Perdu quelque part
dans une forêt que je ne nommerai pas, j’avais repéré il y a deux ans une
rivière intéressante dont la particularité première est qu’elle se jette dans
un lac très connu. Je ne nommerai pas non plus ce lac, mais je dirais
simplement que du nord au sud, il se trouve entre le Labrador et Hull, et que
d’est en ouest, il se trouve entre Normétal et Lac Mégantic. (Allez, trouve-le
mec !) Je m’étais promis d’y retourner avec mon canot de marque Cadorette,
fabriqué par des camarades salariés de Trois-Rivières depuis au moins deux
générations et que ce n’est pas de leur faute d’être nés dans le bastion de
Maurice Duplessis. Avec mon pote Éric, nous avons exploré le bras de rivière
qui s’offrait à nous et dans lequel, l’an dernier, j’avais pêché un brochet
gros comme ça avec mes deux pieds sur la berge vu que je n’avais pas de canot
ni même de porte-avion pour naviguer sans fin sur les eaux tumultueuses de
cette extension du paradis. Voilà qu’on se met à pagayer comme des pros,
lançant nos leurres à l’eau tout en maintenant notre direction vers des aventures
sans fins. Et voilà-t-y pas qu’on trouve une passe à gauche, avec un léger
courant qui nous dit que mes amis, de l’autre côté de cette passe se trouve
peut-être quelque chose de beau. Bien sûr, et parce que nous sommes des mecs,
c’est à dire des êtres incapables de se contenter du bonheur tout simple qu’ils
ont dans les mains, on se dit comme ça « allons remonter ce courant pour
aller voir si, de l’autre côté, il ne s’y cacherait pas un bonheur tout simple
encore plus beau que celui que nous avons entre les mains présentement ».
Aussitôt dit, aussitôt fait. On remonte le courant, risquant nos vies 345 fois,
(oui bon, c’était un petit courant de rien du tout et tout à fait inoffensif, mais
t’as pas besoin de connaître les vrais détails sinon ça te fait juste une
histoire de chat de plus à lire sur FB. Tandis que là, avec mon sens du suspens
et ma montée dramatique, t’as un texte poignant à te farcir qui va t’amener de
l’autre côté du subjonctif. J’sais pas trop ce que ça veut dire, mais ça me
plait. Pas toi ? Ah bon.) On risque de chavirer je disais, on s’accroche
comme des bêtes à nos pagaies, on rame comme des forcenés, on jette du lest
pour ne pas caler, on rencontre des cyclopes géants qui veulent nous interdire
le passage en nous balançant des morceaux d’autoroute sur la gueule qu’on évite
en faisant des zigzags, on mystifie des témoins de Jéhovah qu’on ne sait pas
trop pourquoi ils sont là mais qu’ils veulent nous vendre des abonnements à
leur magazine La Tour de Garde. Une folle épopée si vous voulez tout savoir. Et
on arrive finalement de l’autre côté du courant sains et saufs. Là, on découvre
que la rivière forme un espèce de lac avec une île tout au milieu. Et de
l’autre côté de l’île, tout au bout, t’as un rapide fiévreux, nerveux, enragé
même, qui te balance de l’eau en veux-tu en voilà. Et tout autour de l’île, du
Brochet, petits et gros. Mais si tu vas du côté sud, là où le soleil d’après
midi ne plombe pas, t’as de la perchaude grosse comme ça. Tabarnak mec, c’est
le paradis ici ! On dirige notre canot sur l’île et on accoste comme
Jacques Cartier, Christophe Colomb ou ch’sais pas qui. Tu veux planter une
croix toi ? Pas moi. Je veux juste trouver un endroit pour être bien. Là
où y a une croix, y a de la guerre. Décâlisse ta croix. Faisons de cette île
une entité sans dieu ni maître. Amenons y plutôt des potes, des amis, des
frères et des sœurs. Et puis de du vin.
Bonjour, mon nom est Varice et Versa et voici mon blog. T'es pas content? Mais j'en ai rien à foutre ducon!
lundi 22 juin 2015
vendredi 19 juin 2015
BBQ
12 heures de boulot
dans le cul et 30 secondes après la fermeture, t’as ce moron (avec sa moronne)
qui supplie pour qu’on le laisse entrer acheter sa putain de bouteille de
Captain Morgan Spiced. Avant, il y a bien longtemps, on le faisait parce que
nous avons bon cœur et qu’on se mettait à leur place. 30 secondes de retard,
merde, ce n’est rien. Quand tu sais ce que tu veux et que tu respectes les
honnêtes travailleurs, ouais, ce n’est rien. Mais quand t’es un moron, un
douche bag, une pétasse ou une jeune princesse-proute qui se fout du monde, ça
devient quelque chose. Tu les laisses entrer et ils font leur magasinage comme
s’ils avaient tout leur temps. Et quand t’as l’outrecuidance de leur demander
poliment de se dépêcher, ils s’offusquent et font du grabuge. Ils se sentent
insultés et ne comprennent pas pourquoi tu ne te prosternes pas devant eux
parce que finalement, tu n’es qu’un fonctionnaire de merde payé par leurs
taxes. Du coup, on a cessé de faire entrer la faune après 22h.
Mais le mec ce soir,
j’avais l’impression qu’il était prêt à tuer pour avoir sa bouteille. En
principe, c’était au gardien de sécurité de gérer le bordel. Mais il faut
savoir qu’entre une plante verte et les gardiens de sécurités qu’on nous
refile, la plante verte est généralement plus active. Ou en tout cas,
socialement plus animée. C’est donc moi qui étais aux premières lignes. J’ai
donc reçu ma première menace de mort de l’année. Une belle à part ça. Elle
allait comme suit : « Toé, t’en a plus pour longtemps à vivre ».
Avec le doigt pointé, l’œil torve et tout le langage corporel qui va avec. Curieusement,
c’est la première fois que ça ne m’atteignait pas. (Il faut croire qu’on
s’habitue à tout, même à ça). Je lui ai alors montré la caméra de surveillance
tout en lui expliquant calmement qu’il venait de me menacer, que sa face était
déjà enregistrée en gros plan, que sa plaque de voiture était aussi sous caméra
et que je n’avais qu’à appeler la police pour que ne commence le jouissif
processus d’enquête qui les mèneraient jusqu’à chez lui. On dirait que cette
phase de notre discussion l’a calmé. Il s’est alors excusé, le ton a baissé et
on a pu échanger calmement. (Même s’il bloquait toujours la porte et que je ne
pouvais la refermer). Il n’en démordait toujours pas et juste parce que je
voulais vraiment que ça arrête, je lui proposé de me donner l’argent cash en
échange de la bouteille. Il m’a donné un billet de 50$ mais les caisses étaient
déjà retirées et je ne pouvais pas lui rendre la monnaie. (Environ 25$). Je lui
ai refilé la bouteille en lui disant de revenir demain pour reprendre la
balance de son paiement. Il a prit sa putain de bouteille en me disant de
garder le tout. Son 25$ de pourboire, on va se le garder comme premier montant
du BBQ au gaz qu’on veut s’acheter pour le magasin. On va se payer ce luxe
grâce aux morons retardataires. Dans moins de deux semaines, on aura un super
BBQ.
mardi 16 juin 2015
Machins de la journée.
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Pendant mon dîner,
dans le parking arrière, dans ma voiture. Ben ouais, c’est moche, je sais, mais
tout le quartier est moche ici.
Tiens, une mouette à
une patte. Elle m’observe, espérant sans doute que je ne lui balance une frite
ou un bout de pain. En fait, que je lui balance n’importe quoi. Ces bestioles
sont du genre plutôt vorace. Je lui balancerais une clé à molette qu’elle me la
boufferait. Elles sont comme ça les mouettes. T’as pas remarqué ?
Une patte donc. Elle
se tient en parfait équilibre, ce qui laisse croire qu’elle se l’est fait
couper il y a quelque temps. On dirait qu’elle ignore complètement qui lui
manque un bout.
J’imagine la
scène : en voulant manger un restant de bigmac qui trainait par terre, une
voiture lui passe sur la patte et l’arrache d’un coupe sec. La voiture se gare
et le conducteur entre dans le Macdo. Pendant ce temps là, la mouette cri de
douleur. Ça fait mal ! Aïe ! Aïe ! Aïe que ça fait mal !
Mais son regard est soudainement attiré par quelque chose de collé sur le pneu
de la voiture. Tiens ? On dirait une patte de mouette ! Hmmmm c’est
bon de la mouette ! Et oubliant sa patte arrache, claudiquant sur une
seule patte, la mouette s’en va manger la patte de mouette collée sur le pneu.
Ce n’est pas une
belle histoire ça ?
Mais si !
***
Jeb Bush, le fils et
le frère des deux autres morons, a traité Vladimir Poutine de brute, ce qui me
fait bien rire considérant le nombre de civils tués par son frère et son père.
Jed se présentera
comme candidat à l’investiture républicaine et pourrit devenir le prochain
président Bush.
Au reste, j’en ai un
peu marre de voir la presse occidentale relayer le message officiel de
Washington au sujet de la Russie. Calculons le nombre de pays attaqués par la
Russie vs ceux attaqués par les USA depuis l’arrivée de Poutine. On verra qu’il
n’y a même pas photo. La Crimée et l’Ukraine, on s’entend, ne furent pas des
actions dites d’envahissements, mais bien de protection territorial du
pays. Certes, ce n’était pas élégant et pas des plus diplomatique, mais ces très
différent de l’Irak et de l’Afghanistan où là, ouais, on peut parler d’invasion
pure et simple.
Enfin, bref, cette
manipulation systématique de l’information relayée jusque dans nos journaux
Québécois finit par me rendre extrêmement douteux du professionnalisme de nos
journalistes. Jamais de contre poids, jamais de rectification, jamais de doute
sur ce qu’ils collectent sur leur fil de presse.
Les Russes sont les
méchants, et les Américains sont les bons.
Ben kin !
***
Plus tard dans la
soirée, sur mon balcon avec un petit blanc à bas prix.
Bon, juste avant de me
coucher et parce que j’adore parfois relancer des débats inutiles sur des
sujets qui ne changeront en rien le cours du baril de pétrole, je souligne pour
les amateurs finis (et dévots) de Saint Carey Price que celui-ci, en séries,
possède une fiche globale de 23 victoires et 27 défaites. Peu importe les
arguments sur son EXTRAORDINAIRE technique, force est de constater qu’une fiche
de 23-27, ben mon gars, c’est une fiche perdante. Rajoutons à cela que son %
d’efficacité n’est que d’un très faible .912 et que sa moyenne de buts accordés
par match est de 2.62. Autrement dit, et en regardant uniquement ces statistiques,
le mec, c’est une merde. C’est un jambon. C’est une passoire ! C’est un
cap ! Que dis-je, c’est un
cap ? ... c’est une péninsule ! Les
bigots du cerbère amorphe qui, naguère, vomissait sa vodka sur les réseaux
sociaux la veille d’un match pendant que Halak sauvait les meubles diront sans
doute quelque chose comme « oui mais… » suivit d’une circonstance
atténuante. Que, par exemple, on pourrait faire dire n’importe quoi aux
statistiques. Or, avec d’autres statistiques qui leur convenaient parfaitement,
ces mêmes adorateurs un peu en manque de vie sociale osèrent affirmer plus tôt
cette année que leur Saint Patron aurait battu le record de victoires de Dryden
et Plante, même si l’ajout des prolongations et des tirs de barrages en saison
régulière viennent complètement bafouer cette donnée. J’ajouterais, pour
tourner le fer dans la plaie, que Halak, et en se promenant d’une équipe à
l’autre avec son petit baluchon sur le dos, a une bien meilleure fiche que
Saint Carey. (.924 de % d’efficacité et 2,39 de moyenne) Ce n’est pas le Pérou,
mais c’est mieux que le jambon Price supposément le meilleur du monde et du
cosmos et de toute l’histoire entière depuis le Big Bang et même avant, du
temps de l’anti matière et des machins qu’on ne sait même pas comment ça
s’appelait tellement on manque de vocabulaire pour décrire l’indicible.
Autrement dit, et statistiquement parlant, t’as plus de chances de gagner en
séries avec Halak qu’avec Price. En passant, Jonathan Quick, même âge et même
repêchage (2005) que Price, possède dans sa besace deux coupes Stanley. Quick
et Price ont 29 ans. On dit que les gardiens se développent plus tard. C’est de
la merde si vous voulez mon avis. Quick a gagné sa première coupe à 26 ans.
Dryden à 23 ans, Brodeur à 22 ans et Roy à 20 ans. Au même âge que Price, et en
seulement 5 saisons, Dryden avait déjà 3 coupes Stanley, 2 Vézina, 1 Calder et
1 Conn Smythe.
lundi 4 mai 2015
Truites dans la rivière
Un coin de la rivière un peu secret où il y a de la truite grosse comme
ça. À cet endroit, la rivière forme un espèce mini lac entre deux rapides très
vifs. Au printemps, la truite se trouve là. Elle profite des sédiments que le
courant transporte pour se gaver. Elle y restera jusqu’à la mi juin à peu près.
Après juin, tu risques de n’attraper que des coups de soleil.
Mais attends, pour s’y rendre n’est pas aussi évident que ça laisse
paraître.
D’abord parce que le terrain appartient à un mec et que le mec y a un
chalet juste à côté. Même si la partie du terrain n’est pas déboisée et est
touffu comme une forêt vierge, c’est quand même un terrain privé mec. Quand tu
y vas avec ta canne à pêche, ta puisette et ta petite glacière contenant deux
bières froides, si tu te fais choper, tu ne peux pas te défendre en disant
« je me suis perdu en faisant ma promenade ». C’est évident que tu te
rends là pour pêcher. Et le mec, y veut pas.
Y sont comme ça les méchants.
Il faut passer par un terrain où c’est écrit « terrain
privé » sur à peu près tous les arbres que tu croises. Autre raison que tu
ne peux te défendre en disant « J’savais pas ». Le mec, le
propriétaire, c’est du genre parano 100% jus certifié ISO 9002. Ça donne du
piquant à ton aventure. Mais pour la truite, faut ce qui faut mec.
Mais l’idéal, c’est d’y aller en semaine parce que le propriétaire ne
va à son chalet que la fin de semaine. Il y a un endroit un peu plus bas où tu
peux garer ta voiture en toute légalité parce que c’est le stationnement public
pour aller se promener dans les sentiers qui s’entortillent sur des km dans la
forêt. Tu sors de ta voiture et tu te mets à marcher sur la route en suivant la
montagne. Tu passes inévitablement devant le chalet du parano. S’il a sa chaîne
qui bloque son entrée de chalet, tu sais qu’il est absent. Si la chaîne n’est
pas là, va même pas essayer et rebrousse ton chemin. Mais ce matin, la chaîne
était bien là.
Il y a un petit galet escarpé que tu dois grimper pour te rendre sur le
terrain du mec. T’attends le moment où il n’y a pas de voiture et tu fonces. Le
galet est facile à franchir. Après quoi, tu te retrouves dans la partie boisée
de son terrain. Va tout droit et ne te pauses même pas de question. Tu vas
tomber pile sur la rivière. T’as même une petite échelle en bois pour t’aider à
te rendre sur le galet qui surplombe la rivière. C’est là qu’il faut pêcher.
Dès mon premier lancer ce matin, paf ! Une touche qui a fait
vibrer ma ligne comme tu ne peux même pas imaginer. C’était une grosse truite.
En ramenant mon leurre, je l’ai vu à la surface de l’eau qui se débattait comme
une damnée. Au moins une livre et demi facile. Mais la coquine a donné un coup
de travers et a coupé ma ligne ! Fuck ! Shit ! Marde !
Oublie celle-là pour le reste de la journée mec. Elle va passer les prochaines
heures à essayer de se débarrasser de l’hameçon qu’elle a de coincée dans la
gueule. Elle ne mordra plus. D’ailleurs, il n’y a plus rien qui a mordu pendant
les deux heures que j’y suis resté. Va savoir mec, c’était peut-être son
territoire et elle avait chassé toutes les autres truites qui essayaient de lui
piquer son spot à bouffe. Sont comme ça les truites des fois.
Autre endroit mais dans la même rivière et plus tard dans la journée.
Près du chalet, t’as un point d’arrêt pour les voitures qui borde la rivière.
Continue de marcher vers le village et sur ta gauche, tu trouveras un peu plus
loin une descente qui donne sur une sorte de refoulement de la rivière où
viennent s’échouer tous les débris que la crue a ramassés sur les berges lors
de la débâcle. T’as assez de bois à cet endroit pour te construire un cabanon.
Va ensuite un peu sur ta droite, là où t’as un ruisseau printanier qui déverse
dans la rivière l’eau des montagnes. Tu trouveras une petite péninsule de
pierres. Dépose ton barda de pêche et lance ta ligne au pied du courant qui se
trouve juste en face de toi. Premier lancer vers 15h45 cet après midi…
bang ! Une touche de fou mais j’en perds mon ver. Mal accroché. Ça
m’arrive souvent au printemps, la rouille de l’hiver que je dois faire
disparaître. Que veux tu. Après une vingtaine de lancers, je perds trois ou
quatre vers. On dirait que ma proie aspire le ver sans le croquer. Elle font ça
les truites parfois. Je modifie donc ma technique et j’enfile mon hameçon dans
le lombric et je le sors carrément en le laissant libre. Si la truite attaque
encore par aspiration, elle va forcément gober mon hameçon. Et ça marche !
Je prends une belle moucheté d’un quart de livre, la même qui avait gobé tous
mes vers parce que je les ai retrouvé intacts dans son estomac quand je l’ai
nettoyé.
Après ça, comme le matin, plus aucune touche. J’ai l’impression qu’elles
se partagent les parties nourrissantes de la rivière et que si tu en prends
une, tu n’en prendras plus d’autre. J’y retourne la semaine prochaine. Je vous
en reparlerai.
Si vous êtes gentils.
dimanche 12 avril 2015
De l'inconvenance d'aborder des inconnus en leur parlant de ces intimes choses de la vie.
Notre succursale, et je crois l’avoir déjà dit ici ou alors c’est que
je souffre d’un début précoce d’Alzheimer, est plantée dans un secteur
particulièrement chaud de Montréal.
Chaud comment ? Bah, heu, disons que lorsque les médias rapportent
le décès par balle d’un de ces caïds de gang de rue, ça signifie pour la
succursale une perte nette dans les revenues annuelles. Ils sont tous clients
de notre magasin. Que ce soit les Bleus, les Rouges, les Creeps ou les Bo-Gars
(que je ne sais même plus d’ailleurs si c’est encore des dénominations
existantes), ils viennent tous s’approvisionner dans nos murs. Sauf à trois ou
quatre occasions dans les dix dernières années, aucun rixe n’a éclaté sur le
plancher de vente. Pas cons les mecs, ça leur prend un terrain neutre pour
acheter le rhum et la vodka nécessaire à leur quotidien. Notre magasin, c’est
un peu leur Suisse à eux si vous voulez une image plus concrète. On ne voit pas
leurs outils de travail prohibés, mais on sait qui d’entre eux les portent et
qui ne les portent pas. Mes collègues Haïtiens m’ont beaucoup aidé à développer
l’œil et le nez pour savoir qui de celui-ci ou de celui-là devrais-je ou non
vouvoyer avec révérence. Généralement, et lorsqu’un type armé entre dans le
magasin, mon collègue Haïtien va me dire « lui c’est un tannant avec un
outil ». Lire : lui c’est un
dangereux armé.
Mais bon, ça arrive aussi (souvent) que ça chauffe, surtout les
vendredis et samedis soirs, et que l’endroit devienne un lieu où le petit blanc
innocent qui s’y rendrait par hasard s’y trouverait fort inconfortable. Mais
j’aime bien cette ambiance. Ça t’as quelque chose du Far West qui ne me déplaît
pas.
Depuis trois ans, on a un gardien de sécurité venant d’une agence
privée. Il se pointe de 18h jusqu’à la fermeture. Un gardien de sécurité, et le
mot le dit, c’est pour maintenir la sécurité des lieux.
En principe.
Le problème avec ces agences de sécurité, c’est qu’ils doivent
embaucher beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde pour couvrir
l’ensemble de leurs contrats. Et leurs contrats sont très variés. Ici, dans ce
grand bureau d’avocats du centre-ville, ça prend un gardien de nuit qui ne sera
là que pour s’assurer que le feu ne prendra pas dans les filières à dossiers.
Là, dans ce bar à la mode de la rue Saint-Laurent, ça prend deux ou trois
gardiens pour interdire l’accès aux cokés à 2h du matin. Dans le premier cas,
un vieillard suffit. Dans le second, ça te prend des mecs avec des bras gros comme
des troncs d’arbres.
Et ne va pas mélanger les deux contrats.
Comme c’est un métier qui, sommes toutes, ne nécessite pas un long
cursus scolaire et comme t’as beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de
contrats à gérer, forcément, tes critères d’embauches sont parfois un peu
relâchés. Autrement dit, le nombre prime souvent sur la qualité. Ce qui fait
que c’est un milieu où tu peux trouver des tas de gens pathologiquement et
anthropologiquement très intéressants. Des cas d’espèce comme on dit. Fascinant
à observer, passionnant à analyser, mais bien souvent complètement inaptes à
occuper la fonction dans notre succursale.
Ils ne sont pas tous comme ça, faut pas généraliser. T’as des tas de
gens compétents, des étudiants qui combinent leurs études avec ce boulot. T’as
des nouveaux arrivants qui en sont à leur premier emploi au Québec. T’as aussi beaucoup
d’Haïtiens scolarisés parce que le milieu du travail Québécois, comme dans la
plupart des pays occidentaux, est un brin raciste à la base (Mais si ! Allez,
faut le dire.) Mais t’as aussi beaucoup de personnes qui sont embauchées parce
qu’en 2015, les plantes vertes n’ont pas encore la faculté motrice de
signer un contrat de travail. C’est comme ça, faut le dire.
Mais il est arrivé que nous ayons pu compter sur des mecs supers
compétents et très au courant des us et coutumes de ce monde fascinant. L’un de
ceux là était issu de la communauté et tout le monde le connaissait et lui, ben
merde, il connaissait tout le monde. Même les soldats des gangs de rue
l’appelaient par son prénom. Il m’avait dit « Si je salue de la tête un
type, ça veut dire qu’il en est. Si je salue un type en lui donnant une poignée
de main, ça veut dire qu’il en est et qu’il a des responsabilités. Si je salue
un type en lui faisant l’accolade, ça veut dire qu’il en est et que c’est un
chef ». Avec lui, nous étions vraiment en sécurité. Jusqu’au jour où le
chef des chefs s’est fait descendre de 6 balles, dont 5 dans le visage. On ne
sait trop pourquoi, mais du jour au lendemain, un contrat a été mis sur la tête
de notre gardien de sécurité et on ne l’a plus jamais revu ni dans le magasin,
ni à l’agence de sécurité, ni dans la communauté.
C’est comme ça dans notre succursale.
L’autre soir, le gardien qu’on nous avait envoyé avait une voix de
crécelle malgré ses 62 ans. On aurait dit une soprano Ukrainienne qui aurait
été malade dans son enfance. Pas de blague, il parlait comme une souris géante.
Et puis pas tout à fait connecté sur la planète terre le mec si vous voulez
tout savoir. Un gentil monsieur, certes, mais pas vraiment apte à occuper cette
responsabilité dans cette succursale un peu chaude, si vous voyez ce que je
veux dire. Je vous donne un exemple au hasard, comme ça et parce que vous êtes
bien gentils de me lire.
Pendant que je replaçais les bouteilles dans la section des spécialités,
Barolo et Bordeaux à $ 200, voilà-t-y pas qu’il se ramène dans ma direction et
qu’il commence à me parler comme si je le connaissais depuis 40 ans. Comme ça,
sans transition ni préambule, sans même se présenter ni dire quelque chose
comme « bonsoir, comment ça va ? », il me lance avec sa voix de
souris qu’il a été opéré pour je ne sais quel machin à l’intestin et qu’il a
perdu l’équivalent de deux litre de sang par le rectum. Si, si, mesdames et
messieurs, par le rectum. Comme on dit, ça rend un peu les rapports sociaux
malaisés. Tu voudrais répondre quelque chose de circonstance que ça ne te vient
pas à l’esprit. Et d’abord, tu commences par quoi ? Les deux litres de
sang ou le rectum ? Vas y mec, donne moi une réponse parce que personnellement,
je ne sais pas. Et dis toi qu’il te raconte ça avec sa voix de castra qu’on
aurait dit une souris 5 pieds et 8 pouces qui se serait prise dans un piège
avec une meule à fromage grosse comme ça comme appât.
Deux litres de sang par le cul, quand même, ce n’est pas rien. Je ne
connais pas grand chose dans le domaine complexe des hémorragies rectales et
pour tout dire, ça me convient parfaitement comme ça. Il existe des réalités
ici bas pour lesquelles je préfère en effet me garder une méconnaissance
rassurante. Parfois, ne pas savoir aide à trouver le sommeil. C’est pour ça
qu’essayer de créer une complicité en initiant une conversation avec ce lourd
sujet me semble être un cas de classe mondiale si vous voulez mon avis franc et
entier. Médaille d’Or aux Olympiques des weirdos si ça existait.
Mais pourquoi d’entrée de jeu le mec m’a parlé de ça ? Il pensait
quoi ? Que j’allais arrêter mon boulot et me pencher très sérieusement sur
l’avenir incertain de son orifice déficient ?
Y a des gens, je vous jure. On se demande comment ils font pour
survivre en société. Et je me suis demandé si j’étais le seul inconnu à qui il
en avait parlé. Je veux dire, le mec, pour lui, c’est un sujet hot qui lui
donne l’impression de capter l’attention de son interlocuteur. Oui bien sûr,
l’attention, il la capte et pas qu’à peu près. Sauf que ça ne va pas vraiment
dans la direction souhaitée. T’imagines s’il aborde les filles de la même
manière en pensant qu’il se donne une forte part de prestige ?
T’es dans une soirée mondaine et voilà qu’on te présente, j’sais pas
moi, disons Monica Bellucci. C’est ton jour de chance parce que va savoir
pourquoi, elle te regarde avec ce je ne sais quoi de pétillant dans la pupille.
Tu lui tends la main et tu lui dis comme ça « Bonjour Monica. On ne se
connaît pas mais je me suis fait opérer pour les intestins. J’ai coulé du cul
après ça. 2 litres de sang. Au fait, ça te dirait de venir souper avec moi ce
soir ? »
Pas sûr mec, pas sûr.
mercredi 8 avril 2015
Coin Jarry et St-Michel
Ce type au coin de St-Michel et Jarry, juste avant la Métropolitaine.
Tous les matins, au feu rouge, il marche entre les voitures en tendant la main.
C’est son territoire. Fidèle au poste, c’est son boulot. Il doit avoir une
trentaine d’années. N’a pas la dégaine d’un clodo. Au contraire, on dirait un
chef d’équipe de je ne sais quel groupe de vendeurs ambulants. J’ai un peu de
difficulté avec lui parce que lorsque tu ne lui donnes pas, il te fait une
gueule comme si t’es le dernier des immondes.
Forcément, ça vient de chercher. Ne serait-ce qu’une fraction de
seconde. Et forcément aussi, tu lui en veux de te faire sentir comme ça.
Du coup, à chaque matin, à
chaque feu rouge, te viennent des idées de lui mettre ton poing dans la
gueule pour qu’il cesse de jouer ta mauvaise conscience quotidienne.
Et tu t’en veux.
Moi je suis coincé dans le système et je fais tout pour m’en sortir.
Lui, il s’est sorti du système mais compte sur toi, qui est dans le
système, pour se faire du fric.
J’ai le choix de lui donner ou pas et je ne lui donne pas parce qu’il
me fait chier. Je donne à d’autres. Je choisi mes pauvres comme on dit. Les
plus vieux surtout, ou les plus maganés. Mais lui, il me gosse solide. Je me
sens agressé quand il me fait son personnage d’affamé à deux doigts de crever
de faim. Ça fait au moins 3 ans qu’il tient pignon sur ce même coin de rue. Si
ce n’était pas payant, il ne serait plus là non ?
Mais ce n’est pas ça que je veux dire.
Je veux dire que peu importe son attitude, à 8 ans, quand la maitresse
d’école demandait à la classe ce qu’elle voulait faire plus tard, lui, comme
les autres, n’a sûrement pas répondu « quand je serai grand, je veux être
mendiant au coin de Jarry et St-Michel ».
Mais d’un autre côté, je n’y suis pour rien.
Mais d’un autre côté, il a besoin d’aide.
Mais d’un autre côté, je n’y suis pour rien.
Mais d’un autre côté, je ne sais pas ce qui lui est arrivé pour qu’il
se retrouve là.
Mais d’un autre côté, je n’y suis pour rien.
Mais d’un autre côté, le voilà encore, comme à chaque matin, s’amener
vers moi au feu rouge avec sa main tendue.
samedi 4 avril 2015
Maison remplie de ton absence
Je suis à la maison pendant que maman est à Halifax. Je suis passé
prendre le courrier, déblayer un peu le patio de cette dernière neige de cet
hiver qui ne veut pas terminer. Bien sûr, depuis ton départ pour ton voyage de
pêche infinie, je ne m’attendais pas à te retrouver. Mais cette lettre trouvée
au fond de la boîte postale et qui t’es adressée m’a frappé d’un coup sec en
plein dans ma peine.
Je me suis mis à chialer dans cette grande maison vide, mais encore
tellement remplie de toi. Maman a mis une photo de toi sur le recoin du
comptoir de cuisine où vous mettiez habituellement le Père Noël miniature
pendant le temps des fêtes. T’as une tronche de jeunot sur la photo, plus jeune
que ma fille. Dans le salon, il y a une petite boîte avec de la poussière
d’étoiles à l’intérieur et une autre photo de toi juste à côté. Une urne que ça
s’appel. C’est toi qui l’avais personnellement choisie quand tu en étais à
régler tes derniers dossiers concernant ton passage terrestre. Tu avais fait ça
courageusement, avec panache et sans t’empêcher d’y mettre un zest d’humour, ce
qui m’avait littéralement torché. Tu m’avais impressionné cette fois-là.
J’écris péniblement ces lignes à cause des larmes, bien sûr, à cause de
cette douleur incommensurable qui m’étreint et qui perce mon âme, mais surtout
à cause de cette puissante impression que t’es là, tout près, invisible mais
présent et que, comme moi, tu cherches à me parler, à me voir, à me retrouver
mais sans y parvenir.
Comme un chien fou, j’ai tourné en rond dans la maison à la recherche
de je ne sais quoi qui m’aurait aidé à retrouver une parcelle de toi. Ton petit
atelier bordelique au sous-sol n’a pas changé d’un iota depuis ton départ. On a
l’impression que tu viens juste de déposer ton marteau le temps de répondre au
téléphone. En me concentrant fort, peut-être que j’arriverais à te faire
revenir ici, dans ce petit espace que tu aimais tant ? Mais loin de me
soulager, ç’a m’a fait encore plus mal.
Je me suis finalement écrasé sur cette chaise de cuisine où je chiale
et écris en même temps, essayant par des mots silencieux rejoindre l’écho de
ton éternité.
Où que tu sois papa, je t’aime et tu me manques tellement.
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