jeudi 18 décembre 2014

P'tit pote

Au détour de son quotidien auto-boulot-dodo, elle est passée à la succursale pour me faire un coucou. Ça faisait quoi ? 6 mois au moins qu’on ne s’était pas vus ? Peut-être plus. En fait, sans doute plus. Le temps passe tellement vite mec. Et puis c’est le genre à disparaître pendant des mois, et des mois, et des mois.
Et puis hop, un bon jour, un petit texto, un petit « coucou » dans ton courriel.
« Comment tu vas mon p’tit pote ? »
C’est chouette de se faire appeler « mon p’tit pote » par une jolie fille qui a l’âge de ta fille. Comment dire ?
Ça t’as un petit soupçon d’éternité qui te fait drôlement du bien quand tu commences à perdre sérieusement tes cheveux, et ta vision, et ton ouïe, et ta mémoire… oui bon, arrêtez moi kékun !

J’étais en train de faire un dépôt quand elle est arrivée. M’a dit de continuer mes trucs, de prendre mon temps, qu’elle allait en profiter pour flâner devant nos produits. Tu penses bien que mon dépôt, je te-me-l’ai expédié vite fait bien fait. Où c’est que t’as vu un gars prendre son temps pour faire une tâche administrative quand la fille qui l’attend n’aurait qu’à se pointer au coin de Peel et de Sainte-Catherine pour créer des carambolages monstrueux ?
Hein ?
Quoi ?
Kess tu dis ?
Belle comment la fille ?

T’as une place pour toi devant elle.
Là, juste là, à ses pieds.
Ça fait de l’ombre.
C’est là où il faut que tu t’allonges.
Ô minable mâle !
Face contre terre.
Les bras en croix.
Pour te soumettre.
Et dire : merci la vie !

Belle comme ça mec, belle comme ça.

Devant l’étalage des spécialités où elle m’attendait, elle me faisait dos et dans mon déplacement plus du tout professionnel pour me rendre jusqu’à elle, j’ai pu la voir de loin et me la bouffer des yeux en me disant que sur les 7 milliards d’individus sur terre, j’étais à cette seconde précise probablement dans le top 10 des plus heureux quinquagénaires qui respirent encore ici bas. Bien sûr, ça ne durera pas parce que t’as le loyer à la fin du mois, les témoins de Jéhovah qui viennent cogner à ta porte les dimanches matin, les abrutis qui voteront encore comme des lavabos aux prochaines élections, mais là, je veux dire là-là, j’étais vraiment heureux. J’aurais pu passer les 20 prochaines années à rester là et à la regarder fouiner les bouteilles de vin.
C’est touchant de regarder une jolie fille qui te dit « p’tit pote » pendant qu’elle fouine dans la bouteille de vin.
Comment dire ?
Ç’a t’as un petit parfum de paradis indescriptible, une puissante émotion qui te fait accepter l’idée que des fois, oui des fois, la vie est belle. Que cette petite pote qui a toujours été si gentille avec toi ne te fera peut-être pas oublier la douleur des êtres disparues, mais qu’à tout le moins, son sourire qui se dessine juste pour toi (juste pour toi mec !) possède la faculté curative d’en atténuer quelques effets.
Quand elle est là, il n’y a plus qu’elle dans ta tête et c’est énorme comme baume sur tes blessures.
Les belles filles comme voilà-t-y pas ma petite pote, c’est une belle invention quand on y pense.

On s’est fait la bise en se prenant dans nos bras. J’étais un peu comme un ado maladroit. Un peu paniqué aussi parce que je ne savais pas trop si je devais la serrer fort, ou juste un peu moins fort, ou carrément pas fort du tout. Ç’a donné quelque chose d’un peu maladroit mais quand même sympathique.
Elle resplendissait devant me yeux qui n’en demandaient pas tant. Après quelques mots de circonstance, je lui ai montré les spécialités et je lui ai dit : choisis ce que tu veux boire. Y avait pas de patron. Et de toute manière, le patron il aurait été là que je n’en aurait rien eut à foutre. Notre succursale, elle est à nous, pas aux patrons. C’est comme ça que ça marche chez nous.
Venez nous voir, on vous paie un coup.

On a opté pour un Gevrey-Chambertin. D’abord parce que c’est un vin que Napoléon adorait. (Il n’en buvait qu’un verre au repas) Et aussi parce que c’était l’un des plus chers que nous avions. Mais on n’a pas eu le temps de le faire respirer et la température n’était pas adéquate. On a donc balancé nos coupes dans le lavabo, comme des millionnaires. J’ai ensuite été piocher dans la réserve personnelle de mon pote et collègue et j’ai sorti de derrière les fagots un Brunello à 60 balles qu’on s’est sifflé tous les deux tranquillement, doucement, pendant que je la regardais être heureuse d’être avec moi.

Elle portait un jean’s serré qui lui faisait un cul d’enfer que tu ne peux même pas imaginer à quel point ça peut être agréable pour les yeux. Et puis un genre de blouse un peu large au niveau du col qui faisait que lorsqu’elle se penchait pour se verser du vin, ou juste pour rire de mes blagues, ou juste pour être bien en se replaçant sur sa chaise, je voyais l’espace d’une seconde le galbe de ses seins naissants qui venait me tuer avec mille couteaux. Et tu te souviens de l’effet sur tes paumes, et des bourrasques rosées sur tes lèvres affamées. C’est où qu’il faut signer les papiers pour se soumettre ? Mais en même temps, que de respect pour ce chef d’œuvre.
Et en plus, oui en plus, elle dit « mon p’tit pote ».

Tas une place devant ses pieds.
Ça fait de l’ombre.
C’est là où il faut que tu t’allonges.
Sur le plancher.
Ou l’asphalte.
Ou la neige.
Face contre terre.
Les bras en croix.

C’est là que J’aurais fais ma maison.

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