mercredi 31 octobre 2012

Casting de Fellini au boulot


Ce genre de journée où t’as l’impression qu’un ovni aurait atterri quelque part pas trop loin de ton magasin et que l’équipage au complet se serait donné le mot pour venir acheter des bouteilles. 
La quantité d’énergumènes, de vibrions, de loustics, de pasquins, de mauvais plaisants, d’hurluberlus, de weirdos et d’hétérodoxes qui sont passés dans la boutique, je ne peux même pas les compter. Sans doute les effets secondaires de l’ouragan Sandy. Ou alors la pleine lune. Ou alors les deux à la fois. 

La madame fnouia-fnouia : Cette femme bourrée de tics nerveux et atteinte fort probablement de troubles compulsifs obsessionnels. Sa lèvre supérieure ne cesse de remonter et descendre à une vitesse prodigieuse. En même temps, elle sort sa langue par petites touches rapides. Elle cligne des yeux aussi. On dirait une couleuvre paniquée. Elle se frotte les cheveux 10 fois de suite avant de prendre sa bouteille. Elle replace son collet avec des gestes nerveux tout en se relevant les épaules 7 ou 8 fois de suite. Fuck, elle me fait peur. En plus, elle émet de drôles de de sons. Ça fait «fnouia, fnouina, fnouia». Au Moyen-Âge, c’est certain, elle aurait fini au bûcher. Même aujourd’hui, remarque, ça serait peut-être à considérer. Des fois que ça serait contagieux son truc. 

Le monsieur au moignon : C’est un manchot et comme il faisait chaud cet après-midi, le mec a décidé de porter un t-shirt. Du coup, il exhibait son moignon à tout-va. Bon, c’est vrai, on est dans un pays démocratique et tout le monde a droit de porter des t-shirts. Mais quand t’as un moignon qui dépasse, j’sais pas... ça me trouble. L’allaitement en public, pas de problème. Mais le moignon... pas sûr. Et puis tu voyais que le mec, il était fier de le montrer son putain de moignon. Le genre de gars qui s’est dit en perdant son bras «c’est pas vrai que ça va changer ma vie!» Il avait raison sauf que ça change le quotidien de celui qui se le fait passer sous le nez par contre. On devrait inclure les moignons dans la nouvelle charte sur la laïcité de madame Marois. Pas le droit de signes religieux distinctifs et pas le droit de moignons non plus. C’est que je ne veux pas voir ça moi. C’est dégueulasse un moignon. Mon boulot est déjà assez pénible comme ça. 

La madame poche de patates: Devait avoir une soixantaine d’années. Peut-être plus. Va donc savoir avec les madames poche de patates. Elle portait un genre de robe qui ressemblait beaucoup à une poche de patates. Avec ça, des piercings un peu partout sur le visage dont un entre autres juste au-dessus du menton. Un machin énorme qui me faisait penser à ces anneaux qu’on fout dans le museau du boeuf de labour. Archi horrible le truc. Dans le cou, une chaîne de mauvaise qualité avec au moins une bonne trentaine de bagues et d’anneaux de toutes sortes. Et parlant de bagues, elle en portait au moins deux à chaque doigt, y compris les pouces. Une quincaillerie à elle toute seule. Woodstock generation left over. Elle a sûrement pris beaucoup de drogue dans sa vie. 

Le monsieur à qui il manque un doigt : C’est un monsieur qui lui manque l’index. 

Le monsieur à qui il manque deux doigts : C’est un monsieur qui lui manque l’index et le pouce de la main droite. 

Le monsieur à qui il manque trois doigts : C’est un monsieur qui lui manque le majeur, l’annulaire, l’auriculaire. 

Le monsieur à qui il manque une main : C’est un monsieur qui lui manque la main droite. Au moins lui il porte une manière de ganse en cuir pour en cacher le moignon. 

Note : je ne déconne pas. Il y a dans cette clientèle de Montréal Nord beaucoup de travailleurs manuels et mal payés. Du coup, je croise un tas de mecs - des vieux messieurs à la retraite pour la plupart - à qui il manque un, deux ou trois doigts. Je n’en avais jamais vu autant que depuis que je suis affecté à cette succursale. 
Fin de la note. 

La fille à la bedaine fuckée : Deux pétasses qui viennent s’acheter une liqueur alcoolisée. Pas très jolies et fringuées comme des putes des quartiers mal famés. Sans goût et sans classe. L’une d’elles porte un petit chandail court qui lui remonte bien au-delà du nombril. En principe, ça devrait attirer mon oeil, mais là, c’est tout le contraire. C’est carrément inesthétique à cause de son gros ventre dégueulasse avec plein de petites cavités à cause d’une graisse mal répartie. Elle n’est pas grosse, j’veux dire pas énorme, elle est juste bedonnante et on dirait que c’est encore pire. À quoi elle pense devant son miroir quand elle se fringue comme ça? Elle se trouve bandante? Il y a quelqu’un dans la salle qui pourrait lui expliquer deux ou trois trucs sur l’art d’afficher un charme discret? 

La grosse black avec un cul gigantesque... mais ÉÉÉÉÉÉÉNOOOORME et qui portait en plus un leggings hyper moulant : C’est exactement ça, une black avec un cul prodigieusement gigantesque. Tellement gros que tu pourrais faire tenir dessus un paquebot ou même le siège social de la Goldman Sachs. Je suis dans un quartier à forte majorité haïtienne. Forcément, on a beaucoup de clients blacks et pauvres. Pauvre d’argent et pauvres au niveau de l’éducation et donc, forcément, pauvres au niveau de l’esthétisme ou de la culture en général. Parce que justement, Montréal Nord se trouve à être en plus un quartier pauvre. On aurait l’équivalent pour les blancs dans Hochelaga-Maisonneuve où j’ai habité longtemps. Des grosses blanches qui se fringuent «pitounes» en essayant de ressembler à Britney Spears que c’est à dégueuler, j’en ai croisé des milliers. Mais comme je me trouve dans Montréal-Nord, je dois spécifier que la fille est black. Je le spécifie aussi par cette manière qu’ont les jeunes filles blacks quand vient le temps de s’habiller avant d’aller faire la fête. Ce n’est vraiment pas le même look que les blanches de Hochelaga-Maisonneuve. Par exemple, le leggings hyper moulant est très prisé. Quand la fille est belle, ouais, c’est très attirant. Comme cette black samedi dernier qui avait une taille de déesse et qui était belle comme ce n’est même plus possible d’être belle en ce bas monde. Elle portait une veste de cuir noire et un leggings noir aussi, mais dans un tissu inconnu à mon touché et sur lequel la lumière venait en découper dramatiquement les rondeurs et les Wallons. À couper le souffle! Littéralement. 
Mais la grosse black d’aujourd’hui, c’était autre chose. Un camion de pompier aurait été plus bandant. Deux fesses titanesques qui n’en finissaient plus d’être grosses. Et en plus, avec des trous dedans. Si, si! Des trous! Pas de blague, d’une fesse à l’autre, il y avait un décalage horaire d’au moins six heures. Le temps que ça prend à son mec pour se rendre de l’une à l’autre avec sa main, c’est à peu près le même temps que ça te prendrait pour prendre l’avion, atterrir à Boston, prendre un expresso et revenir à la maison. C’est même plus un cul, c’est le centre de l’univers autour duquel toutes les planètes du système solaire sont obligées de faire leur rotation. Quand elle marchait, t’avais l’impression d’entendre le frottement de la fin du monde. La fin du monde par frottement intensif. C’est grave! Les quatre cavaliers de l’apocalypse dans sa craque, rien de moins les amis. Et en leggings en plus!!!! Mamamiiiaaaa!!! 

Aujourd’hui, j’ai eu droit comme clientèle à ce qui pourrait se rapprocher le plus d’un casting d’un film de Fellini. 

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