Au boulot, cette dame qui pète un plomb contre mon collègue. J’sais pas
trop pourquoi, je suis arrivé après le début de l’altercation. Quand tu vends
de l’alcool, tu ne sais jamais lequel de tes clients va péter un plomb. Tu
vends de l’alcool mec, tout le monde au monde passe dans ton commerce. Le juge
comme l’accusé, le patron et son employé, le curé, le docteur, l’éboueur, le
pauvre, le riche, le très pauvre et le très riche. Tout le monde au monde passe
par ton commerce. Le sain d’esprit comme le psychopathe. Deux ou trois fois par semaine, parfois moins
et parfois plus, t’auras quelque chose à raconter.
Ton poste t’interdit d’être ce que tu es dans la vraie vie. Dans la
rue, un moron qui te ferait chier, tu le retournerais vite fait bien fait en
deux ou trois répliques assassines. Mais au boulot, c’est plus délicat. Le
moron peut faire une plainte et ton employeur, qui suce des bites de clients
pour que le client revienne, va automatiquement prendre pour lui. Ou du moins,
t’auras à ramer fort pour faire valoir ton point de vu.
Il vient un temps où t’en a ras-le-cul. Mon pote aujourd’hui, il
n’avait plus de mèche et répondait du
tac au tac à la vieille conne. Elle le traitait d’insolent, il la traitait de
vieille folle. Elle lui ordonnait de la servir, il répondait qu’il ne servait pas
les connasses de son genre.
- Insolent !
- Vieille alcoolique !
Je suis arrivé à ce moment. J’ai servi la vieille salope pour qu’elle
décriss au plus vite, pour qu’elle débarrasse la place, pour qu’elle
disparaisse de notre vue. Était-elle saoule ? Non, pas du tout. Juste
vache. Elle essayait de me prendre à témoin, de chercher mon appui vu que
j’étais blanc comme elle et que cette couleur de pureté nous différenciait de
mon collègue. J’en avais rien à chier et je ne répondais pas, prenant son fric
et lui rendant la monnaie sans lui dire un mot. Elle ne cessait de répéter qu’elle
allait faire une plainte, contre la compagnie, contre mon collègue, contre moi,
contre le comptoir, contre la vitrine, contre le plancher, contre l’asphalte du
parking, contre l’hiver qui n’en finit plus, contre le ciel et contre la terre.
Dès qu’elle fut sortie, on a rempli un rapport d’incident pour se
protéger le cul « Une cliente fortement en état d’ébriété tenait des
propos incohérents, vulgaires et agressifs (…) Malgré le fait que nous ayons
appliqué une approche respectueuse pour la calmer, elle persistait dans son
délire en tenant des propos menaçants, laissant même entendre qu’elle
connaissait des gens qui cassaient des jambes pour le prix d’une bouteille de
cognac (…) etc. » Généralement, dès
que tu laisses sous-entendre que le client était en état d’ébriété, ça devient
plus difficile pour l’employeur de sévir contre toi parce qu’en principe, t’es
en droit de refuser la vente. Chez nous, dans notre magasin, 100% des clients
qui font des plaintes sont en état d’ébriété fortement avancé. Ils sont menaçants
et tiennent des propos incohérents.
Je ne sais pas si la dame avait raison de se plaindre contre mon
collègue, je n’ai rien vu du début de l’altercation. Il y a 10 ans, j’aurais
sans doute essayé d’arranger les choses, de calmer la dame, de jouer les
conciliateurs. Mais aujourd’hui, je m’en contre-crisse. Mon collègue aurait été
responsable que je l’aurais quand même appuyé. Serais-tu le Dalaï-lama mec que
je te rentrerais dedans si tu t’en prenais à l’un ou l’autre de mes collègues.
J’ai compris que pour survivre dans c’te putain de milieu c’est de se protéger
l’un l’autre. On est une famille et si tu touches à mon collègue, et même si
mon collègue n’a pas raison, je vais te défoncer la gueule. Dégage de notre
maison et va acheter ta boose ailleurs.
On vend de l’alcool mec, pas des médicaments dans un camp de réfugié en
Somalie.