Je me souviens de son
sourire et de son éclatante beauté. D’ailleurs, je lui disais toujours quand je
la rencontrais. « Ostie que t’es belle ! » Elle rougissait en
souriant et du coup, comme par un incomparable tour de magie, elle devenait
encore plus belle. Elle était directrice dans cette succursale pas trop loin de
chez moi. Mais je l’avais connue un peu avant, du temps où j’étais délégué.
Avec un directeur de secteur, de façon paritaire, nous donnions des formations
de la nouvelle convention collective aux directeurs et aux employés réguliers.
Le mec avec qui je donnais la formation était le patron des directeurs et moi
j’étais le délégué des employés réguliers. Je me souviens de la première fois
où je l’avais vue. C’était au matin de cette première journée de formation que
nous donnions. Une salle d’hôtel comme une autre. Elle avait été le voir juste
avant la rencontre et lui avait parlé longuement. Moi, je n’avais d’yeux que
pour elle. Je me souviens de ses longs cheveux blond-roux, de ses yeux et de
son incomparable sourire surtout. Quand elle eut terminé de lui parler et
qu’elle s’en est allée vers la machine à café, lui, le mec, le directeur de
secteur, il m’avait regardé avec un large sourire baveux de mâle Alpha. Je lui
avais dit « Ostie que tu fais chier tabarnak ! » Il avait éclaté
de rire l’enfoiré. Je crois que notre complicité de mecs avait débuté grâce à
elle. Avant ça, nous étions plutôt à couteaux tirés à cause surtout du dossier
de Mario.
Après ?
Je la voyais
régulièrement parce qu’elle était la directrice de la succursale près de chez
moi. Je la voyais comme client et je la voyais aussi comme délégué. Mais
toujours ce sourire et cette gentillesse. Et puis fuck, qu’est-ce qu’elle était
belle. D’ailleurs, je lui disais toujours « Ostie que t’es
belle ! » Elle rougissait en souriant et du coup, comme par un
incomparable tour de magie, elle devenait encore plus belle. Et moi je fondais.
Je me souviens que j’avais même dit au Che, celui que je remplaçais comme
délégué, que jamais je ne pourrais faire mon boulot de délégué implacable
devant une femme comme ça. Que ça allait au-delà de mes convictions. Que mon
point faible, que mon talon d’Achille, que ma Kryptonite c’était les belles
directrices. Moi peux pas être méchant devant une belle fille ! Peux
pas ! Peux pas ! Peux pas sacrament ! Demande-moi n’importe
quoi, mais pas ça !
La dernière fois que
je l’ai vue, c’était le jour de ma suspension. J’avais eu droit au traitement
royal. Ma suspension, on me la donnait à la maison mère, fauteuil en cuir et
murs de briques. Tu signes ton nom entrant en écrivant l’heure de ton arrivée
et la personne que tu dois voir. Y a aussi un espace sur la feuille où tu dois
indiquer la raison de ta visite. J’avais écrit fièrement
« suspension ». Juste avant d’entrer dans le local où m’attendait le jeune
suspendeur, je l’avais croisée. Elle avait monté de grade et travaillait à je
ne sais quel département où il y a plein de gens qui dégagent des parfums chics
ou qui arborent des cravates d’Italie.
En soie.
Elle avait toujours
ce sourire et cette gentillesse à mon égard, même si j’étais devenu persona non grata de la boîte. Je crois
qu’elle m’aimait bien malgré ma réputation de croqueur de directeurs. Sans
doute à cause de la manière dont je la regardais, ce petit éclat dans ma
pupille quand elle apparaissait dans mon champ de vision. La dernière fois de
ma vie et de la sienne où je lui ai dit qu’elle était belle, c’était ce
jour-là.
Ce matin, au boulot,
on apprend ce double meurtre à Terrebonne. Des rumeurs courent de succursale en
succursale. La femme serait une directrice de la boîte. On ne parle pas encore
du mec. Un VP. On l’apprendra plus tard. Mais nous, notre directrice en congé
de maternité, celle qu’on aime, elle vient de là, de Terrebonne. Je la texte.
Elle ne répond pas. Les heures passent. Elle ne répond pas. Fuck….
Et puis cet appel de
mon directeur en congé. Ce n’est pas ma directrice, mais un VP. Je connais le
mec. Je l’ai déjà croisé. Ça reste abstrait. C’est triste, mais ce n’est pas ma
directrice. Mélange de soulagement et de tristesse. Puis à mon heure de souper,
sur cyberpresse, je vois la photo de Julie. Double meurtre. Luc et Julie.
Julie !!!
« Ostie que t’es
belle ! » Elle rougissait en souriant et du coup, comme par un
incomparable tour de magie, elle devenait encore plus belle.
Elle est morte la
Julie.
Assassinée.
Je n’arrive pas à y
croire.
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