Je me suis payé un fantasme ce soir au boulot. C’était soir de réception de marchandise. Sept palettes, 350 caisses. Demain, on a des employés en extra pour placer tout ce stock. Grosse journée en perspective. Mais je me suis payé un fantasme, je disais. Je me suis claqué les sept palettes en un peu moins de trois heures. Les deux autres employés ont procédé à la mise en tablette. Résultat? Demain, on va jouer aux cartes ou lire les journaux.
La directrice dit que je suis une machine. Bof... pas vraiment. Quand je reçois la commande, je glisse ma carte dans l’ordinateur, je vais sur le site Grooveshark (http://grooveshark.com/), je me choisis de la musique bien entrainante (ce soir, c’était Emerson Lake & Palmer... souvent c’est la 9e de Betov, d’autres fois c’est aussi du punk bien gras. J’ai un faible pour The Clash qui me rappelle le bon vieux temps de ma bohème. Un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, comme dit si bien le poète), je retire ma chemise (je garde mon t-shirt) et je me lance sur les caisses en m’immergeant dans ma bulle musicale.
Faut plus me déranger. Sauf bien sûr si c’est Valérie, Tania, la grande Jessica, la petite Jessica, Isaève ou la petite Vanessa. Là ouais, ça ne me dérange pas d’être dérangé parce qu’elles sont mignonnes comme tout ces gamines-là. Mais sont toutes plus jeunes que ma fille, misère de misère! On forme tout de même une belle équipe dans laquelle je tiens le rôle du vieux mononcle cool. (re-misère de re-misère!)
Mais si c’est un mec, ou encore une fille un peu moche, ou juste une fille de mon âge, là, non! Ça ne marche pas. Faut pas me déranger que je vous disais.
Y a un mec avec qui je travaillais ce soir. Doit avoir pas loin de 30 ans. Quelque part par là. En entrant dans l’entrepôt et en entendant ma musique, il dit en riant : «On se croirait dans un film d’Austin Power»
J’sais pas pourquoi, mais ça m’a insulté et j’ai échappé cette phrase : «Ça c’est de l’inculture pure mon gars»
Entendons-nous. T’as le droit de ne pas connaître un groupe de musique. T’as le droit de ne pas connaître un écrivain, aussi populaire soit-il. T’as le droit de ne pas connaître Charlie Chaplin si ça se trouve. T’as le droit de dire que t’aimes ou que tu n’aimes pas ma musique. T’as le droit de dire comme Sam « Fuck, c’est ben fucké ça!» T’as même le droit d’être totalement inculte, je peux comprendre. Ça ne dépend pas toujours de toi, mais souvent du milieu d’où tu viens. Je sais faire la part des choses. Et puis être inculte, ça ne veut pas dire nécessairement être con. Mais par contre, t’as pas le droit de te moquer.
Face à un style musical que tu ne connais pas, une forme littéraire qui t’échappe, un tableau que tu ne comprends pas, si ta première réaction est une moquerie qui frise l’insulte, c’est que t’es un con parce que tu revendiques haut et fort ton ignorance. Surtout si tu me fais chier toute la journée en écoutant ton CKOI FM à la merde. À la place, écrase-toi mec et fait pas chier ton collègue. Ceux de ta race nous font déjà assez chier comme ça en votant pour les Harper ou les Jean Charest de ce monde, ne viens pas en plus me sortir de ma petite bulle musicale en agitant fièrement ton étendard glorieux de la bêtise toute puissante. Le pire c’est qu’il en a remis. Comme c’est souvent le cas avec les cons, ils sont les premiers à te trouver bête et méchant après qu’ils t’aient attaqué. Il me dit comme ça «Ça ressemble à une insulte ce que tu me dis là» Voyez comment ils sont? Ils associent la musique que tu aimes à celle d’un navet du cinéma, mais c’est toi le méchant pare que t’as osé de te défendre. Du tac au tac, je lui ai répondu «ce n’est pas autant une insulte qu’une froide constatation»
Il n’a pas répliqué.
J’sais pas pourquoi j’ai dit ça de cette manière. Avec les années, peut-être que je m’assagie. Ou plutôt que j’ai appris à polir mes insultes. Avant, je l’aurais envoyé chier sans artifices grammaticaux. Rondement. Mais en lui glissant une si jolie phrase (dis-je en me grattant le lobe d’oreille droit) qui veut toute de même dire la même chose, je m’épate moi-même. Et le pire, c’est que c’est sorti tout seul, à bout portant et sans même réfléchir.
Bref, tout ça pour dire que demain, ma directrice va halluciner parce qu’avant que je revienne en succursale, la commande du lundi soir mettait trois jours à se faire réceptionner. Je viens de lui balancer tout ça en moins de trois heures, sans me forcer. Ça veut dire que les potes avant moi se pognaient drôlement le beigne. Pas bon ça! Ça brûle nos éventuels moyens de pression. Parce que quand viendra le mot d’ordre de lever le pied, tout ce que j’arriverai à faire c’est de revenir à un rythme «régulier» du temps où je n’étais pas là. Elle pourra facilement gérer la chose puisqu’elle aura déjà l’expérience. Sans parler que ça nuit à l’image du syndicat. Sincèrement, je ne comprends pas comment tu peux mettre trois jours pour te taper sept palettes. Faut vraiment être pogne-cul.
Je n’aime pas ça. Ils ne comprennent rien à rien ces jeunes. Ou alors ils se servent du syndicat pour légitimer leur paresse. Pas bon non plus. Certains sont tellement pogne-cul que lorsque tu leur demanderas de lever le pied, ils n’auront d’autres choix que de simuler un coma en magasin. Et j’exagère à peine. Le Che ne sera pas content quand je vais lui raconter ça. Lui qui dit toujours « Faut être irréprochable tabarnak!»
***
Il y avait Ita ce soir. Ita est Haïtienne et a mon âge. Elle est grand-mère déjà. Quand elle sait qu’elle va travailler avec moi, elle m’apporte toujours de la bouffe qu’elle fait elle-même. Les Haïtiens, surtout les Haïtiennes, devrais-je dire, sont très bouffe dans leur amitié. Elles te prennent toujours par le ventre en te refilant des plats du pays. «Tiens mon amour, c’est pour toi» C’est toujours comme ça avec Ita et jamais autrement. Elle fait le meilleur griot haïtien du monde entier.
«Tiens chéri, c’est pour toi»
Elle t’amène ça dans un plat Tupperware et parfois c’est encore tout chaud et t’as qu’à planter ta fourchette dedans. Ce soir, elle m’a fait une entrée qui est une trempette qui se bouffe avec du pain. Huile d’olives et un ch’sais pas quoi de poisson avec du piment. Ita a exactement mon âge, je disais, mais parait beaucoup plus jeune que moi. Les Haïtiens du quartier disent qu’elles parlent comme une Québécoise et c’est vrai que par moments, elle te lance des câliss de tabarnak qui décapent toutes les perles des Antilles. Ita n’a pas de voiture, mais ne vient jamais travailler à pied ou en autobus. Elle a son fan-club personnel de vieux Haïtiens chauffeurs de taxi qui la conduisent gratuitement partout où elle veut aller. C’est toujours gratuit pour Ita. Ita, c’est une icône dans la communauté haïtienne. Bonne et généreuse. Mais ne va pas lui piler sur les pieds... t’es mort mon mec. Tigresse qui peut tout aussi bien te lancer son rouleau de 2$ en pleine gueule si t’as pas été gentil avec elle. J’ai déjà vu ce qu’elle avait fait de ce mec qui avait osé profiter honteusement de sa gentillesse. Il a rampé le reste de son année avant de demander un transfert de division.
1 commentaire:
Tout à fait d'accord avec ta vision du travail! Ita? Il me semble que j'ai travaillé avec elle au 171.
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