dimanche 16 novembre 2014

Peut-être

De ces pensées qui te font plonger dans de profondes nostalgies, qui te font réaliser que le temps n’est peut-être qu’une abstraction qui se construit d’impressions.

Napoléon, qui pouvait être philosophe à ses heures, a déjà dit que la vie n’était peut-être qu’un songe.

Peut-être.
Ce mot revient si souvent quand on tente de comprendre les raisons de notre passage ici-bas.
Peut-être.
Tout n’est que peut-être.
La vie n’est qu’une suite de peut-être.

Depuis le départ de mon père, je me sens envahi par d’immenses vagues de nostalgies. Des vagues grosses comme ça qui balaient la berge de mes pensées en faisant plier les palmiers et en grugeant les falaises. C’est la bourrasque des souvenirs perdus qui submerge et engloutie le temps présent. Quand cette nostalgie se retire à la marée basse, la plage se remplie de petites et grandes épaves de mes années vécues.

Certaines de ces images sont si concrètes que j’en arrive même à sentir les odeurs. De ce logement-ci par exemple, le premier, celui sur la rue Rachel avec mes deux potes. Profond parfum d’automne, de feuilles mortes, d’eau de pluie, de terre mouillée surmonté d’un zest de poussière parce qu’on ne passait jamais l’aspirateur. Odeur de toasts brûlés, de cigarettes refroidies, d’encre de Chine et de peinture acrylique. De tout ça et puis aussi du parfum de Sylvie qui m’avait montré des tas de trucs qui ne s’apprennent pas dans les livres de philosophie.
Échos olfactifs d’une vingtaine qui s’entamait.

Peut-être que tout ça n’a jamais existé.
Peut-être que ça ne fut construit que dans ma tête.
Peut-être même que je ne suis pas là.
Que je suis un songe.
Que tout ceci n’est qu’un songe.
Même vous.
Peut-être.

Mon père qui fut n’est plus. J’ai peine à digérer tout ça. Il existe des preuves de son passage pourtant. Photos, vêtements, objets, mais ce ne sont plus que des artefacts sans âme qui parlent d’une époque passée. Le sujet qui s’accordait à ces choses a disparu par une nuit de juin. Son corps froid abandonné par sa substance intérieure, comme une enveloppe vidée de sa lettre, de cette correspondance qui nous rattachait à lui, reposait sur le dos, inerte.
Et nous pleurions tout autour du lit.

Submergé de souvenirs et de nostalgie. Et parlant de celle-ci, de la nostalgie, c’est vrai qu’après des deuils de la sorte, elle n’est plus ce qu’elle était. Elle te ramène à la fragilité de toutes choses, à l’éphémère. De ces jours heureux où je formais une famille unie avec ma femme et ma fille, de ces jouets qui traînaient dans la maison, de ce brouhahas fantastique à l’heure du souper, de ce bonheur incommensurable qui est là, présent, débordant, mais qu’on ne voit pas nécessairement parce que la seconde présente nous fait croire à une forme de normalité. Et ce qui est normal n’est pas nécessairement remarquable. Ce n’est qu’avec les années et la somme de nos chagrins que l’on réalise que le bonheur vécu ici-bas s’éparpille tout au long de notre vie en petites grappes épares et d’apparences anodines, mais qui prennent toutes leurs saveurs que lorsqu’ils n’existent plus.

Peut-être que le deuil apporte une part de réponse. Peut-être qu’il faut des départs pour que ceux qui restent comprennent certaines des substances invisibles de ce qui EST. Ces assauts répétés de nostalgies depuis juin dernier doivent surement construire quelque chose de nouveau en moi. Mais pour l’instant, je ne vois rien et je ne comprends toujours pas. Je sais simplement que je ne suis plus un enfant et que la fin se rapproche inexorablement.

Peut-être que tout ceci n’aurait été qu’un rêve finalement.
Un rêve vécu physiquement et que l’agonie qui nous attend tous, là-bas, au bout de cette route, n’est que le premier sursaut de l’éveil.

Peut-être.

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