Ça faisait deux ou trois fois que j’avais reporté depuis cet été. Un souper chez mon ex. Finalement ça s’est fait ce soir. Et puis ça tombait bien, la petite est maintenant assez grande pour porter les vêtements que je lui avais achetés à sa naissance. Au lieu d’une photo, je la verrais en vrai avec les fringues que j’ai achetées moi-même avec mon argent.
Quand je parle de la petite, je ne parle pas de mon ex, mais bien de sa gamine.
Faut suivre merde.
Ça fait toujours un peu étrange de retourner là-bas, dans ce grand logement qui était à nous et qui est maintenant à eux. Eux, je veux dire mon ex et son copain. Un mec sympa qui ne se trouve pas à être celui qui fut derrière sa décision «de vivre seule pendant un moment pour prendre un peu de recul».
Me semble, ouais. J’avais des poignées dans le dos à cette époque. L’amour rend aveugle qu’ils disent. C’est pour ça que j’ai décidé de ne plus jamais tomber amoureux, même si je tombe amoureux douze fois par jour.
Bref, lui qui n’est pas l’autre. Un brave type. Musicien un peu paumé si j’ai bien compris le topo. Il joue et donne des cours de guitare. Se cherche un boulot d’appoint parce que bon, la musique, ça ne paie pas beaucoup. Et puis juste comme ça en passant, j’ai remarqué que le mec, ben merde, il se tape un bas de poitrine qui commence à prendre de l’expansion. Plus vraiment svelte le mec. Même que je dirais pré-gros. Trente ans tout juste. hoooooon.... c’est-y pas malheureux.
Hé! hé! hé!
Moi et ma taille de guêpe, moi et mes quasi 50 ans, on regardait ça du coin de l’oeil et on se disait froidement que finalement, body pour body, je ne suis pas si mal que ça à bien y regarder. En plus, sans faire exprès, j’avais enfilé une chemise très baba cool fleurie ouverte sur un t-shirt vintage Paul McCartney engoncé dans un pantalon très chic, très L’Aubainerie, auréolé d’une ceinture de cuir brune un peu défraichie. Très cool le mec, très Mick Jagger tournée 2006 avec la même maigreur du tour de taille en démonstration pour qui veut bien l’admirer, dit-il modestement.
Moi y en a être maigre malgré mes (presque) 50 balais.
Moi y en a revendiquer devant mon 32 de tour de taille, comme à mes 18 ans. Viens pas me dire ma belle que tu ne regrettes pas un peu sinon merde, je mets en doute ton sens de l’esthétisme nom de Zeus! Tu m’as laissé pour une demie portion même pas beau, petit, avorton, qui se tapait une gueule de mouche qui aurait été malade à la naissance, qui devait sûrement étrangler des petits chats la nuit, en cachette (salaud!), qui puait grave la carcasse de chien pourri à ce qu’on m’a dit et que même si ce n’était pas lui, c’était donc son frère. Et puis quand il t’a quitté, tu t’es retrouvée devant rien. Abandonnée et triste. Malheureuse! Tu m’avais téléphoné pour me dire qu’il t’avait laissé tomber comme une merde. Qu’est-ce que tu voulais que je te dise? Reviens? Na! Remarque, t’as rien demandé et je n’ai rien proposé. Mais nous avions été prendre un café. Tu pensais que ç’a allait me réjouir. Me réjouir de quoi? Y a rien de drôle de voir une larguée larmoyante, même s’il s’agit de celle qui nous a personnellement largué deux ans plus tôt. J’étais rendu ailleurs, quelque part dans des chemins de brumes que t’avais provoqués. Je n’étais plus celui que tu avais connu, ni celui que je suis devenu. N’empêche, t’avais encore un beau cul. Ça ouais, je m’en souviens. Ensuite, t’as été avec un mec et puis un autre pas longtemps après. Quelque part entre les deux, tu es venue chez moi pour une bouffe qui s’était terminée très tard. Tu n’es repartie que le lendemain après-midi. Drôle d’histoire. Il n’y avait plus d’amour, mais une manière de complicité qui palliait un peu; comme de la colle bon marché étendue sur les morceaux d’une assiette cassée. Ensuite il y a eu ce mec-là, et puis enfin ta gamine. Tes yeux brillent, mais on dirait juste pour elle. Lui, le sympathique pré-gros, il m’a semblé que... enfin, ce n’est peut-être juste qu’une idée. Moi? Si je suis en couple? Tu rigoles! Je t’avais dit qu’après toi, c’était terminé. T’as tué mes dernières naïvetés en t’en allant. J’en ai plus. Terminé la réserve. Moi y en a décidé de crever tout seul, de cette manière ça me laisse libre d’en aimer des milliers.
Oui bon, des centaines.
Ok, d’accord, disons des dizaines.
Même qu’elles sont toutes belles, surtout celles qui sont jolies. Plus de promesses avec les caresses. J’ai appris que ça ne marche jamais. Ou alors juste un temps, mais après ça t’es bon pour l’enfer. L’enfer, je laisse ça désormais pour les autres. Ceux qui pensent s’aimer pour la vie. Les cons! Les tristes cons! Les histoires d’amour finissent mal. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la chanson. D’ailleurs y a pas d’amour ici bas, ou alors celui pour ses enfants. L’amour entre un homme et une femme est un piège à dupes. Une pulsion de primate qui s’est faite verbe avec l’évolution. T’aimes pas une fille, tu veux juste la sauter. Après seulement viennent les émotions. Et ce n’est toujours pas de l’amour. L’amour comme on l’entend n’est qu’une recherche permanente de satisfactions personnelles. Je suis bien avec toi pour ce que tu m’apportes. That’s it. Dès que tu ne m’apportes plus ce bien dont j’ai besoin pour maintenir ma structure biologique à un degré de satisfaction adéquate, je te quitte. Si l’amour existait vraiment, l’habitude serait un mot absent du dictionnaire des couples. Et va pas dire le contraire, c’est la même chose pour les filles.
Me retrouver dans ce logement je disais. C’est toujours un peu weird. Je le connais comme le fond de ma poche, mais allez savoir, on dirait que ça fait comme dans un rêve. C’est le même logement, mais en même temps, ce n’est plus le même. Ça ne sent plus la même chose. Les meubles ne sont plus disposés comme avant. Des bibelots nouveaux sont apparus sur les tables du salon. Des objets qui rappellent des souvenirs heureux; comme ces coquillages ou ces petits cailloux. Des objets qui rappellent des souvenirs heureux je disais, mais inconnus au bataillon. Ces souvenirs-là ne furent pas construits avec moi. Mais ils reposent pourtant sur des meubles que j’ai touchés quotidiennement. Étrange sensation. Je voyage dans le temps, mais la machine qui m’a ramené dans ces lieux s’est déglinguée pendant le processus. Je suis dans un univers parallèle que je ne connais pas, mais qui me semble en même temps si familier. Je suis confortable dans mon malaise. Je sais exactement où je vais aller pisser, mais quand je me rends dans la salle de bain, tout a changé. Sauf le petit miroir de maquillage que je lui avais acheté du temps où les deux autres occupants de ces lieux, la gamine et son papa n’existaient même pas. Sait-il au moins que c’est dans mon miroir qu’elle se maquille chaque matin pour se faire belle pour lui? Et le machin au plafond de la cuisine, ce truc métallique qui sert à y ranger les coupes à vin et les chaudrons, sait-il que c’est moi qui l’aie posé tout seul avec mes petits doigts? Même que j’avais travaillé fort nom de nom! Je regarde, je scrute, il ne reste plus beaucoup de choses qui étaient là du temps où j’étais encore naïf et pré-largué. La table de cuisine tiens. C’est la même. Mais pas les chaises. La cuisinière est la même. Mais pas le frigo. Les sofas dans le salon, ouais, ce sont les mêmes. Et puis aussi la maman de la gamine; j’ai bien regardé, c’est la même. Enfin, il me semble.
On est tous dans le salon et on parle de choses et d’autres. La gamine réclame le sein et du coup, merde, je détourne les yeux. Je m’occupe en parlant avec le jeune pré-gros parce que bon, je ne veux même pas donner une chance à la conversation de tourner autour du sujet de l’allaitement avec force démonstration à l’appui.
Moi y en a pas vouloir avoir une conversation qui tournerait autour des seins de mon ex devant l’autre.
Je sais, c’est con, mais c’est comme ça. J’assume.
Bouffe. Rôti de canard et pommes de terre. Le tout mijoté pendant six heures. Un délice. Je m’occupais du vin. Un délice aussi, of course. J’ai joué au sommelier du dimanche, leur donnant un cours rapide sur l’art de déguster. Ça impressionne toujours, même quand on raconte n’importe quoi.
Ensuite? Rien. On a parlé et discuté autour de la table comme on fait toujours après un bon repas. J’ai regardé à la dérobé le cul de mon ex deux ou trois fois dès qu’elle se levait de table pour aller chercher ceci ou cela. Faut pas m’en vouloir, c’est de naissance. J’adore regarder le cul des filles, surtout ceux que j’ai bien connus. Je voulais comparer avec celui qu’elle avait dans le temps. N’a pas beaucoup changé. Enfin, il me semble. Mais je n’ai pas voulu aborder le sujet, des fois que ça aurait créé des malaises inutiles.
Je suis sorti de là vers 22h et j’ai roulé doucement dans les rues calmes de Montréal. Un peu nostalgique, c’est sûr. Ça me fait le coup à chaque fois que je la revois, la méchante fille que j’ai tant aimée même si l’amour n’existe pas. Le courant ne passe plus et je n’ai même pas le coeur qui palpite quand je la vois. Y a que de la douce curiosité amalgamée à un restant de complicité. Je n’ai plus envie de la prendre dans mes bras. D’ailleurs le voudrais-je que je ne saurais même plus comment faire. À cause de ses bras à elle maintenant habitués d’entourer ceux d’un jeune pré-gros. Forcément, il y aurait un décalage au niveau de la portée.
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