mardi 20 janvier 2015

À quoi tu penses ?


J’étais en train de chercher une photo pour la mettre sur le blogue et concocter un petit texte dessus. Je cherchais une photo de pêche parce que ça commence sérieusement à me démanger au niveau de l’avant-bras. Tu sais, quand ça mord et que t’as le brochet au bout de la ligne qui est en tabarnak contre toi et qui ne veut pas aller te voir. C’est ton avant-bras qui prend le gros de sa colère. Arrête de regarder la télé et viens pêcher avec moi, tu vas comprendre.
Je cherchais une photo comme ça. Une avec un lac et de la forêt à l’horizon.
Et puis je suis tombé sur celle-là.


C’est mon père quelques jours avant qu’il s’en aille vers un ailleurs probablement quantique. C’était, je crois, la dernière fois qu’il respirait l’air du dehors. C’était en juin de l’an dernier. Les jours suivants, il allait sérieusement dégringoler au point de ne plus pouvoir se déplacer.
Fauteuil roulant.
Puis lit.
Puis cosmos.


Cette photo est implacable à plusieurs niveaux. D’abord, on y voit les ravages de sa maladie. Là, sur cette photo, il n’a plus que la peau et les os. Mais en comparaison à ce qu’il sera quelques jours plus tard, je dirais que sur ce cliché, c’est un obèse qui s’ignore.
Et puis t’as le regard. À ce moment, l’oncologue a fait sa sale besogne et vient de lui annoncer qu’on ne parle plus en termes de mois, mais de jours.  Malgré ça, regarde moi ce regard ! Regarde moi cette gueule déterminée ! Regarde moi cette lucidité dans la pupille ! Après une très courte perte de contrôle émotive en revenant de chez l’oncologue, quelques larmes versées, quelques regrets évoquées en me tenant fort le bras, c’est cette gueule qui a tout de suite reprise le dessus. Avec des sourires dedans jusqu’à la toute veille de son départ.

À la fin, je le surprenais souvent à le voir ainsi, silencieux, perdu dans je ne sais quel souvenir ou dans je ne sais quel appréhension de ce qui l’attendait au bout de la route. Pendant les deux années où il a combattu cette chienne de l’enfer qui le bouffait par en dedans, je n’ai jamais eu le courage de lui demander cette question pourtant très simple : à quoi tu penses p’pa ?

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