mardi 4 novembre 2014

Tsé, elle.

C’est une collègue de travail qui est un peu plus jeune que ma fille. Je crois qu’elle a 25 ans, quelque chose comme ça. Elle a ce genre de visage qui fait qu’elle peut adopter la coiffure la plus folle qu’elle serait quand même belle à craquer. Même avec un abat-jour sur la tête, elle serait belle.
Il y en a comme ça.
Pas beaucoup, mais il y en a.
C’est p’t’être à cause de ses joues qui sont toutes rondes et qui attirent les bisous.
C’est chouette lui donner des bisous. Et c’est chouette travailler avec elle parce que tu ne peux pas t’arrêter de la regarder être belle. Ça réchauffe et ça te met du soleil de la méditerrané partout.
Dans tes yeux.
Sur ta peau.
Dans ton ventre.
Grrr…
Qu’est-ce qu’elle est belle !
Mais en même temps, merde, qu’est-ce que j’suis vieux !

Ses cheveux, ils sont noirs comme le charbon. Ou alors comme le fond d’un puits. T’as le choix mec. Ou encore, tiens, comme un tableau d’école où t’aimerais bien aller y écrire des équations qui finiraient toujours par 1 + 1 = 2. Mais t’es vieux mec et tu peux juste contempler et te soumettre comme un esclave. Ton équation combinée à vos âges, le tien et le sien, ne peut que donner des éternels 1+ 0 = 1.
T’es hors jeu mec. Depuis à peu près 1993. Calcule. Ça fait 21 ans. Il y a 21 ans, elle en avait à peine 4 et t’en avais déjà 30. Ta calvitie naissait en même temps que son Être.  
Mec, je t’ai déjà dit que la vie est injuste ?
C’est quand qui vont l’inventer la machine à remonter le temps ?
C’est où qui faut signer les papiers ?

Elle touche à la peinture et se démerde drôlement bien. Elle t’as montré des photos de ses toiles sur son cell et t’aurais envie de lui dire de continuer, de se laisser aller, de s’éclater. T’aurais envie de lui dire de ne plus se retenir par des sujets qui sont bien sur le rendu, mais qu’on sent que ces mêmes sujets la retiennent dans sa folie. Un peintre ne peut être libre que lorsqu’il laisse sa folie s’éclater. Quand elle peint, elle suit des dogmes, des schémas, des « c’est comme ça qu’il faut faire ». Alors que son génie se trouve ailleurs, loin des règles et des conventions. Elle cherche encore. Elle pense au lieu de « sentir ». Elle regarde ses toiles au lieu de laisser ses toiles la regarder. Elle impose à sa toile alors qu’elle devrait laisser sa toile lui tenir le pinceau. C’est la toile qui impose, pas l’inverse.
Ça viendra.

Elle est sensible aux choses invisibles de la vie. Ça se sent dans son coup de pinceau. Elle devrait justement laisser parler son pinceau.
Oublier son cerveau que je sais aussi joli que son visage.
Il y en a comme ça.
Pas beaucoup, mais il y en a.

Ses cheveux, je disais qu’ils étaient noirs. Lègue de ses origines italiennes. Elle en a aussi le tempérament. Ne vas pas lui marcher sur les pieds. Tu vas te manger une baffe. Elle m’a déjà fait la gueule il y a deux ou trois ans parce que j’avais fait une blague sur le fait que ce jour là, elle se pognait le beigne sur le plancher. Elle m’avait tellement crucifié de son regard que j’en ai encore les genoux qui claquent. Mais ça n’avait pas duré longtemps parce que je sais qu’elle m’aime bien en tant que vieux cool rigolo même pas menaçant. Elle m’aime bien comme on aime les gros chats dégriffés, fat cat de salon. Le chat opéré et obèse qui est trop vache pour pisser contre les poteaux de téléphone pour marquer son territoire.
Vieux tu dis ?
Mec, je t’ai déjà dit que la vie est injuste ?
C’est quand qui vont l’inventer la machine à remonter le temps ?
C’est où qui faut signer les papiers ?

Son père possède un resto qui est un peu devenu notre QG. Quand on est là, toute la bande, elle aide les serveuses lors du service. Toute pouponnée, tellement belle que t’en saignes par les oreilles, elle vient te voir pour te demander si tu veux du parmesan sur tes pâtes. Mec, du parmesan servit par elle, t’en demanderais jusque dans tes godasses.

Ah oui. Elle a un mec dans sa vie. Un type de son âge que je n’ai jamais rencontré mais qu’on dit super sympa.
Qu’il soit sympa ou pas, j’sais pas.
Sait-il seulement qu’il est un homme totalement chanceux d’être avec une fille comme elle ? Non mais tu sais, y a des mecs comme ça qui croient que la vie est éternelle et qui ne comprennent pas que ce genre de chance n’arrive qu’une fois dans ta vie. Sait-il seulement que des filles comme ça, pour la majorité des mecs, ça ne passe même pas une fois dans leur vie ?


Mais en même temps, merde, qu’est-ce que j’suis vieux !

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