samedi 9 février 2013

Réflexions sur les voyages de Jacques Cartier


Février soufflait sa mauvaise humeur sur toute la ville. Cela faisait des rafales de déprimes interminables qui forçaient les téméraires piétons à courber le dos devant la puissance des éléments. Un peu comme ces vieilles endeuillées italiennes qui marchent vers l’autel en se signant cent fois plutôt qu’une, des fois que le Bon Dieu tiendrait un livret de comptabilité. Dans l’habitacle bien chauffé de sa Tercel 1999 toute pourrie, il avait une secrète pensée pour chacun de ces quidams à demi congelés qu’il croisait sur son chemin. Il se disait en effet que tout ça, ces dos courbés, ces morves aux nez, ces glissades catastrophiques sur les trottoirs gelés, ces impossibles déglaçages de verglas sur les pare-brise des voitures, ces engelures aux doigts, ces interminables attentes d’autobus qui ne passent plus quand il fait -30°, ces milliers de tonnes de neige qu’un Québécois moyen va pelleter durant sa vie, cette petite neige assassine qui s’infiltre vicieusement entre ton écharpe et ton collet de manteau et qui va se déposer comme un avant-goût de la mort sur ta peau du cou, ces rhumes, ces grippes, ces toux, ces bactéries d’hiver qu’un inconnu va généreusement te refiler au passage, enfin, tout ça, c’était la faute de Jacques Cartier qui, par on ne savait quelle idée idiote, l’avait empêché de donner trois coups de rame de plus pour se rendre plus au Sud. Pourquoi s’était-il contenté de planter sa putain de croix de bois à Gaspé plutôt qu’à Orlando? Bien sûr, c’était un 24 juillet et ce connard de première avait sans doute pensé que ce confortable climat estival était le même 12 mois par année. Un ratage total se disait-il alors qu’il roulait lentement sur la rue Iberville et qu’il croisait bien au chaud dans sa toute pourrie Tercel ses concitoyens usagers du transport en commun déficient. 

Il s’arrêta tout de même au Mousse Café pour se prendre un espresso allongé. Un incontournable pour débuter sa journée avant de se rendre au boulot. En sortant de la voiture - qu’il laissa en marche pour ne pas perdre sa chaleur - il grogna instinctivement contre le froid qui le mordit dès lors que son corps fut en contact avec la réalité extérieure. Sans même se soucier du fait qu’il parlait seul, il dit haut et fort : «Ostie de tabarnak de saint-ciboire d’ostie de d’sacrament de câlisse de tabarnak d’ostie d’hiver de cul!» Bien que cela n’augmenta en rien le degré de la température ambiante du moment, cela lui fit néanmoins un certain bien. Il aurait aimé que les voyages dans le temps eussent été possibles pour avoir le plaisir une fois dans sa vie de tenir Jacques Cartier bien comme il faut entre ses mains et de lui crisser une bonne droite dans l’front.  Après quoi, et une fois l’historique découvreur allongé sur le sol recouvert de neige - et parce que c’était quelqu’un qui détestait les tâches à moitié complétées - il l’aurait volontiers achevé à grands coups de talon sur la gueule, question de lui apprendre à naviguer un peu plus vers le Sud la prochaine fois.

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