mercredi 5 février 2014

Roudoudou


Roudoudou, tu connais ? Le mec, le personnage central dans cette comptine pour enfant quand on était à la petite école? Ça te rappelle quelque chose? Souviens-toi, le type, il n’avait pas de femme et comme ça, sans doute parce qu’il souffrait grave de solitude, voilà-t-y pas qu’il se met dans la tête de s’en faire une avec sa canne. Si, si! Avec sa canne le mec! C’était chanté comme ça dans la comptine : 

Roudoudou n’a pas de femme
Il en fait une avec sa canne
Et l’habille d’une feuille de chou
Voilà la femme de Roudoudou

On chantait ça tel quel. Une comptine pour enfants!T’imagines !! J’avais d’angoissantes visions quand, tout petit écolier que j’étais, je devais apprendre ce texte par coeur sinon je me mangeais un coup règle sur les doigts. Je me disais qu’il fallait être drôlement fêlé de la boîte crânienne pour se marier avec la première prothèse orthopédique de l’histoire de l’humanité. Dans le livre, on le voyait même danser avec elle, la canne, après qu’il l’eut affublée d’une feuille de chou sur le pommeau de sa canne en guise de coiffure. Il avait l’air vraiment heureux le mec et cette image, loin de me faire sourire comme ça devait sûrement être le but profond, m’angoissait terriblement. Comment tu peux être heureux en dansant avec une canne et trouver ça en même temps socialement acceptable? Et pourquoi on nous refilait cette lecture comme si c’était la chose la plus normale à faire lire à des enfants?

«Ah! ah! ah! comme c’est cocasse, un vieux monsieur tordu qui prend sa canne pour épouse!»

Ils avaient de ces idées dans ce temps-là! Bien sûr, je ne me le disais pas dans ces mots vu que j’étais tout jeune, mais il n’en demeurait pas moins que je trouvais la trame principale particulièrement inquiétante.
Comment ça j’exagère ? T’en connais beaucoup de weirdos toi qui vont au resto en tête à tête avec une canne ? T’imagines le mec à la banque essayer de s’ouvrir un compte conjoint où ça prend les deux signatures ? Où c’est que t’as déjà vu un mec s’acheter des béquilles pour un trip à trois ? Faut être fucké en tabarnak.
Ce n’est que plus tard, à l’adolescence, que j’ai compris. Le mec, le Roudoudou en question, ben merde, c’était un désaxé sexuel. Ça ne pouvait pas être autre chose. Pour sûr ! Du coup, ça m’avait perturbé encore plus gravement en pensant qu’ils en avaient fait une comptine pour enfants. Non, mais c’est vrai ! Le mec, il est tellement en manque de cul qu’il s’amourache d’une canne en lui promettant secours et fidélité jusqu’à ce que la mort les sépare. Si ce n’est pas du fétichisme, je me demande ce que c’est ! Et en plus, qui te dit que la canne était d’accord ? Si ça se trouve, il se l’est tapée sans consentement. Mais à cette époque, une femme ou une canne, devant un juge c’était la même chose. Aujourd’hui, je ne dis pas. Sauf qu’on imagine très bien la défense du Roudoudou en question :

"Elle m’a allumée, monsieur le juge !" 

Mais ça, la canne et ses multiples possibilités érotiques, c’était quand il était déjà adulte. Imaginons ce qu’il pouvait bien inventer comme déviation à l’époque de son adolescence, période où le bouillonnement intérieur est à son max. Franchement, ça devait être terrible. Non, mais c’est vrai ! Si une canne l’excitait à 30 ans, qu’est-ce qui pouvait bien le faire bander à 14 ou 15 ans ? Juste à y penser, t’en as des frissons dans le dos.
Une bouilloire en fonte?
Une selle de cheval?
Une roue de carrosse?
Une enclume de forgeron?
Un sabot de bois?
Parce que merde, t’as beau vivre dans un ancien temps sans Playboy ni Internet pour te branler, ça n’excuse pas tout. Une canne reste une canne, même avec une feuille de chou plantée dessus pour lui donner une petite touche de féminité. Débaucher sans consentement une pauvre prothèse de bois qui n’a jamais rien demandé à personne, merde, faut être fucké grave quand tu y penses.

Roudoudou, fuck, quel personnage quand on y pense. Sans doute le premier dévié sexuel historiquement répertorié dans la littérature populaire. Un truc écrit depuis la nuit des temps. Comme quoi des esseulés affectif il y en a depuis toujours. Oui bon, vu d’un autre angle, et si on compare avec le petit Chaperon Rouge et sa trame implicite qui n’est en fait qu’une mise en garde faite aux petites filles pour se méfier des méchants messieurs, on applaudit Roudoudou de ne s’en tenir qu’à un objet inanimé pour assouvir ses pulsions. Mais si on transposait le personnage à notre époque, que pourrait bien être le gros frisson contemporain de monsieur Roudoudou ?
Une marchette pour p’tit vieux ?
Faudrait voir. Ce n’est pas plus con qu’une canne. Faut être moderne. Faut être de son temps. Et puis la chose comporte tout de même deux poignées et deux roues. Il y aurait forcément des trucs cochons à faire avec ça pour peu qu’on soit doté d’une imagination très fertile.  

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