Des gens qui ne te connaissent pas qui viennent te serrer la main et
t’offrant leurs sympathies. Au début, tu ne comprends pas trop et tu te
demandes si le type devant toi ne s’est pas trompé de personne. Ça peut arriver
avec l’émotion. Mais quand ça fait le 30e inconnu qui te redit la même
chose, là, tu comprends que ça doit être le protocole.
Faut pas déconner avec le protocole.
Le protocole, il dit très clairement que le mec que tu ne connais pas mais
qui vient t’offrir ses sympathies, il doit obligatoirement avoir une gueule de
circonstance. C’est à dire dévastée et à deux doigts de se mettre une balle
dans la tête tellement il semble affecté par la tristesse. T’es touché, c’est
sûr, mais en même temps, tu te dis que c’est tout de même étrange de voir ce
mec là que t’as jamais vu de ta vie être aussi tétanisé devant l’urne
paternelle. Parce que justement, tu ne l’as jamais vu le mec, avec le paternel
en question du temps où il avait un corps et pas encore de cendres.
C’est qui lui ?
C’est qui elle ?
Mais non, je ne râle pas. Je constate, c’est tout.
Le mec, on s’entend, il a le droit d’avoir la gueule qu’il veut et ce
n’est pas ça la question. La vraie question est : kissé donc c’mec que je
n’ai jamais vu avec mon père dans mes 51 ans de vie terrestre mais qui semble
en ce moment si démoli qu’on dirait qu’il ne passera pas la nuit à force
d’être dévasté ? Bizarre autant qu’étrange, mais c’est correct. C’est le
protocole qui exige ça.
Faut pas déconner avec le protocole.
Autre point incontournable du protocole, c’est l’entrée en scène du
curé en toute fin de journée. Toi t’es là depuis des heures, t’as serré des tas
de mains d’inconnus, embrassé des tas de matantes, pris dans tes bras de vrais
amis, reçu plein d’amour, entendu des tas d’histoires touchantes et tu
commences un peu à gérer tout ça avec une certaine contenance. Avec les heures
et la redondance des choses, tu es parvenu à atteindre un certain contrôle et
tu en arrives même à te croire un peu chez toi dans cette vieille maison
centenaire. Tu vas même jusqu’à faire visiter l’endroit à celui de tes potes
qui vient d’arriver. T’as fini par te sentir à l’aise dans ce triste endroit. Plus
qu’une heure et ce sera terminé. Finalement, ça c’est bien passé. Mais c’est là
que ça chie. Boum ! Le curé saute dans la mêlée. Son rôle est plutôt
symbolique, mais dans les circonstances et compte tenu du moment où il
s’implique, il me fait penser à ces goons au hockey qui ne sont là que pour
péter des gueules adverses et que le coach n’embarquent sur la glace qu’à la
toute fin de la partie, quand l’équipe perd 5 à 0 et qu’ils ont pour seule
mission celle un peu absurde «de préparer » le prochain match. C’est le
protocole qui veut ça.
Faut pas déconner avec le protocole.
Il débarque avec ses gros sabots bénis d’entre tous les sabots et que
tu le veuilles ou non, impose sa vision manichéenne des choses avec une
assurance intransigeante. Il n’en a rien à crisser du fait que tu peux
désormais très bien gérer la dernière heure de deuil en paix, avec ta famille
et tes proches. Lui son rôle, c’est de droper les gants de la morale chrétienne
pour « préparer » le prochain match, même si ça ne sert plus à rien. Chiant
d’entre tous les chiants, vedette incontestée du deuil, représentant officiel
du branding Jésus Christ Inc., il s’approprie sans ménagement de ta dernière
heure de recueillement pour être certain qu’on ne le manquera et que son show
sera écouté par tes proches soudainement devenus troupeau prisonnier par la
force millénaire (deux fois) des choses. C’est le principe de la cage à
homards. C’est aussi le protocole.
Le protocole mec, le protocole !
Dans ses regards, dans sa voix de stentor et dans le choix de ses mots,
il s’emploie sans trop de subtilité à vouloir te faire passer – toi
l’agnostique qui refuse de se signer – pour un dangereux criminel qui menace l’équilibre
des choses ici-bas alors qu’au fond, tout au fond de la bassesse humaine, le
manipulateur hypocrite des faibles d’esprit, c’est plutôt lui. T’as pas de sang
sur les mains alors que lui, en terme de sang humain versé, il baigne
historiquement dedans. Combien de femmes brûlées vives sur les bûchés de
l’Inquisition ? Pas loin de six millions je crois. Combien de
génocides ? Combien de massacres ? Combien de guerres ? Et l’on
a pas à retourner loin en arrière. N’est-ce pas un pape qui a béni les troupes
de Mussolini avant qu’elles n’aillent envahir l’Ethiopie ? N’est-ce pas le
pape d’aujourd’hui, ce bon François Machin, qui s’est fait photographier avec
le terrible SWAT de Sao Polo, casqué, ganté, plastronné de cuir noir, ces
troupes de choc dont l’une des missions fut (et est encore au moment où j’écris
ces mots) de « nettoyer » sans pitié les favelas de tout élément
potentiellement opposé à la coupe du monde ? T’as vu le sang dans ces
escaliers qui marquait le déplacement des cadavres ? Non ? T’as pas
Internet ou quoi ? Et c’est un délégué de cette Église-là qui viendrait me
dire à moi comment prier mon père ?
Mais le protocole mec, le protocole.
Je préfère de loin mon « vivre et laisser vivre » que son
« crois ou meurs ! » avec son gros point d’exclamation menaçant
à la fin. Et je ne parle même pas de pédophilie parce que ça serait trop
facile. Mais je vais en parler quand même parce que ça me fait méga chier de
voir un enculé ensoutané venir s’approprier de mon deuil à la toute fin du
processus pour en gâcher toute sa laïque beauté. J’ai un goût amer dans la
bouche d’avoir été instrumenté par un représentant officiel d’une organisation
criminelle responsable du plus monstrueux réseau organisé de pédophilie. Je ne
dis pas que ce type est un pédophile. Je dis simplement que son Église l’a été
et que par son impardonnable mutisme qui perdure encore aujourd’hui, par son
imperméabilité, par son réseau d’influence planétaire, elle aide encore des milliers
de monstres à se soustraire de la justice.
Quoi ? Qu’est-ce que tu dis toi avec ta soutane de merde ?
Que mon père était un homme bon ? Mais ferme-là pauvre con ! Je n’ai
pas besoin de toi pour me le dire ! Et d’abord, qu’est-ce que t’en
sais ? Tu ne le connaissais même pas ! T’as été payé $150 pour
cracher 20 minutes d’idées creuses et de clichés. T’as même pas été foutu de te
rappeler le nom de mon frère avec qui t’as parlé juste avant pour régler les
derniers détails de ton petit show de merde. Tu te prends pour qui espèce de
charlatan ? Pourquoi tu nous parlais comme si nous étions des demeurés un
peu débiles ? Et d’abord, tu ne trouves pas qu’il faut un peu louche pour
faire carrière dans ton domaine ? T’as été battu dans ta jeunesse ou
quoi ? T’es un peu handicapé de la bite ? T’étranglais des petits
chats ? C’est ça ? Mais va te faire foutre pauvre con ! Et
arrête de parler de mon père comme ça, tu m’insultes ! Arrête de prononcer
son prénom à toutes les deux minutes comme pour essayer de donner un peu de
crédibilité à ton texte de merde que tu répètes depuis 20 ans de funérailles en
funérailles, de Ginette en Gaston, de Pauline en Gérard, de Suzanne en Maurice.
T’es qu’un branleur. Un menteur. Un hypocrite. Si t’es pas encore en chômage,
c’est parce qu’il reste encore en vie des gens de cette dernière génération,
celle dont vous avez manipulé les esprits sans pitié depuis leur prime jeunesse.
Si on ne t’a pas encore pété la gueule, c’est par respect pour nos parents qui
vivent encore et qui vous voient toujours comme du sacré, alors que vous n’êtes
en fait qu’une bande de sacrés morons. Des fous furieux qui se croient investis
d’une mission divine en carton pâte. Viens avec moi dans la ruelle que je te
prêche les vertus d’une barre à clous bien placée sur ta clavicule d’enculé.
Mais non ça ne fait pas mal. En tout cas, bien moins mal qu’une vie complète à
se faire lessiver le cerveau. Tu ne penses pas ? Quoi ? Kess tu
dis ? Le protocole ? Ben oui le protocole, tiens donc ! Il est
là, sur la table, écrit en encre noire sur papier blanc. Bouge pas, je vais te
le rouler gros comme un barreau de chaise. Je vais le recouvrir de plomb liquide
et le laisser durcir. Ça va faire comme une grosse tige que je vais te foutre
dans l’cul jusqu’aux oreilles en la roulant dans le sens des aiguilles. Mais
non ça ne fait pas mal.
C’est juste le protocole.
Ou enfin, le proctocole.