mercredi 8 avril 2015

Coin Jarry et St-Michel


Ce type au coin de St-Michel et Jarry, juste avant la Métropolitaine. Tous les matins, au feu rouge, il marche entre les voitures en tendant la main. C’est son territoire. Fidèle au poste, c’est son boulot. Il doit avoir une trentaine d’années. N’a pas la dégaine d’un clodo. Au contraire, on dirait un chef d’équipe de je ne sais quel groupe de vendeurs ambulants. J’ai un peu de difficulté avec lui parce que lorsque tu ne lui donnes pas, il te fait une gueule comme si t’es le dernier des immondes.
Forcément, ça vient de chercher. Ne serait-ce qu’une fraction de seconde. Et forcément aussi, tu lui en veux de te faire sentir comme ça.
Du coup, à chaque matin, à  chaque feu rouge, te viennent des idées de lui mettre ton poing dans la gueule pour qu’il cesse de jouer ta mauvaise conscience quotidienne.
Et tu t’en veux.
Moi je suis coincé dans le système et je fais tout pour m’en sortir.
Lui, il s’est sorti du système mais compte sur toi, qui est dans le système, pour se faire du fric.
J’ai le choix de lui donner ou pas et je ne lui donne pas parce qu’il me fait chier. Je donne à d’autres. Je choisi mes pauvres comme on dit. Les plus vieux surtout, ou les plus maganés. Mais lui, il me gosse solide. Je me sens agressé quand il me fait son personnage d’affamé à deux doigts de crever de faim. Ça fait au moins 3 ans qu’il tient pignon sur ce même coin de rue. Si ce n’était pas payant, il ne serait plus là non ?
Mais ce n’est pas ça que je veux dire.
Je veux dire que peu importe son attitude, à 8 ans, quand la maitresse d’école demandait à la classe ce qu’elle voulait faire plus tard, lui, comme les autres, n’a sûrement pas répondu « quand je serai grand, je veux être mendiant au coin de Jarry et St-Michel ».
Mais d’un autre côté, je n’y suis pour rien.
Mais d’un autre côté, il a besoin d’aide.
Mais d’un autre côté, je n’y suis pour rien.
Mais d’un autre côté, je ne sais pas ce qui lui est arrivé pour qu’il se retrouve là.
Mais d’un autre côté, je n’y suis pour rien.
Mais d’un autre côté, le voilà encore, comme à chaque matin, s’amener vers moi au feu rouge avec sa main tendue.

Aucun commentaire: