vendredi 28 décembre 2012

Les aventures du petit Rémi (6)


1975

Un jour, on a eu une télé. Une antiquité qui fonctionne à coup de claques et de coups de poing. Noir et blanc avec de la neige qui remplit tout l’écran. Mais en pinçant des bouts de laine d’acier sur les antennes, ouais, on arrive à voir quelque chose. Faut pas trop en demander avec les Gaston. Déjà qu’il aient pensé à nous la refiler au lieu de la crisser aux vidanges, c’est déjà quelque chose. En tout cas, nous étions contents Catou et moi. Dans notre sous-sol, on ne peut pas dire que c’est le luxe. Cette télé, ce n’était pas de trop. J’ai une petite radio que j’ai piqué dans une maison lors de mes expéditions nocturnes et avec laquelle j’écoute les parties de hockey. J’ai pratiquement écouté toutes les parties l’an dernier. Les 53 buts de Lafleur, c’était quelque chose. Le premier marqueur de 50 buts du Canadiens depuis Boum-Boum et Maurice. S’il n’avait pas été blessé, c’est sûr, il se rendait à 60. Catou possède un pick-up sur lequel elle écoute sa musique de drogué. C’est encore moi qui ai trouvé la chose dans une maison du côté de la Petite L’assomption. Je ne me démerde pas trop mal pour visiter des maisons la nuit quand les occupants sont partis pour le weekend. Catou était tellement contente qu’elle ne m’a pas posé de question pour une fois. Du coup, elle s’est mise à acheter des disques et voilà que depuis, elle écoute sa musique tous les soirs. Maintenant, avec la télé, elle varie un peu ses habitudes. On aime bien regarder des émissions en mangeant nos sandwichs au baloney. À part le hockey, ce que je préfère ce sont les émissions sur les animaux. J’adore ça. Il y en a une en anglais qui s’appelle New Wilderness et que c’est vraiment difficile de prononcer sans se prendre une crampe à la mâchoire. Faut vraiment avoir des mâchoires d’acier pour parler anglais. J’adore surtout cette émission parce que contrairement à l’autre, celle de La Mutuelle d’Omaha qui est en français avec la grosse voix de Roland Chenail, (qu’on n’arrive pas à départager d’avec celle de Léon-Joseph Beaulieu, le chef du clan du même nom qui passe à Télé-Métropole) on voit vraiment les animaux plus faibles se faire bouffer par les plus forts. C’est plus proche de la vraie vie, même si ce n’est pas toujours drôle. 
L’autre jour par exemple, l’émission parlait de ces boeufs sauvages de l’Afrique et qu’on appel là-bas des gnous parce que ça doit être le mot africain pour désigner boeuf ou vache ou taureau dans la langue de là-bas. Toujours est-il que ces gnous-là, ils ont une drôle d’habitude qui les amène à tourner en rond sur des miles et des miles de distance toute leur vie pour absolument rien, ou alors simplement pour servir de bouffe à tous les autres prédateurs de la savane qui les attendent à chaque année pour se taper un festin de roi. Et là, on se demande vraiment ce qui se passe dans la tête de ces gnous. Parce que moi, si j’étais eux, je resterais bien planqué dans mon coin de savane de gnous avec mes milliers de potes, bien à l’abri de tous les dangers qui les attendent quand vient le temps de recommencer leur périple de tourner en rond comme des cons. Le mec, le narrateur, il ne le disait pas comme ça parce qu’on ne dit pas les choses de la même manière à la télé. Mais je sais qu’il n’en pensait pas moins. En plus, c’était en anglais et je n’ai pas tout compris. Quand il parle, ça fait «wrangler, wrangler, wrangler...» comme la marque de jean’s, mais avec ici et là des mots que j’arrive à capter. C’est parce que je n’ai pas  encore la langue anglaise dans ma poche et du coup, j’entends juste «wrangler» dans mes oreilles même si je sais que ce n’est pas tout à fait ça qu’il dit. Mais on dirait que chaque langue possède ses mots rigolos quand tu les entends sans rien comprendre. En russe par exemple, ça fait «fuckoff, fuckoff, fuckoff» En chinois ça fait «mayo, mayo, mayo» et même en allemand, dans les films de guerre, on entend quelque chose comme «Black’n Decker, Black’n Decker, Black’n Decker» en tout cas, moi je trouve. Anyway, avec les petits bouts que j’arrive à capter entre deux wrangler, je peux parfois me démerder assez bien quand je regarde New Wilderness. Assez du moins pour comprendre le gros de l’histoire. De toute manière, ce n’est pas une histoire compliquée. Fuck, t’as 100 000 imbéciles de gnous qui tournent en rond pendant une heure. Le reste, c’est des détails que t’arrives à comprendre assez bien grâce aux images que tu vois. En collant les images avec les «wrangler» de l’autre abruti, ça devient assez facile à suivre. Je vous donne un exemple : 

- Wrangler, wrangler, mooving for thousands miles wrangleur wrangler before coming back home. 

Facile. «For thousands miles» ça veut dire «sur des milliers de milles» et «before coming back home», ça veut dire «avant de revenir à la maison» T’as pas besoin d’un dessin pour comprendre le reste puisque t’as soixante minutes de films qui te montrent les gnous tourner en rond. Et même qu’au début du reportage, pour que même les plus imbéciles puissent comprendre, ils te montrent une carte de la région des gnous avec des flèches recourbées qui font comme un énorme cercle. Tu comprends tout de suite que cette carte-là, elle est là pour te montrer le chemin que prendront les gnous. Ou alors c’est que t’es vraiment con, en anglais comme en français.

Aucun commentaire: