lundi 22 juin 2015

L'île


Perdu quelque part dans une forêt que je ne nommerai pas, j’avais repéré il y a deux ans une rivière intéressante dont la particularité première est qu’elle se jette dans un lac très connu. Je ne nommerai pas non plus ce lac, mais je dirais simplement que du nord au sud, il se trouve entre le Labrador et Hull, et que d’est en ouest, il se trouve entre Normétal et Lac Mégantic. (Allez, trouve-le mec !) Je m’étais promis d’y retourner avec mon canot de marque Cadorette, fabriqué par des camarades salariés de Trois-Rivières depuis au moins deux générations et que ce n’est pas de leur faute d’être nés dans le bastion de Maurice Duplessis. Avec mon pote Éric, nous avons exploré le bras de rivière qui s’offrait à nous et dans lequel, l’an dernier, j’avais pêché un brochet gros comme ça avec mes deux pieds sur la berge vu que je n’avais pas de canot ni même de porte-avion pour naviguer sans fin sur les eaux tumultueuses de cette extension du paradis. Voilà qu’on se met à pagayer comme des pros, lançant nos leurres à l’eau tout en maintenant notre direction vers des aventures sans fins. Et voilà-t-y pas qu’on trouve une passe à gauche, avec un léger courant qui nous dit que mes amis, de l’autre côté de cette passe se trouve peut-être quelque chose de beau. Bien sûr, et parce que nous sommes des mecs, c’est à dire des êtres incapables de se contenter du bonheur tout simple qu’ils ont dans les mains, on se dit comme ça « allons remonter ce courant pour aller voir si, de l’autre côté, il ne s’y cacherait pas un bonheur tout simple encore plus beau que celui que nous avons entre les mains présentement ». Aussitôt dit, aussitôt fait. On remonte le courant, risquant nos vies 345 fois, (oui bon, c’était un petit courant de rien du tout et tout à fait inoffensif, mais t’as pas besoin de connaître les vrais détails sinon ça te fait juste une histoire de chat de plus à lire sur FB. Tandis que là, avec mon sens du suspens et ma montée dramatique, t’as un texte poignant à te farcir qui va t’amener de l’autre côté du subjonctif. J’sais pas trop ce que ça veut dire, mais ça me plait. Pas toi ? Ah bon.) On risque de chavirer je disais, on s’accroche comme des bêtes à nos pagaies, on rame comme des forcenés, on jette du lest pour ne pas caler, on rencontre des cyclopes géants qui veulent nous interdire le passage en nous balançant des morceaux d’autoroute sur la gueule qu’on évite en faisant des zigzags, on mystifie des témoins de Jéhovah qu’on ne sait pas trop pourquoi ils sont là mais qu’ils veulent nous vendre des abonnements à leur magazine La Tour de Garde. Une folle épopée si vous voulez tout savoir. Et on arrive finalement de l’autre côté du courant sains et saufs. Là, on découvre que la rivière forme un espèce de lac avec une île tout au milieu. Et de l’autre côté de l’île, tout au bout, t’as un rapide fiévreux, nerveux, enragé même, qui te balance de l’eau en veux-tu en voilà. Et tout autour de l’île, du Brochet, petits et gros. Mais si tu vas du côté sud, là où le soleil d’après midi ne plombe pas, t’as de la perchaude grosse comme ça. Tabarnak mec, c’est le paradis ici ! On dirige notre canot sur l’île et on accoste comme Jacques Cartier, Christophe Colomb ou ch’sais pas qui. Tu veux planter une croix toi ? Pas moi. Je veux juste trouver un endroit pour être bien. Là où y a une croix, y a de la guerre. Décâlisse ta croix. Faisons de cette île une entité sans dieu ni maître. Amenons y plutôt des potes, des amis, des frères et des sœurs. Et puis de du vin. 



vendredi 19 juin 2015

BBQ


12 heures de boulot dans le cul et 30 secondes après la fermeture, t’as ce moron (avec sa moronne) qui supplie pour qu’on le laisse entrer acheter sa putain de bouteille de Captain Morgan Spiced. Avant, il y a bien longtemps, on le faisait parce que nous avons bon cœur et qu’on se mettait à leur place. 30 secondes de retard, merde, ce n’est rien. Quand tu sais ce que tu veux et que tu respectes les honnêtes travailleurs, ouais, ce n’est rien. Mais quand t’es un moron, un douche bag, une pétasse ou une jeune princesse-proute qui se fout du monde, ça devient quelque chose. Tu les laisses entrer et ils font leur magasinage comme s’ils avaient tout leur temps. Et quand t’as l’outrecuidance de leur demander poliment de se dépêcher, ils s’offusquent et font du grabuge. Ils se sentent insultés et ne comprennent pas pourquoi tu ne te prosternes pas devant eux parce que finalement, tu n’es qu’un fonctionnaire de merde payé par leurs taxes. Du coup, on a cessé de faire entrer la faune après 22h.
Mais le mec ce soir, j’avais l’impression qu’il était prêt à tuer pour avoir sa bouteille. En principe, c’était au gardien de sécurité de gérer le bordel. Mais il faut savoir qu’entre une plante verte et les gardiens de sécurités qu’on nous refile, la plante verte est généralement plus active. Ou en tout cas, socialement plus animée. C’est donc moi qui étais aux premières lignes. J’ai donc reçu ma première menace de mort de l’année. Une belle à part ça. Elle allait comme suit : « Toé, t’en a plus pour longtemps à vivre ». Avec le doigt pointé, l’œil torve et tout le langage corporel qui va avec. Curieusement, c’est la première fois que ça ne m’atteignait pas. (Il faut croire qu’on s’habitue à tout, même à ça). Je lui ai alors montré la caméra de surveillance tout en lui expliquant calmement qu’il venait de me menacer, que sa face était déjà enregistrée en gros plan, que sa plaque de voiture était aussi sous caméra et que je n’avais qu’à appeler la police pour que ne commence le jouissif processus d’enquête qui les mèneraient jusqu’à chez lui. On dirait que cette phase de notre discussion l’a calmé. Il s’est alors excusé, le ton a baissé et on a pu échanger calmement. (Même s’il bloquait toujours la porte et que je ne pouvais la refermer). Il n’en démordait toujours pas et juste parce que je voulais vraiment que ça arrête, je lui proposé de me donner l’argent cash en échange de la bouteille. Il m’a donné un billet de 50$ mais les caisses étaient déjà retirées et je ne pouvais pas lui rendre la monnaie. (Environ 25$). Je lui ai refilé la bouteille en lui disant de revenir demain pour reprendre la balance de son paiement. Il a prit sa putain de bouteille en me disant de garder le tout. Son 25$ de pourboire, on va se le garder comme premier montant du BBQ au gaz qu’on veut s’acheter pour le magasin. On va se payer ce luxe grâce aux morons retardataires. Dans moins de deux semaines, on aura un super BBQ.

mardi 16 juin 2015

Machins de la journée.

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Pendant mon dîner, dans le parking arrière, dans ma voiture. Ben ouais, c’est moche, je sais, mais tout le quartier est moche ici.



Tiens, une mouette à une patte. Elle m’observe, espérant sans doute que je ne lui balance une frite ou un bout de pain. En fait, que je lui balance n’importe quoi. Ces bestioles sont du genre plutôt vorace. Je lui balancerais une clé à molette qu’elle me la boufferait. Elles sont comme ça les mouettes. T’as pas remarqué ?



Une patte donc. Elle se tient en parfait équilibre, ce qui laisse croire qu’elle se l’est fait couper il y a quelque temps. On dirait qu’elle ignore complètement qui lui manque un bout.



J’imagine la scène : en voulant manger un restant de bigmac qui trainait par terre, une voiture lui passe sur la patte et l’arrache d’un coupe sec. La voiture se gare et le conducteur entre dans le Macdo. Pendant ce temps là, la mouette cri de douleur. Ça fait mal ! Aïe ! Aïe ! Aïe que ça fait mal ! Mais son regard est soudainement attiré par quelque chose de collé sur le pneu de la voiture. Tiens ? On dirait une patte de mouette ! Hmmmm c’est bon de la mouette ! Et oubliant sa patte arrache, claudiquant sur une seule patte, la mouette s’en va manger la patte de mouette collée sur le pneu.



Ce n’est pas une belle histoire ça ?

Mais si !



***



Jeb Bush, le fils et le frère des deux autres morons, a traité Vladimir Poutine de brute, ce qui me fait bien rire considérant le nombre de civils tués par son frère et son père.

Jed se présentera comme candidat à l’investiture républicaine et pourrit devenir le prochain président Bush.

Au reste, j’en ai un peu marre de voir la presse occidentale relayer le message officiel de Washington au sujet de la Russie. Calculons le nombre de pays attaqués par la Russie vs ceux attaqués par les USA depuis l’arrivée de Poutine. On verra qu’il n’y a même pas photo. La Crimée et l’Ukraine, on s’entend, ne furent pas des actions dites d’envahissements, mais bien de protection territorial du pays. Certes, ce n’était pas élégant et pas des plus diplomatique, mais ces très différent de l’Irak et de l’Afghanistan où là, ouais, on peut parler d’invasion pure et simple.



Enfin, bref, cette manipulation systématique de l’information relayée jusque dans nos journaux Québécois finit par me rendre extrêmement douteux du professionnalisme de nos journalistes. Jamais de contre poids, jamais de rectification, jamais de doute sur ce qu’ils collectent sur leur fil de presse.

Les Russes sont les méchants, et les Américains sont les bons.



Ben kin !



***



Plus tard dans la soirée, sur mon balcon avec un petit blanc à bas prix.



Bon, juste avant de me coucher et parce que j’adore parfois relancer des débats inutiles sur des sujets qui ne changeront en rien le cours du baril de pétrole, je souligne pour les amateurs finis (et dévots) de Saint Carey Price que celui-ci, en séries, possède une fiche globale de 23 victoires et 27 défaites. Peu importe les arguments sur son EXTRAORDINAIRE technique, force est de constater qu’une fiche de 23-27, ben mon gars, c’est une fiche perdante. Rajoutons à cela que son % d’efficacité n’est que d’un très faible .912 et que sa moyenne de buts accordés par match est de 2.62. Autrement dit, et en regardant uniquement ces statistiques, le mec, c’est une merde. C’est un jambon. C’est une passoire ! C’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? ... c’est une péninsule ! Les bigots du cerbère amorphe qui, naguère, vomissait sa vodka sur les réseaux sociaux la veille d’un match pendant que Halak sauvait les meubles diront sans doute quelque chose comme « oui mais… » suivit d’une circonstance atténuante. Que, par exemple, on pourrait faire dire n’importe quoi aux statistiques. Or, avec d’autres statistiques qui leur convenaient parfaitement, ces mêmes adorateurs un peu en manque de vie sociale osèrent affirmer plus tôt cette année que leur Saint Patron aurait battu le record de victoires de Dryden et Plante, même si l’ajout des prolongations et des tirs de barrages en saison régulière viennent complètement bafouer cette donnée. J’ajouterais, pour tourner le fer dans la plaie, que Halak, et en se promenant d’une équipe à l’autre avec son petit baluchon sur le dos, a une bien meilleure fiche que Saint Carey. (.924 de % d’efficacité et 2,39 de moyenne) Ce n’est pas le Pérou, mais c’est mieux que le jambon Price supposément le meilleur du monde et du cosmos et de toute l’histoire entière depuis le Big Bang et même avant, du temps de l’anti matière et des machins qu’on ne sait même pas comment ça s’appelait tellement on manque de vocabulaire pour décrire l’indicible. Autrement dit, et statistiquement parlant, t’as plus de chances de gagner en séries avec Halak qu’avec Price. En passant, Jonathan Quick, même âge et même repêchage (2005) que Price, possède dans sa besace deux coupes Stanley. Quick et Price ont 29 ans. On dit que les gardiens se développent plus tard. C’est de la merde si vous voulez mon avis. Quick a gagné sa première coupe à 26 ans. Dryden à 23 ans, Brodeur à 22 ans et Roy à 20 ans. Au même âge que Price, et en seulement 5 saisons, Dryden avait déjà 3 coupes Stanley, 2 Vézina, 1 Calder et 1 Conn Smythe.

lundi 4 mai 2015

Truites dans la rivière


Un coin de la rivière un peu secret où il y a de la truite grosse comme ça. À cet endroit, la rivière forme un espèce mini lac entre deux rapides très vifs. Au printemps, la truite se trouve là. Elle profite des sédiments que le courant transporte pour se gaver. Elle y restera jusqu’à la mi juin à peu près. Après juin, tu risques de n’attraper que des coups de soleil. 
Mais attends, pour s’y rendre n’est pas aussi évident que ça laisse paraître.

D’abord parce que le terrain appartient à un mec et que le mec y a un chalet juste à côté. Même si la partie du terrain n’est pas déboisée et est touffu comme une forêt vierge, c’est quand même un terrain privé mec. Quand tu y vas avec ta canne à pêche, ta puisette et ta petite glacière contenant deux bières froides, si tu te fais choper, tu ne peux pas te défendre en disant « je me suis perdu en faisant ma promenade ». C’est évident que tu te rends là pour pêcher. Et le mec, y veut pas.
Y sont comme ça les méchants.

Il faut passer par un terrain où c’est écrit « terrain privé » sur à peu près tous les arbres que tu croises. Autre raison que tu ne peux te défendre en disant « J’savais pas ». Le mec, le propriétaire, c’est du genre parano 100% jus certifié ISO 9002. Ça donne du piquant à ton aventure. Mais pour la truite, faut ce qui faut mec.

Mais l’idéal, c’est d’y aller en semaine parce que le propriétaire ne va à son chalet que la fin de semaine. Il y a un endroit un peu plus bas où tu peux garer ta voiture en toute légalité parce que c’est le stationnement public pour aller se promener dans les sentiers qui s’entortillent sur des km dans la forêt. Tu sors de ta voiture et tu te mets à marcher sur la route en suivant la montagne. Tu passes inévitablement devant le chalet du parano. S’il a sa chaîne qui bloque son entrée de chalet, tu sais qu’il est absent. Si la chaîne n’est pas là, va même pas essayer et rebrousse ton chemin. Mais ce matin, la chaîne était bien là.

Il y a un petit galet escarpé que tu dois grimper pour te rendre sur le terrain du mec. T’attends le moment où il n’y a pas de voiture et tu fonces. Le galet est facile à franchir. Après quoi, tu te retrouves dans la partie boisée de son terrain. Va tout droit et ne te pauses même pas de question. Tu vas tomber pile sur la rivière. T’as même une petite échelle en bois pour t’aider à te rendre sur le galet qui surplombe la rivière. C’est là qu’il faut pêcher.

Dès mon premier lancer ce matin, paf ! Une touche qui a fait vibrer ma ligne comme tu ne peux même pas imaginer. C’était une grosse truite. En ramenant mon leurre, je l’ai vu à la surface de l’eau qui se débattait comme une damnée. Au moins une livre et demi facile. Mais la coquine a donné un coup de travers et a coupé ma ligne ! Fuck ! Shit ! Marde ! Oublie celle-là pour le reste de la journée mec. Elle va passer les prochaines heures à essayer de se débarrasser de l’hameçon qu’elle a de coincée dans la gueule. Elle ne mordra plus. D’ailleurs, il n’y a plus rien qui a mordu pendant les deux heures que j’y suis resté. Va savoir mec, c’était peut-être son territoire et elle avait chassé toutes les autres truites qui essayaient de lui piquer son spot à bouffe. Sont comme ça les truites des fois.

Autre endroit mais dans la même rivière et plus tard dans la journée. Près du chalet, t’as un point d’arrêt pour les voitures qui borde la rivière. Continue de marcher vers le village et sur ta gauche, tu trouveras un peu plus loin une descente qui donne sur une sorte de refoulement de la rivière où viennent s’échouer tous les débris que la crue a ramassés sur les berges lors de la débâcle. T’as assez de bois à cet endroit pour te construire un cabanon. Va ensuite un peu sur ta droite, là où t’as un ruisseau printanier qui déverse dans la rivière l’eau des montagnes. Tu trouveras une petite péninsule de pierres. Dépose ton barda de pêche et lance ta ligne au pied du courant qui se trouve juste en face de toi. Premier lancer vers 15h45 cet après midi… bang ! Une touche de fou mais j’en perds mon ver. Mal accroché. Ça m’arrive souvent au printemps, la rouille de l’hiver que je dois faire disparaître. Que veux tu. Après une vingtaine de lancers, je perds trois ou quatre vers. On dirait que ma proie aspire le ver sans le croquer. Elle font ça les truites parfois. Je modifie donc ma technique et j’enfile mon hameçon dans le lombric et je le sors carrément en le laissant libre. Si la truite attaque encore par aspiration, elle va forcément gober mon hameçon. Et ça marche ! Je prends une belle moucheté d’un quart de livre, la même qui avait gobé tous mes vers parce que je les ai retrouvé intacts dans son estomac quand je l’ai nettoyé.

Après ça, comme le matin, plus aucune touche. J’ai l’impression qu’elles se partagent les parties nourrissantes de la rivière et que si tu en prends une, tu n’en prendras plus d’autre. J’y retourne la semaine prochaine. Je vous en reparlerai. 
Si vous êtes gentils. 

dimanche 12 avril 2015

De l'inconvenance d'aborder des inconnus en leur parlant de ces intimes choses de la vie.


Notre succursale, et je crois l’avoir déjà dit ici ou alors c’est que je souffre d’un début précoce d’Alzheimer, est plantée dans un secteur particulièrement chaud de Montréal.

Chaud comment ? Bah, heu, disons que lorsque les médias rapportent le décès par balle d’un de ces caïds de gang de rue, ça signifie pour la succursale une perte nette dans les revenues annuelles. Ils sont tous clients de notre magasin. Que ce soit les Bleus, les Rouges, les Creeps ou les Bo-Gars (que je ne sais même plus d’ailleurs si c’est encore des dénominations existantes), ils viennent tous s’approvisionner dans nos murs. Sauf à trois ou quatre occasions dans les dix dernières années, aucun rixe n’a éclaté sur le plancher de vente. Pas cons les mecs, ça leur prend un terrain neutre pour acheter le rhum et la vodka nécessaire à leur quotidien. Notre magasin, c’est un peu leur Suisse à eux si vous voulez une image plus concrète. On ne voit pas leurs outils de travail prohibés, mais on sait qui d’entre eux les portent et qui ne les portent pas. Mes collègues Haïtiens m’ont beaucoup aidé à développer l’œil et le nez pour savoir qui de celui-ci ou de celui-là devrais-je ou non vouvoyer avec révérence. Généralement, et lorsqu’un type armé entre dans le magasin, mon collègue Haïtien va me dire « lui c’est un tannant avec un outil ». Lire : lui c’est un dangereux armé.

Mais bon, ça arrive aussi (souvent) que ça chauffe, surtout les vendredis et samedis soirs, et que l’endroit devienne un lieu où le petit blanc innocent qui s’y rendrait par hasard s’y trouverait fort inconfortable. Mais j’aime bien cette ambiance. Ça t’as quelque chose du Far West qui ne me déplaît pas.

Depuis trois ans, on a un gardien de sécurité venant d’une agence privée. Il se pointe de 18h jusqu’à la fermeture. Un gardien de sécurité, et le mot le dit, c’est pour maintenir la sécurité des lieux.
En principe.
Le problème avec ces agences de sécurité, c’est qu’ils doivent embaucher beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde pour couvrir l’ensemble de leurs contrats. Et leurs contrats sont très variés. Ici, dans ce grand bureau d’avocats du centre-ville, ça prend un gardien de nuit qui ne sera là que pour s’assurer que le feu ne prendra pas dans les filières à dossiers. Là, dans ce bar à la mode de la rue Saint-Laurent, ça prend deux ou trois gardiens pour interdire l’accès aux cokés à 2h du matin. Dans le premier cas, un vieillard suffit. Dans le second, ça te prend des mecs avec des bras gros comme des troncs d’arbres.
Et ne va pas mélanger les deux contrats.

Comme c’est un métier qui, sommes toutes, ne nécessite pas un long cursus scolaire et comme t’as beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup de contrats à gérer, forcément, tes critères d’embauches sont parfois un peu relâchés. Autrement dit, le nombre prime souvent sur la qualité. Ce qui fait que c’est un milieu où tu peux trouver des tas de gens pathologiquement et anthropologiquement très intéressants. Des cas d’espèce comme on dit. Fascinant à observer, passionnant à analyser, mais bien souvent complètement inaptes à occuper la fonction dans notre succursale.

Ils ne sont pas tous comme ça, faut pas généraliser. T’as des tas de gens compétents, des étudiants qui combinent leurs études avec ce boulot. T’as des nouveaux arrivants qui en sont à leur premier emploi au Québec. T’as aussi beaucoup d’Haïtiens scolarisés parce que le milieu du travail Québécois, comme dans la plupart des pays occidentaux, est un brin raciste à la base (Mais si ! Allez, faut le dire.) Mais t’as aussi beaucoup de personnes qui sont embauchées parce qu’en 2015,  les plantes vertes n’ont pas encore la faculté motrice de signer un contrat de travail. C’est comme ça, faut le dire.

Mais il est arrivé que nous ayons pu compter sur des mecs supers compétents et très au courant des us et coutumes de ce monde fascinant. L’un de ceux là était issu de la communauté et tout le monde le connaissait et lui, ben merde, il connaissait tout le monde. Même les soldats des gangs de rue l’appelaient par son prénom. Il m’avait dit « Si je salue de la tête un type, ça veut dire qu’il en est. Si je salue un type en lui donnant une poignée de main, ça veut dire qu’il en est et qu’il a des responsabilités. Si je salue un type en lui faisant l’accolade, ça veut dire qu’il en est et que c’est un chef ». Avec lui, nous étions vraiment en sécurité. Jusqu’au jour où le chef des chefs s’est fait descendre de 6 balles, dont 5 dans le visage. On ne sait trop pourquoi, mais du jour au lendemain, un contrat a été mis sur la tête de notre gardien de sécurité et on ne l’a plus jamais revu ni dans le magasin, ni à l’agence de sécurité, ni dans la communauté.

C’est comme ça dans notre succursale.

L’autre soir, le gardien qu’on nous avait envoyé avait une voix de crécelle malgré ses 62 ans. On aurait dit une soprano Ukrainienne qui aurait été malade dans son enfance. Pas de blague, il parlait comme une souris géante. Et puis pas tout à fait connecté sur la planète terre le mec si vous voulez tout savoir. Un gentil monsieur, certes, mais pas vraiment apte à occuper cette responsabilité dans cette succursale un peu chaude, si vous voyez ce que je veux dire. Je vous donne un exemple au hasard, comme ça et parce que vous êtes bien gentils de me lire.

Pendant que je replaçais les bouteilles dans la section des spécialités, Barolo et Bordeaux à $ 200, voilà-t-y pas qu’il se ramène dans ma direction et qu’il commence à me parler comme si je le connaissais depuis 40 ans. Comme ça, sans transition ni préambule, sans même se présenter ni dire quelque chose comme « bonsoir, comment ça va ? », il me lance avec sa voix de souris qu’il a été opéré pour je ne sais quel machin à l’intestin et qu’il a perdu l’équivalent de deux litre de sang par le rectum. Si, si, mesdames et messieurs, par le rectum. Comme on dit, ça rend un peu les rapports sociaux malaisés. Tu voudrais répondre quelque chose de circonstance que ça ne te vient pas à l’esprit. Et d’abord, tu commences par quoi ? Les deux litres de sang ou le rectum ? Vas y mec, donne moi une réponse parce que personnellement, je ne sais pas. Et dis toi qu’il te raconte ça avec sa voix de castra qu’on aurait dit une souris 5 pieds et 8 pouces qui se serait prise dans un piège avec une meule à fromage grosse comme ça comme appât.

Deux litres de sang par le cul, quand même, ce n’est pas rien. Je ne connais pas grand chose dans le domaine complexe des hémorragies rectales et pour tout dire, ça me convient parfaitement comme ça. Il existe des réalités ici bas pour lesquelles je préfère en effet me garder une méconnaissance rassurante. Parfois, ne pas savoir aide à trouver le sommeil. C’est pour ça qu’essayer de créer une complicité en initiant une conversation avec ce lourd sujet me semble être un cas de classe mondiale si vous voulez mon avis franc et entier. Médaille d’Or aux Olympiques des weirdos si ça existait.

Mais pourquoi d’entrée de jeu le mec m’a parlé de ça ? Il pensait quoi ? Que j’allais arrêter mon boulot et me pencher très sérieusement sur l’avenir incertain de son orifice déficient ?

Y a des gens, je vous jure. On se demande comment ils font pour survivre en société. Et je me suis demandé si j’étais le seul inconnu à qui il en avait parlé. Je veux dire, le mec, pour lui, c’est un sujet hot qui lui donne l’impression de capter l’attention de son interlocuteur. Oui bien sûr, l’attention, il la capte et pas qu’à peu près. Sauf que ça ne va pas vraiment dans la direction souhaitée. T’imagines s’il aborde les filles de la même manière en pensant qu’il se donne une forte part de prestige ? 

T’es dans une soirée mondaine et voilà qu’on te présente, j’sais pas moi, disons Monica Bellucci. C’est ton jour de chance parce que va savoir pourquoi, elle te regarde avec ce je ne sais quoi de pétillant dans la pupille. Tu lui tends la main et tu lui dis comme ça « Bonjour Monica. On ne se connaît pas mais je me suis fait opérer pour les intestins. J’ai coulé du cul après ça. 2 litres de sang. Au fait, ça te dirait de venir souper avec moi ce soir ? »

Pas sûr mec, pas sûr.

mercredi 8 avril 2015

Coin Jarry et St-Michel


Ce type au coin de St-Michel et Jarry, juste avant la Métropolitaine. Tous les matins, au feu rouge, il marche entre les voitures en tendant la main. C’est son territoire. Fidèle au poste, c’est son boulot. Il doit avoir une trentaine d’années. N’a pas la dégaine d’un clodo. Au contraire, on dirait un chef d’équipe de je ne sais quel groupe de vendeurs ambulants. J’ai un peu de difficulté avec lui parce que lorsque tu ne lui donnes pas, il te fait une gueule comme si t’es le dernier des immondes.
Forcément, ça vient de chercher. Ne serait-ce qu’une fraction de seconde. Et forcément aussi, tu lui en veux de te faire sentir comme ça.
Du coup, à chaque matin, à  chaque feu rouge, te viennent des idées de lui mettre ton poing dans la gueule pour qu’il cesse de jouer ta mauvaise conscience quotidienne.
Et tu t’en veux.
Moi je suis coincé dans le système et je fais tout pour m’en sortir.
Lui, il s’est sorti du système mais compte sur toi, qui est dans le système, pour se faire du fric.
J’ai le choix de lui donner ou pas et je ne lui donne pas parce qu’il me fait chier. Je donne à d’autres. Je choisi mes pauvres comme on dit. Les plus vieux surtout, ou les plus maganés. Mais lui, il me gosse solide. Je me sens agressé quand il me fait son personnage d’affamé à deux doigts de crever de faim. Ça fait au moins 3 ans qu’il tient pignon sur ce même coin de rue. Si ce n’était pas payant, il ne serait plus là non ?
Mais ce n’est pas ça que je veux dire.
Je veux dire que peu importe son attitude, à 8 ans, quand la maitresse d’école demandait à la classe ce qu’elle voulait faire plus tard, lui, comme les autres, n’a sûrement pas répondu « quand je serai grand, je veux être mendiant au coin de Jarry et St-Michel ».
Mais d’un autre côté, je n’y suis pour rien.
Mais d’un autre côté, il a besoin d’aide.
Mais d’un autre côté, je n’y suis pour rien.
Mais d’un autre côté, je ne sais pas ce qui lui est arrivé pour qu’il se retrouve là.
Mais d’un autre côté, je n’y suis pour rien.
Mais d’un autre côté, le voilà encore, comme à chaque matin, s’amener vers moi au feu rouge avec sa main tendue.

samedi 4 avril 2015

Maison remplie de ton absence


Je suis à la maison pendant que maman est à Halifax. Je suis passé prendre le courrier, déblayer un peu le patio de cette dernière neige de cet hiver qui ne veut pas terminer. Bien sûr, depuis ton départ pour ton voyage de pêche infinie, je ne m’attendais pas à te retrouver. Mais cette lettre trouvée au fond de la boîte postale et qui t’es adressée m’a frappé d’un coup sec en plein dans ma peine.

Je me suis mis à chialer dans cette grande maison vide, mais encore tellement remplie de toi. Maman a mis une photo de toi sur le recoin du comptoir de cuisine où vous mettiez habituellement le Père Noël miniature pendant le temps des fêtes. T’as une tronche de jeunot sur la photo, plus jeune que ma fille. Dans le salon, il y a une petite boîte avec de la poussière d’étoiles à l’intérieur et une autre photo de toi juste à côté. Une urne que ça s’appel. C’est toi qui l’avais personnellement choisie quand tu en étais à régler tes derniers dossiers concernant ton passage terrestre. Tu avais fait ça courageusement, avec panache et sans t’empêcher d’y mettre un zest d’humour, ce qui m’avait littéralement torché. Tu m’avais impressionné cette fois-là.

J’écris péniblement ces lignes à cause des larmes, bien sûr, à cause de cette douleur incommensurable qui m’étreint et qui perce mon âme, mais surtout à cause de cette puissante impression que t’es là, tout près, invisible mais présent et que, comme moi, tu cherches à me parler, à me voir, à me retrouver mais sans y parvenir.

Comme un chien fou, j’ai tourné en rond dans la maison à la recherche de je ne sais quoi qui m’aurait aidé à retrouver une parcelle de toi. Ton petit atelier bordelique au sous-sol n’a pas changé d’un iota depuis ton départ. On a l’impression que tu viens juste de déposer ton marteau le temps de répondre au téléphone. En me concentrant fort, peut-être que j’arriverais à te faire revenir ici, dans ce petit espace que tu aimais tant ? Mais loin de me soulager, ç’a m’a fait encore plus mal.

Je me suis finalement écrasé sur cette chaise de cuisine où je chiale et écris en même temps, essayant par des mots silencieux rejoindre l’écho de ton éternité.

Où que tu sois papa, je t’aime et tu me manques tellement.