Suis au Mousse café et à ma droite, sur l’autre table, un couple d’un certain âge se sépare. Ils sont dans soixantaine. J’entends des bouts de phrases. De la femme surtout.
« Tu m’as reproché trop de choses »
« Je ne me sens plus « moi » »
« Ç’a été trop loin »
« Toi tu jouais sur deux plans. »
« Notre rencontre m’a fait comprendre que…[inaudible]… »
« Il faut que je te sorte de ma vie »
Il lui répond, mais il parle plus bas et j’entends mal. Ils ne sont pas fâchés pourtant. Même qu’ils rigolent par moments.
Drôle de séparation.
***
La serveuse me demande si je veux manger. Je réponds poliment que je ne prends qu’un allongé. Ça fait 7 ans que je viens ici et que je ne prends que ça, des allongés. J’ai payé l’hypothèque du commerce juste avec mes allongés. Le type, le proprio, il s’est payé une villa en Espagne avec mes allongés. Mais c’est une nouvelle et je lui pardonne. Elle s’habituera vite. Dans un mois, et comme les autres, elle ira directement à la machine expresso dès qu’elle me verra entrer. C’est comme ça que je les aime.
***
En revenant à la maison, dès que j’ouvre la porte, y a une odeur de fille. Je veux dire que ça sent la fucking bonne bouffe et plus du tout la clope froide. Depuis que j’ai une coloc merveilleuse, ma maison se drape de ce genre de parfum divin. En plus d’être la figure de proue du nouveau théâtre québécois, c’est aussi une pro de la popote. Mais pas que ça ! Quand elle fait sa lessive, elle ne se formalise même pas que je fout mon linge sale dans la laveuse comme le vieux garçon que je suis. Elle te fait tout ça d’un bloc et va même jusqu’à plier mes bobettes sans même que je lui demande. Imaginez ! La même fille qui fait la Une du cahier culturel du Devoir deux fois par année ! La vie te donne de ces drôles d’expériences parfois. Moi, pour compenser, je lui fais sa vaisselle et je lui donne des lifts. Je lui achète des fleurs pour lui dire que c’est la meilleure coloc du monde et j’achète au gros prix mes places pour ses pièces parce que je ne veux pas accepter ses billets de faveur. Je veux les payer et ainsi compter dans les statistiques de vente. On forme une vraie équipe. Je l’adore. Sans doute la plus belle trouvaille de mon année 2013. Bref, j’arrive, ça sent la bonne bouffe et je la trouve à la table de notre cuisine avec XYZ qui est comédienne et qu’on voit dans quelques téléromans à la télé. Mais moi qui ne regarde jamais la télé, je n’avais aucune criss d’idée de qui elle était et je crois que dès notre première rencontre cet été, elle a bien apprécié que j’eu pour elle la même quasi indifférence polie que j’aurais eu pour n’importe quelle amie d’une coloc.
- Elle joue dans quoi ta pote déjà ?
- Dans le téléroman Machin Truc Muche.
- Connais pas.
Elles travaillent sur la prochaine pièce de ma coloc et sont souvent ensemble ces jours-ci. Du coup, XYZ devient une habituée de notre logement. Pas désagréable comme socialisation. Cool de voir des vedettes que je ne connais pas qui rient de mes conneries et qui m’appellent Redge gros comme le bras.
- C’est qui elle déjà ?
- Elle joue dans Machin Truc Muche.
- Connais pas.
Elles bouffent en vitesse un machin (qui a cuit dans le porto !) parce qu’elles doivent se rendre à une pièce de théâtre pour 20h. Ça sent crissement bon ! Ma coloc m’invite à me joindre à elles, mais moi j’ai dans la tête de manger les trois dernières truites qui me restent de mes pêches de cet été. Je décline poliment, mais je pioche tout de même dans la casserole. J’suis un mec quand même. C’est fucking bon, comme tout ce qu’elle fait. Pendant que je fais cuire mes légumes, elles terminent en vitesse leur machin au porto et quittent la table pour ne pas rater le bus qui passe dans la minute qui suit. Elles reviennent 20 minutes plus tard. Tu fais quoi Redge, me demande toute gênée ma coloc du fond du corridor qui mène à la porte d’en avant ? Le bus n’avait pas passé et elles me demandent toutes mal à l’aise si je peux aller les déposer au théâtre. Bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? Prenez ça comme du mécénat mes amies. J’enfile mes fringues d’hiver et je te-me-les dépose 15 minutes plus tard pile poile à l’heure devant la porte d’entrée du théâtre. Je reviens à la maison, passe mes truites à la poêle et je-te-me-les bouffent avec du citron et avec PK Subban qui passe sur mon écran streamé de la partie de hockey.
Je descends la dernière goutte de ma bouteille de blanc, j’écris un point final à ce texte minable et je vais me coucher.
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