Je n’ai pas popé de Champagne hier. J’aurais trouvé déplacé de fêter la
fin d’une année qui aura vu le départ de mon père.
Tu crois vraiment qu’il y a avait quelque chose à fêter mec ? Tu
me vois tout seule avec ma mère attendre la dernière minute, puis les dernières
secondes et les saluer une par une jusqu’à la dernière, pour ensuite nous
souhaiter Bonne Année avant de faire sauter le bouchon ?
Ça ne s’est pas passé comme ça. On s’est plutôt contenter de manger
ensemble en parlant de tout et de rien, en faisant presqu’exprès pour ne pas
évoquer le sujet, mais chacun avec dans le ventre une sourde hâte de passer ce
cap symbolique et d’effacer enfin ce chiffre maudit sur le calendrier.
Voilà, c’est dernière nous. Comme on ne peut pas revenir dans le passé
et changer les choses, aussi-bien mettre le plus de distance possible entre
nous et cette date de merde. Avançons donc.
Oui bon, d’aucuns diraient qu’il faut justement regarder en avant, saluer
la vie et savourer chaque seconde qui passe parce que justement, tout passe
ici-bas. Oui, oui, j’sais ça et c’est ce que je m’efforce de faire. Mais j’ai
aussi le droit d’être un peu en colère, d’être encore très triste, d’être
envahi de nostalgie au point d’en avoir les pieds qui collent sur le plancher,
que ça me fait trainer le pas, que ça ralenti mes déplacements, que ça retarde
la guérison.
D’ailleurs, se guérit-on jamais de ça ?
J’en doute.
Les moments marquant de 2014 pour moi ? Vas-y mec, t’as le choix,
mais je t’avertis, ce n’est pas jojo.
Au premier rang, bien sûr, t’as cette vision coup de poing du corps de
ton père, mais sans ton père dedans. T’as à peine trois heures de sommeil en 24
heures, on vient de te réveiller, mais tu ne sens déjà plus la fatigue. Ça se
passait à 5h10 du matin. Tu vois cette chose immobile dans le lit, couché sur
le dos, la main droite reposant près du cœur et l’autre allongé près du corps.
La tête légèrement penchée vers la gauche, la bouche formant un léger rictus
qui avait toutes les apparences d’un sourire. Quelque chose qui disait que
malgré sa condamnation des deux dernières années, malgré ce combat impossible,
au bout de la ligne, c’est quand même lui qui gagne sur la maladie. Mourir avec
le sourire, c’est comme faire un bras d’honneur à la mort. Ça veut dire qu’il
s’est bien battu, qu’il est fier de son combat, qu’il aura donné tout ce qu’il
avait à donner, qu’il aura contre toute attente amené ce combat jusqu’au
douzième round, qu’il n’aura jamais plier le genou, qu’il aura surpris son
adversaire, qu’il aura même donné les meilleurs coups pendant quelques rounds,
qu’il ne s’est jamais découragé, qu’il s’est toujours tenu debout, qu’il n’a
jamais cédé un pouce à ce monstre et qu’à la toute fin, sentant son âme
s’échapper de ce corps devenu prison, il a eu la force de sourire pendant que
l’arbitre céleste comptait les neuf secondes.
Au deuxième rang… et puis non, on va s’arrêter là. C’est déjà trop il
me semble.
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