À lui seul, j’estime qu’il nous a volés pour au moins $3,000.00 depuis les derniers mois. Il a toujours le même modus operandi. Il attend le moment dans la soirée où il y a plusieurs clients alors que nous sommes tous occupés. Il dépose son sac à dos sur le plancher, va-et-vient autour de la rangée des vodkas, se tape 4, 5, 6 et parfois jusqu’à 10 bouteilles de Grey Goose qu’il revient déposer dans son sac laissé un peu plus loin. Sur les vidéos, le mec ressemble à une couleuvre. Il fait ça en douceur, sans se presser, fluide dans ses mouvements et assuré dans sa démarche. Le truc qui fait que tu ne le remarques pas, c’est que contrairement au voleur conventionnel, il ne reste pas planté devant son objectif. Au contraire, il est toujours en mouvement, allant et venant d’une allée convoitée jusqu’à son sac à dos. Pendant son action, il ne regarde même pas en direction des comptoirs-caisses. T’as beau l’avoir vu des dizaines de fois sur les bandes vidéo, quand il s’infiltre dans le magasin, tu ne le remarques pas. C’est une ombre le mec. Le seul moment où il va regarder en direction des collègues, c’est lorsqu’il a terminé ses «emplettes». En fait, il observe le mouvement de la clientèle et attend que toutes les caisses soient occupées pour s’évaporer comme un nuage de vapeur.
C’est son métier le mec. Il vol pour revendre. Il est doué, expérimenté et connaît nos vas et vient et jamais il ne se pointe quand la succursale est vide. C’est toujours autour de 17 ou 18h, juste avant l’arrivée du gardien de sécurité. Parfois un peu plus tôt, parfois un peu plus tard, quand justement l’agent de sécurité est en pause.
Il nous observe du dehors l’enfoiré.
Avant les fêtes, nous étions en écart négatif d’environ 80 bouteilles de Grey Goose en un seul mois. Je ne dis pas qu’il en est le principal responsable, mais j’estime que près de 75% des vols de ce produit (au demeurant, surévalué) est de lui. Il ne sort jamais sans au mois 4 bouteilles dans son putain de sav et certaines semaines il nous gratifie d’au moins deux visites. À $46 la bouteille, oui, mon estimation de $3,000.00 est possible.
Mais ce soir, hou là là!! je l’ai vu rentrer et je l’ai reconnu. L’ostie d’enculé, j’ai voulu me le payer. Je suis retourné dans l’entrepôt et j’ai avisé les collègues que notre voleur était là. Mais outre mon collègue dont j’ai parlé hier et qui se la joue un peu égoïste, il n’y avait avec moi que trois filles, dont ma directrice qui est enceinte jusqu’aux oreilles. L’une d’elles était à la caisse, le collègue mec était en train de bouffer et n’a même pas bougé son cul quand j’ai demandé du renfort. De sorte que j’ai dû improviser un plan de défense avec ma directrice (enceinte jusqu’aux oreilles) et l’autre employée. Je me suis tout de suite dirigé vers la porte de sortie dans le but de le cueillir au passage, accompagnée par ma collègue qui trépignait devant l’action annoncée. Ma directrice quant à elle s’est directement dirigée derrière les caisses, prête à appeler le 911 en cas de problème.
Je n’ai rien contre les filles qui font le même boulot que moi. Au contraire, je trouve que c’est une belle avancée du genre humain et je suis le premier à applaudir, moi qui suis assez âgé pour avoir connu l’ancien monde sexiste et le nouveau monde égalitaire. (ou disons, un peu plus égalitaire) Mais dans un moment comme celui-là, c’est fou comment tu regrettes que ton bon vieux pote Dom ne travaille pas dans la même division que toi.
AAaaaaah Dom! Mais où es-tu quand j’ai besoin de toi!!!!
Dom
Dom discutant de philosophie avec ses potes
Dom en réflexion
Dom au boulot
Dom à l'église
Dom avec notre délégué syndical
Dom avec Georges St-Pierre
Dom en touriste
Dom dans son élément
Dom appuyant les étudiants en espérant un peu de grabuge sinon merde, ce n'est pas drôle.
En principe, on ne doit pas s’interposer physiquement lors d’un vol à l’étalage. On doit plutôt se montrer devant le voleur de manière à le dissuader. Question de sécurité. Mais pour lui, j’ai décidé de la jouer autrement, sachant que la technique sécuritaire de dissuasion à distance n’est d’aucune aide. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire, mais j’étais déjà pompé à l’extrême à cause de toutes ces fois où il m’avait volé à mon nez et à ma barbe. Quand tu te vois dans les bandes vidéos à deux mètres de lui et qu’il se remplie les poches, que t’as rien vu, rien entendu et que t’étais pourtant si proche, ça te fait chier. Mais quand tu vois cette même scène se répéter et se répéter encore semaine après semaine, t’en viens à fantasmer à l’idée de le coincer juste une fois. Ça s’est fait ce soir.
Il m’a vu l’enfoiré et a vite réalisé qu’il était coincé. Il a fait le tour du magasin avec son sac et est retourné dans une allée pour remettre les bouteilles sur la tablette. Je ne lui ai pas laissé ce plaisir. Je fonce vers lui et le voyant vider son sac contenant trois Grey Goose, je lui dis «toi mon tabarnak c’est la dernière fois que tu viens nous voler» C’est tout con ce que je viens de dire, mais je suis pompé au max et je me contrôle à peine. Il fait le con, m’assure qu’il n’avait pas l’intention de voler. Il remet son sac sur son épaule et veut s’éloigner. Je lui arrache le sac, je l’ouvre et je trouve une 4e bouteille. Tenant la bouteille par le goulot, je lui relance son sac et dès qu’il l’attrape, et allez savoir pourquoi j’ai fait ça, mais je me mets à l’engueuler tout en le poussant agressivement sur l’épaule, deux, trois, quatre fois de suite. «Mon tabarnak d’ostie de voleur si tu reviens ici j’te slogue» Il cherche à m’éviter et je vois dans ses yeux qu’il a peur. Les filles ne peuvent peut-être pas comprendre ce que je vais expliquer, mais il se passe alors entre les deux protagonistes un jeu de dominant dominé dans les attitudes de chacun. C’est très animal comme réaction. Très mâle du paléolithique. Très tribal. Très survivance de l’espèce. Ça te picote très loin en dedans, dans cette mémoire génétique endormie où pour manger, te reproduire, te protéger, bref, pour survivre, tu devais protéger ton territoire par des grognements et même des agressions. C’est un jeu de codes qui se fait malgré toi. Mes poussées agressives contre son épaule, c’était assurément un réflex animal qui disait que j’étais parfaitement disposé à attaquer pour préserver mon espace vital. Et c’est vrai que je l’étais. Inconsciemment, je voulais frapper ce mec. Ou plutôt, j’étais disposé à le faire. Mes poussettes étaient autant une invitation qu’une manière de lui démontrer que je n’avais pas peur. Et c’est vrai que je n’avais pas peur. Pas que je suis particulièrement courageux, non, ce n’est pas ça que je veux dire. J’essaie juste d’expliquer ma réaction. Je savais, je voyais, je sentais que j’étais en train de lui faire peur. C’est animal, je vous dis, et je ne pourrais même pas vous l’expliquer mieux que ça. Comme si le mec civilisé en moi refaisait place au Cro-Magnon que j’ai déjà été. Et à partir du moment où j’ai compris que je dominais la situation, j’ai eu l’impression de grandir de deux mètres. Il aurait tenté de frapper que je l’aurais atomisé. J’avais une confiance en béton et même que je devais retenir une furieuse, mais enivrante pulsion de violence : le frapper avec la bouteille que je tenais par le goulot. J’avoue, oui j’avoue humblement que j’ai été très tenté de le faire. Même que j’ai souhaité qu’il fasse la gaffe de me frapper. Je le tamponnais aussitôt avec une bouteille de Grey Goose sur la joue. Si, si! Sur le joue. Elle aurait éclaté contre son oreille et je l’aurais terminé en lui plantant le tesson dans l’front.
Je sais, ce n’est pas joli. Mais sans pudeur, je vous livre ici tout ce que j’ai ressenti en quelques secondes. Ce blogue m’évite de payer un psy à $150 la séance.
- T’as intérêt à ne jamais revenir ici mon tabarnak sinon j’te slogue. J’te slogue mon ostie. T’as tu compris? J’te slogue!
Et je lui disais tout ça en le poussant de ma main gauche par coups successifs, agressifs, fendants, provocateurs, jusqu’à la porte de sortie, ma main droite étranglant le goulot de la Grey Goose, espérant juste le moment où il aurait fait un geste pour la lui péter dans le front.
Sloguer quelqu’un. Ça vient des bâtons de Baseball Louisville Slugger. (http://www.slugger.com/) Au baseball, quand on frappe un coup payant, on dit dans le jargon «avoir sloguer la balle» Mais dans la vie de tous les jours, ce terme s’applique dans des situations conflictuelles. Par exemple «Sloguer quelqu’un». C’est l’action de frapper un individu avec le poing ou préférablement avec un objet. Ici, une bouteille de Grey Goose. (à $46 pièce) C’est rare que j’utilise ce terme. Mais allez savoir, il est sorti spontanément alors que je renouais contact avec mes plus bas instincts de chasseur de mammouths. Je ne suis pas particulièrement fier de ce qui s’est passé ce soir, mais sacrament que ça fait du bien!
Les filles me regardaient drôlement après ce cocasse épisode. Ma collègue qui se tenait près de moi disait «Je tremble encore! Redge, je ne t’ai jamais vu comme ça avant!» Ma directrice, plus drôle encore, caressait son ventre qui lui servait de jardin et n’arrêtait pas de répéter «Ostie, je pensais que j’allais accoucher drette là!» C’est après coup que j’ai réalisé que j’y étais peut-être allé trop fort. Pourquoi j’ai eu envie de le frapper? Ces bouteilles ne m’appartiennent pas. Et puis ce gars-là, c’est juste un pauvre mec. Pourquoi ça me démangeait de le frapper? Pourquoi j’ai ressenti cette envie? Par principe, je suis plutôt du côté des petits voleurs dans la vie de tous les jours.
C’est grave docteur?
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