vendredi 4 janvier 2013

Petit détail dans la grande histoire


Lors de son exile à Ste-Hélène, Napoléon essayait de tromper le temps et l’ennui par la rédaction de ses faits d’armes. En fait, selon le général Bertrand, il aurait commencé à rédiger des analyses de ses batailles alors qu’il était encore au sommet de sa gloire, mais il semblerait qu’on ait perdu la trace de ces rédactions. Celles de Ste-Hélène sont d’autant plus cruciales pour ceux qui aiment cette période de l’histoire, car elles constituent les seuls témoignages du personnage principal de cette incomparable épopée. Curieux que la plupart des historiens n’aient jamais cru bon de les prendre en considération dans leurs ouvrages. Étonnant aussi que la réédition présentée par Thierry Lentz en 2011 (Ed.Tallandier) fut la première depuis près de 100 ans. À croire que tous les Napoléonistes s’en foutaient. 

À Ste-Hélène et voulant que ses journées soient le plus occupées possible, Napoléon organisa son temps en séances de rédaction. Il dictait et ses compagnons d’exil écrivaient. Lire ces trois volumes de récits, c’est entendre la voix de Napoléon. 

Je suis en train de me taper le volume qui traite de l’Île d’Elbe et des Cent-Jours. En 1814, après sa première abdication, on lui offrit la principauté de l’Île d’Elbe d’où il s’échappera 9 mois plus tard pour reprendre le trône dans ce qui reste encore à ce jour le plus grand coup de poker politique de l’histoire. Le récit débute sur son départ vers son premier exil. Il est escorté par des commissaires étrangers et traverse la France pour aller s’embarquer à Fréjus. Rendu aux environs d’Avignon, puis d’Aix, on lui signale que les citoyens de ces villes sont plutôt favorables au retour des Bourbons et qu’on y entend même des rumeurs d’attentat contre sa personne. Quittant sa voiture et son cortège trop visible, il endosse un uniforme d’officier et monte à cheval. Avec un garde, il décide de devancer le cortège de manière à passer pour un simple officier de sa propre escorte chargé de préparer les relais. 
Je laisse maintenant la parole à Napoléon. 

L’Empereur s’arrêta à une petite hôtellerie sur le chemin. Il y commanda un dîner. La femme de l’auberge était une petite Provençale fort curieuse, vive et parlante; le mari un homme sensé et sérieux. On ne parlait que de l’Empereur, et il fut bientôt facile de comprendre que le mari était fort attaché à l’Empereur, et la femme fort opposée. Elle paraissait être la maitresse. À tous ses sarcasmes, à toutes ses imprécations son mari pâlissait et lui imposait le silence, toutefois avec modération. L’Empereur se retira dans une des chambres où l’on devait préparer le dîner. Cette femme en profita pour s’asseoir près de l’Empereur. Elle lui dit : «Je sais bien que vous êtes de la suite de cet homme; je vois par le dîner que vous commandez qu’il va venir descendre ici; cela n’empêchera pas que nous le traitions bien. Je suis bien d’opinion de ces messieurs qui dînaient ici hier; ils ne concevaient pas comment on envoyait dans une île si près de la France un homme qui a tant de moyens. On dit qu’à lui seul il a plus d’esprit que toute l’Europe. Je vous conseille de ne pas embarquer avec lui, votre mine me convient, car sûrement au milieu de la mer on lui fera boire un coup; sans cela avant trois mois il serait de retour.» Cette femme n’était pas méchante. Cependant le mari, homme de quarante ans, ayant été instruit de ce que sa femme avait dit, soit qu’il trouvât quelque chose d’étrange dans l’attitude du nouveau voyageur, soit qu’il soupçonnât qu’il fût un des principaux officiers de la suite de l’Empereur, vint à son tour et lui demanda excuse des propos de sa femme. Il dit «qu’elle était une bonne femme, mais folle, qu’on lui avait monté la tête à Aix; que si effectivement il était de la suite de l’Empereur, l’Empereur pouvait venir souper avec confiance, que le sacrifice de sa vie, que tout ce qu’il pourrait faire, il y était prêt pour le service de l’Empereur». 

J’adore. J’aime me délecter de ces petits détails de l’histoire. 

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