Lui c’est Sacha. Ou Chacha. Ou encore Pierre. Ça dépend. En fait, son vrai nom c’est Pierre, mais les gens de la communauté haïtienne l’appellent Sacha. C’est un surnom qui lui vient d’une soirée particulièrement animée qui s’était déroulée au Medley il y a une dizaine d’années. Un band de Hip Hop très virulent dans leurs paroles de chanson y jouait. Le spectacle avait attiré des gangs de rue rivales et ça avait chier solide comme on dit. La police fut rapidement débordée et la légende veut que ce soit lui, Sacha, qui avait calmé le jeu et sur la scène, et dans la salle. Il faisait la sécurité déjà. Les flics avaient demandé c’est qui ce mec-là qui est parvenu à calmer les gangsta et quelqu’un avait dit «Sacha». On ne sait pas pourquoi. Depuis ce jour, il est devenu une star dans la communauté et tout le monde le surnomme Sacha. Mais quand ils parlent vite, ça sonne «Chacha» comme dans chat chat.
C’est donc comme ça je dis, Chacha.
Chacha ne fait pas que de la sécurité. Il est aussi animateur radio dans une station communautaire et il organise aussi des soirées spectacles haïtiens. Tout le monde le connaît. Et quand je dis tout le monde, c’est tout le monde! C’est hallucinant. Chaque client haïtien qui entre dans le magasin quand il est là vient le saluer avec respect. Et puis ça se met à parler et à rire et d’autres clients qui entrent sur l’entrefait se joignent à eux et voilà-t-y pas qu’ils sont maintenant 4 ou 5 autour de Chacha à parler et à rire. Ce mec-là se présenterait pour devenir président de la diaspora qu’il serait élu au premier tour.
Pendant ses pauses, il s’enferme dans les chiottes où la sono est excellente et il enregistre ses topos pour son émission de radio ou ses pubs pour ses spectacles (qu’il passera ensuite sur son émission)
C’est le meilleur agent de sécurité qu’on a jamais eu. Quand tu es client, tu ne veux pas faire le con quand Chacha est là parce que Chacha, il va te crisser dehors que t’auras même pas le temps de savoir ce qui s’est passé.
Don’t fuck with Chacha!
Je l’ai vu une fois en sortir un. C’était spectaculaire. Un type dans la quarantaine pas mal saoul qui s’est mis à menacer tout le monde en Espagnole parce qu’il croyait qu’on ne comprenait pas sa langue. Il disait des trucs à notre endroit où ça parlait de fusil et de balle dans la tête. Le problème (pour lui) c’est que Chacha, ben justement, il se trouve qu’il parle très bien l’Espagnole. Du coup, ça n’a pas traîné. Il a mis sa grosse patte gauche derrière le collet du mec et sa droite dans son fond de culotte. Il a juste fait un léger mouvement et des hanches et le mec s’est vu soulevé de terre comme s’il était accroché par une grue de construction. Chacha a ensuite fait quelque pas vers la sortie en tenant le mec à bout de bras. Celui-ci pédalait dans le yogourt parce que ses jambes ne touchaient plus à terre. Chacha l’a ensuite balancé dehors comme un sac d’ordures en restant ensuite devant la porte, les poings sur les hanches et les jambes écartées. Ça voulait dire «si tu tentes de revenir, je suis là»
Mais le mec était saoul et il a tenté de revenir. Alors du coup, Chacha s’y est pris exactement de la même manière, mais cette fois, il a été le balancer un peu plus loin. Le mec n’a plus insisté.
Le 31 décembre dernier, jour de malade à la succursale, je me suis payé grâce à Chacha le fantasme absolu que tout bon commis de la maison rêve de se payer un jour.
Résumons : On ferme à 19h parce que c’est le 31 décembre. Dehors, il y a une filée de retardataires qui s’étire jusqu’au Mexique. On décide de faire entrer la filée mais après, c’est terminé. On ferme les portes et puis basta.
19h15. Les derniers clients de la filée qui s’étiraient jusqu’au Mexique sont maintenant dans le magasin. La plupart sont en ligne pour payer, mais d’autres prennent encore tout leur temps pour choisir leur putain de bouteille avec laquelle ils vont passer le réveillon. Comme je dois le faire dans ce genre d’occasion, je passe de client en client pour les aviser de se diriger le plus vite possible aux comptoirs-caisses. Dans le lot, un groupe de trois jeunes. L’un d’eux, le leader du groupe, me traite alors d’enculé.
Si, si! D’enculé!
Je reviens sur mes pas et je lui demande s’il m’a bien traité d’enculé.
Il me dit, très fier et très baveux «T’as très bien entendu»
Je lui réponds, « Tu sais que je peux t’obliger à sortir pour ce que tu viens de dire?»
Il me regarde comme si j’étais une merde et réponds avec arrogance « Vas-y! Sors-moi!»
Il me bouffe de deux têtes. Il peut me casser la gueule facilement. Je lui réponds en souriant «Non, ce n’est pas moi qui vais te sortir, c’est lui»
Et je pointe Chacha.
Chacha arrive, le regarde et lui dit «Je te demande très poliment de sortir»
Le mec fait le fier. «Oh! Pourquoi tu veux me sortir?»
Chacha rajoute très calmement, mais avec ce genre de regard qui dit que là, mec, tu pousses un peu loin «Je te le redis une deuxième fois très poliment. Mais il n’y aura pas de troisième fois»
Du coup, et parce qu’il a sans doute vu la même chose que moi, c’est à dire la tête de tueur de Chacha et les épaules qui vont avec, le mec a levé les mains au ciel et a dit «ok, ok, je sors»
ses potes riaient. Parce que ses potes allaient de toute manière acheter pour lui. Du coup, je me suis dit que «non, non, non! Ce n’est pas vrai que cet enfoiré va passer le 31 avec de la vodka que ses potes allaient lui acheter après m’avoir traité d’enculé. Ils étaient avec lui, alors ils vont assumer leur amitié jusqu’au bout»
Une fois que Chacha eut sorti le grand baveux, j’ai dit «Chacha, ces deux mecs-là étaient avec l’autre enfoiré» du coup, les mecs ils ne riaient plus et Chacha s’est amené vers eux en disant « Je vous demande très poliment de sortir» les mecs ils répondent un truc comme « Eh oh! On a rien dit nous! C’est lui qui a insulté l’employé!» Ce à quoi Chacha a rétorqué « Je vous le redis une deuxième fois très poliment. Mais il n’y aura pas de troisième fois» et comme par magie, ils sont sortis très calmement, mais en sachant qu’ils allaient passer un réveillon sans vodka.
On adore Chacha.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire