De ces pensées qui te font plonger dans de
profondes nostalgies, qui te font réaliser que le temps n’est peut-être qu’une
abstraction qui se construit d’impressions.
Napoléon, qui pouvait être philosophe à ses
heures, a déjà dit que la vie n’était peut-être qu’un songe.
Peut-être.
Ce mot revient si souvent quand on tente de
comprendre les raisons de notre passage ici-bas.
Peut-être.
Tout n’est que peut-être.
La vie n’est qu’une suite de peut-être.
Depuis le départ de mon père, je me sens
envahi par d’immenses vagues de nostalgies. Des vagues grosses comme ça qui
balaient la berge de mes pensées en faisant plier les palmiers et en grugeant
les falaises. C’est la bourrasque des souvenirs perdus qui submerge et
engloutie le temps présent. Quand cette nostalgie se retire à la marée basse,
la plage se remplie de petites et grandes épaves de mes années vécues.
Certaines de ces images sont si concrètes que
j’en arrive même à sentir les odeurs. De ce logement-ci par exemple, le
premier, celui sur la rue Rachel avec mes deux potes. Profond parfum d’automne,
de feuilles mortes, d’eau de pluie, de terre mouillée surmonté d’un zest de
poussière parce qu’on ne passait jamais l’aspirateur. Odeur de toasts brûlés,
de cigarettes refroidies, d’encre de Chine et de peinture acrylique. De tout ça
et puis aussi du parfum de Sylvie qui m’avait montré des tas de trucs qui ne
s’apprennent pas dans les livres de philosophie.
Échos olfactifs d’une vingtaine qui
s’entamait.
Peut-être que tout ça n’a jamais existé.
Peut-être que ça ne fut construit que dans ma tête.
Peut-être même que je ne suis pas là.
Que je suis un songe.
Que tout ceci n’est qu’un songe.
Même vous.
Peut-être.
Mon père qui fut n’est plus. J’ai peine à digérer tout ça. Il existe
des preuves de son passage pourtant. Photos, vêtements, objets, mais ce ne sont
plus que des artefacts sans âme qui parlent d’une époque passée. Le sujet qui
s’accordait à ces choses a disparu par une nuit de juin. Son corps froid
abandonné par sa substance intérieure, comme une enveloppe vidée de sa lettre,
de cette correspondance qui nous rattachait à lui, reposait sur le dos, inerte.
Et nous pleurions tout autour du lit.
Submergé de souvenirs et de nostalgie. Et parlant de celle-ci, de la
nostalgie, c’est vrai qu’après des deuils de la sorte, elle n’est plus ce
qu’elle était. Elle te ramène à la fragilité de toutes choses, à l’éphémère. De
ces jours heureux où je formais une famille unie avec ma femme et ma fille, de
ces jouets qui traînaient dans la maison, de ce brouhahas fantastique à l’heure
du souper, de ce bonheur incommensurable qui est là, présent, débordant, mais
qu’on ne voit pas nécessairement parce que la seconde présente nous fait croire
à une forme de normalité. Et ce qui est normal n’est pas nécessairement
remarquable. Ce n’est qu’avec les années et la somme de nos chagrins que l’on réalise
que le bonheur vécu ici-bas s’éparpille tout au long de notre vie en petites
grappes épares et d’apparences anodines, mais qui prennent toutes leurs saveurs
que lorsqu’ils n’existent plus.
Peut-être que le deuil apporte une part de réponse. Peut-être qu’il
faut des départs pour que ceux qui restent comprennent certaines des substances
invisibles de ce qui EST. Ces assauts répétés de nostalgies depuis juin dernier
doivent surement construire quelque chose de nouveau en moi. Mais pour
l’instant, je ne vois rien et je ne comprends toujours pas. Je sais simplement
que je ne suis plus un enfant et que la fin se rapproche inexorablement.
Peut-être que tout ceci n’aurait été qu’un rêve finalement.
Un rêve vécu physiquement et que l’agonie qui nous attend tous, là-bas,
au bout de cette route, n’est que le premier sursaut de l’éveil.
Peut-être.
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