mercredi 26 décembre 2012

Les aventures du petit Rémi (5)


Les nourris

Dans un foyer de nourri, les règlements sont très simples. Défense de monter à l’étage, défense de faire du bruit, défense d’inviter des amis, défense de sortir après 19h le soir, défense d’avoir des vêtements neufs, défense de... oui bon, ça serait trop long de faire la liste, j’arrête ici. Dans un foyer nourricier, et le mot le dit, on te nourri et puis c’est tout. C’est pour ça qu’entre nous, on se désigne comme étant des nourris. Parce que c’est à peu près tout ce qu’on a ici, un peu de nourriture. Du coup, on rallonge l’expression à tous les domaines. Le ministère des Services sociaux comme ils disent, celui qui s’occupe de nous, on le désigne comme étant le ministère des nourris. Ce qui est beaucoup plus proche de notre réalité. Beaucoup plus en tout cas que «ministère des Services sociaux» qu’on ne sait même pas ce que ça veut dire. 
Il y a trois types d’enfants au Québec. Les normaux, les adoptés et les nourris. Les normaux, c’est tous ceux qui ont une vraie famille avec des vrais parents qui ont fait de la sexualité ensemble pour les avoir. Ceux-là, ce sont la majorité et je n’ai pas grand-chose à dire sur eux vu que tout le monde en connaît au moins trois ou quatre dans leur entourage. Comme le nom l’indique, les normaux vivent normalement une vie normale qui est faite pour eux vu qu’ils sont la majorité. Passons tout de suite aux adoptés qui viennent de la branche des orphelins, mais qui ne faut pas confondre avec les nourris. Les adoptés ne sont pas des nourris et vice versa. Un adopté, et comme son nom l’indique, a été adopté par des parents qui n’ont pas nécessairement voulu se mettre tout nu ensemble pour fabriquer des enfants. Et on peut les comprendre vu que c’est un peu dégueulasse à faire quand on y pense. Moi en tout cas, je ne me mettrais jamais tout nu devant une fille pour avoir des enfants. Dans le livre Elle... et toi jeune homme!, ils disent que c’est extrêmement dangereux de faire ça à cause des fluides corporels qu’on ne sait pas trop c’est quoi, mais qui risqueraient de s’échapper de je ne sais plus quel organe pour aller ensuite fertiliser dans la dépravation la fine fleur de la jeunesse catholique. Je ne comprends pas tout quand je lis ce livre-là parce que ç’a été écrit en 1930 par un évêque et que cet évêque-là, il ne parle pas normalement, mais en tout cas, les bouts que j’arrive à comprendre, merde, c’est vraiment terrifiant. Ça parle d’un tas de trucs avec tout plein de points d’exclamation au bout des phrases et juste pour ça, tu sais que c’est extrêmement dangereux. Même danser avec des filles, le mec, il dit que c’est dangereux grave. Surtout quand il s’agit de rythme nègre qui, selon lui, est la plus dangereuse de toutes les musiques qui puissent exister ici-bas. Il le dit comme ça l’évêque. Il faut savoir qu’un évêque, ce n’est pas n’importe qui. C’est comme un curé, mais en plus fort. Je veux dire, comme un chef de curés. Pas exactement le chef suprême qu’on appel le pape et qui a le droit de choisir qui ira enfer et qui ira au paradis, mais pas loin. Disons quelque chose comme un général d’armée, mais sans les tanks et les avions de combat pour effectuer ses missions qui consiste à répandre l’amour de son prochain, mais pas pour les nègres. Ou quelque chose comme ça. C’est écrit pour des garçons de 12 ans alors que n’en ai que 10, normal que je ne comprenne pas tout. 
Les adoptés que je disais. Ce ne sont ni des nourris, ni des normaux. En fait, c’est la crème de la crème des enfants sur terre. Plus aimés je crois que les normaux qui sont pour la plupart des hasards de la vie avec tout ce que ça comporte comme risques de défauts et de laideurs, tandis que les adoptés ont été choisis méticuleusement avant d’être adoptés. Vous aurez beau chercher autant comme autant, vous ne verrez pas souvent de bossus ou d’obèses se faire adopter. Et encore moins de rouquins qui sont généralement ceux qui se mangent le plus de baffes à l’école justement à cause de leur handicap capillaire. C’est parce que les adopteurs ne sélectionnent que les plus beaux spécimens de l’orphlinage. Les parents qui veulent des enfants, mais qui ne veulent pas se mettre tout nu avec tout ce que ça comporte comme dangers dus aux organes qui fluident de toute part, ils préfèrent passer par les orphelinats ou les foyers nourriciers (quoi que de ce côté-là, c’est plutôt rare si vous voulez mon avis) et choisir avec soin celui ou celle qui sera leur enfant. Un peu comme on achète une voiture, sauf que cette voiture-là serait pour la vie. Neuf fois sur dix, ils choisissent des filles parce que c’est moins cassant qu’un garçon et plus propre aussi parce que ça pisse assis et qu’il y a moins de risques d’en mettre partout sur le plancher. Mais quand il n’y a plus de filles en stock, ouais, pourquoi pas, ils prennent un garçon et font avec parce que c’est quand même mieux qu’un chien qui, comme on le sait, ne pourra jamais sortir les poubelles ou aller acheter du beurre à l’épicerie du coin. C’est chouette un chien, mais ça reste assez limité quand vient le temps de lui apprendre des trucs qui font rire les invités. Ce qui n’est pas le cas d’un enfant. 
Et finalement, il y a les nourris. Nous quoi. On est tout en bas de l’échelle de l’enfance. Pas tout à fait l’enfer, mais juste à côté je dirais. Enfin, ça dépend des foyers nourriciers. J’en ai fait un max dans ma carrière et je peux dire qu’il existe des tuteurs qui sont vraiment gentils.  Ouais, faut que je sois honnête et dire les vraies choses. Il n’y a pas que des monstres comme tuteurs. Voilà, c’est dit. Mais à la différence des adopteurs, les tuteurs ne le font pas pour l’amour de l’enfant ou pour des cas de sexualité trop pudique entre couples. Non, ils le font pour le cash et c’est surtout ça que je déplore. Il n’y a pas d’obligation d’aimer l’enfant quand tu te lances dans la business des foyers nourriciers. Parce que justement, c’est une business et du coup, les enfants que tu reçois chez toi, tu les vois simplement comme ton fonds de commerce. Plus t’en a, plus c’est payant et puis ça ne va pas beaucoup plus loin que ça dans leur tête de tuteur. En fait, je comparerais le milieu à celui des éleveurs de bétail. Chaque foyer nourricier comporte un cheptel de plusieurs têtes, et chaque tête rapporte du fric. Comme des éleveurs de moutons par exemple. Une fois par mois, nos tuteurs passent à la caisse pour réclamer le fric prélevé à même la laine qu’on nous arrache sur le dos. Pareil je vous dis. 

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