à moi en préparant la bouffe. On a bouffé ensemble le repas que tu avais fait avec tes petites mains et ton immense cœur en or. Même qu’on avais mis des chandelles. Après ? Je crois que c’est ce soir-là qu’on a été se péter la gueule au Verre Bouteille. Pour la forme et pour le plaisir. J’ai encore la photo de nous deux prise par une passante alors que nous fumions une clope à l’extérieur du bar.

La journée de ton départ. Un coup de couteau qui rentre lentement dans mon ventre. Je tente de ne pas y penser, de me draper de chaque seconde qui me reste à te regarder, à t’entendre parler, à te respirer près de moi. J’ai du marbre des Pyrénées qui me pèse sur les épaules. Tu prépares tes effets. Je suis sur le balcon arrière et je t’entends manipuler tes deux gros sacs à dos dans la cuisine. Je me bats pour ne pas chialer. À l’aéroport, au moment de nous quitter, c’est une petite mort. Là ouais, on s’est vraiment serrés dans nos bras très fort. Juste avant de nous séparer, tu m’as tenu le bras et dans les yeux, tu m’as dit « Prends bien soin de toi Raillejean» (Cette manière que tu as de prononcer mon prénom… ça tue de beauté !) Comme une ange gardien qui serait venue à un moment clé de ma vie alors que j’étais à ramasser à la petite cuillère. T’as toujours eu ce don-là ma belle, d’appeler, d’écrire ou d’être là quand je suis à terre. Comment tu fais ça ? T’es qui au juste ?


Je chiale en marchant jusqu’à ma voiture. J’ai cette étrange sensation que cette vie-ci n’est pas pour nous, que celle d’avant ne l’était pas non plus, mais que celle d’après le sera. Je te connaissais avant de te connaitre. Mais je te perds encore.

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