mercredi 2 janvier 2013

Il pensait à elle


J’ai trouvé ça dans mes brouillons. Ça fait longtemps. 5 avril 2008
Je balance ça ici, 4 ans plus tard. Qu’est-ce ce ça passe vite le temps. 

Depuis son arrivée au boulot, son regard ne cessait de se perdre dans cet horizon déprimant qui se dessinait de l’autre côté des grandes vitrines de ce magasin du nord de la ville. Le ciel était si bas qu’il donnait l’impression de venir lécher les toitures de ces blocs de briques sans charme qui constituent le standard résidentiel de ce triste quartier.
Il neigeait.
De gros flocons imbibés d’eau tombaient lourdement sur le parking du centre commercial comme autant de plumes blanches larguées depuis les nuages par une équipe de joyeux emmerdeurs. À peine un mois plus tôt, cela l’aurait porté à la mélancolie, mais il laissait maintenant ses pensées lui redessiner ces moments de la veille quand ils s’étaient retrouvés elle et lui dans ce Café branché d’Hochelaga. Et pour tout dire, il ne voyait ni la neige, ni le ciel gris, ni même les voitures qui allaient et venaient devant sa grande vitrine de commerce.
Il pensait à elle.
Cela l’effrayait un peu, car il s’était juré de ne plus s’attacher à personne, ne voulant plus jamais se laisser menotter par ses émotions, ne voulant plus jamais voir le sourire d’une femme venir lui transpercer le coeur. Et pourtant, depuis les dernières semaines, elle s’était doucement glissée dans sa vie jusqu’à y prendre une place qui devenait de plus en plus grande. Il pensait à elle et il fut obligé d’admettre qu’il en ressentait un terrible manque. Il savait qu’à partir de maintenant, ce manque allait s’amplifier à mesure que les journées sans la voir allaient s’accumuler. Déjà, la veille et au moment où ils s’étaient quittés, il en avait éprouvé une furieuse douleur. Cela ressemblait aux premiers engrenages d’une relation encore toute naissante.

- C’est chouette ce café.
- Oui j’aime bien. Mais je l’aime encore mieux quand tu es là. Au fait, je voulais te dire, chaque fois que je te vois, tu es toujours plus belle que la fois précédente.

À ces mots, elle avait rougi en baissant les yeux. Elle faisait ça chaque fois qu’il lui disait. Et comme il ne cessait de le lui répéter chaque fois qu’il la voyait, c’était devenu comme une sorte de rituel entre eux. Comme bien des femmes de son âge, elle était portée sur le doute chaque fois qu’un homme évoquait sa beauté. Néanmoins, et malgré le malaise, cette manière de se faire complimenter sur un aspect qu’elle trouvait généralement si futile ne lui déplaisait pas. Pour tout dire, elle aimait ça. Elle y respirait un vent qui sentait bon l’adolescence et les premiers rendez-vous qui font chaud dans le ventre. Au même moment, la radio du Café passait des chansons pigées à même le stock que l’ordinateur maison tenait en son ventre virtuel.

- C’est Tricot Machine, qu’elle lui dit en guise de réponse et sans doute aussi pour essayer de changer de sujet.

Il prit une gorgée de son espresso et joua le jeu.

- J’aime pas trop même si j’ai beaucoup de respect pour ce qu’ils ont fait.
- C’est mignon, mais c’est vrai qu’on se lasse vite.
- Et puis la fille, elle fait finissante du secondaire 2 qui viendrait de découvrir les vertus du pot.

Elle rit. Il aimait la voir rire. Il se sentait bien quand il la voyait s’éclater de ses conneries qu’il lui balançait par paquets de 12 depuis qu’il la connaissait. Cela lui donnait une impression d’utilité. C’était l’après-midi et le premier soleil chaud d’avril faisait fondre la neige sale qui recouvrait encore ça et là les trottoirs de Montréal en laissant apparaître les crottes de chien restées endormies tout l’hiver. Montréal naît de cette laideur printanière. Cette ville est un champignon. Sa beauté éclot dans le fumier et le mois d’avril n’est qu’une esquisse qui la trace à grands coups de crayons de soleil. ll y avait de cette renaissance dans la manière dont ils se regardaient. Chacun à leur manière venait de traverser une période de merde qui s’effaçait à mesure que leur regard et leur sourire se croisaient par-dessus la table. Par moments, il l’embrassait. Par moments, elle lui prenait la main. C’était tout con, mais ils étaient heureux. Peut-on leur en vouloir?

De gros flocons imbibés d’eau tombaient lourdement sur le parking du centre commercial comme autant de plumes blanches larguées depuis les nuages par une équipe de joyeux emmerdeurs. À peine un mois plus tôt, cela l’aurait porté à la mélancolie, mais il laissait maintenant ses pensées lui redessiner ces moments de la veille quand ils s’étaient retrouvés elle et lui dans ce Café branché d’Hochelaga. Et pour tout dire, il ne voyait ni la neige, ni le ciel gris, ni même les voitures qui allaient et venaient devant sa grande vitrine de commerce.
Il pensait à elle.

Aucun commentaire: