mercredi 26 décembre 2012

Les aventures du petit Rémi (4)


L’intimité

Le sous-sol est tout d’une pièce, en ciment, sans séparation. On a chacun notre matelas Catou et moi. Ils sont directement déposés sur le plancher. Celui de Catou est un peu à l’écart du mien. Je disais que la place ne comportait pas de séparation, mais je parlais de vraie séparation; je veux dire avec des murs et une porte qui ferme bien. La seule séparation qu’on a, on se l’est faite nous-mêmes avec un grand drap tout dégueulasse qu’on a fixé au plafond et qui sépare nos deux matelas. C’est un peu comme si on s’était bricolé des chambres. Ça fait la job comme on dit. De toute manière, nous n’avions pas le choix puisque que Catou est maintenant une adolescente qui a besoin d’intimité pour cause de seins qui lui ont poussés grave depuis l’été dernier. Elle a 13 ans et j’en ai que 10. Je suis donc en retard sur elle question de seins, et sans doute que je le serai toujours vu que je suis un garçon et franchement, c’est tant mieux comme ça. Je suis donc un préadolescent, c’est-à-dire que je suis entre l’enfance et l’adulterie. Paraît que c’est l’âge où j’ai des hormones et des globules internes qui fermentent grave dans mon système biologique. C’est comme ça qu’ils disent dans le livre Elle... et toi jeune homme! que la vieille sorcière Gaston m’a forcé de lire pour prévenir les cochonneries que je pourrais faire avec Catou, sans trop m’expliquer exactement à quelles cochonneries elle faisait référence. Oui bon ça va, je suis encore un préadolescent, mais je connais quand même des choses. Elle a peur que je fasse de la sexualité avec ma copensionnaire. Ce qui ne risque pas d’arriver parce que ces choses-là, ça me dégoute juste d’y penser. Et je n’imagine même pas la réaction de Catou si j’arrivais comme ça, comme un con, à lui demander si elle accepterait de coucher toute nue avec moi pour qu’on se sexualise. On n’est pas des animaux quand même! 
Le seul endroit qui comporte une porte qu’on peut fermer, ce sont les chiottes. Les Gaston disent «salle de bain» alors qu’on se demande bien où il est le bain justement. Y a qu’une cuvette pour chier et un tout petit lavabo que l’on utilise pour nous décrasser. Catou rêve d’un vrai bain. C’est pour ça qu’un jour, je lui ai ramené une grande bassine que j’ai piquée sur les chantiers en construction, du côté des champs en friche, là où la ville construit ses nouveaux développements de bong-à-l’eau. Je crois que les travailleurs y coulaient du ciment dedans. En tout cas, c’était lourd comme un cheval mort ce truc et j’ai eu toutes les misères du monde à le ramener à la maison. Et encore! Fallait le rentrer sans alerter les Gaston. Je l’ai planquée derrière le cabanon de la cour et j’ai ensuite attendu au moins toute une semaine avant d’avoir le champ libre. Ça s’est fait quand le couple s’est éclipsé pour aller rendre visite à la vieille mère de la sorcière Gaston à Montréal. Et puis ça tombait bien, Catou était aussi absente ce jour-là. J’ai eu le temps de rentrer la maudite bassine et la descendre au sous-sol, tout ça avec mes petits bras. Avec un seau, j’ai ensuite rempli la chose d’eau bien chaude et j’ai disposé un autre drap tout autour du bain et qui formait une manière de rideau, question de donner à ses seins leur besoin d’intimité en tout temps. J’étais drôlement content de moi. Mais pas Catou! Oh que non! Quand elle a vu le tableau, elle a paniqué. Elle disait que le gros dégueulasse allait nous assassiner quand il allait voir ça et même que si ça se trouve, il allait en profiter pour nous y plonger tous les deux pour nous noyer. Vu sous cet angle là, c’est vrai que mon idée n’était peut-être pas la meilleure que j’avais eue. On s’est dépêché à vider la bassine avant de la sortir dehors, mais dans notre précipitation, on a renversé une bonne quantité d’eau sur les planchers, ce qui risquait aussi de nous valoir une sérieuse correction de la part du gros dégueulasse s’il venait à découvrir tout ça. Pendant que j’étais chargé d’aller balancer la bassine le plus loin possible, Catou épongeait les planchers. On a fait vite et on a été chanceux parce que les Gaston ont rappliqué au moment où Catou terminait d’effacer les dernières traces. Ç’avait été moins une et on a eu la chienne de notre vie. Mais après coup, qu’est-ce qu’on s’est payé comme fou rire. 
Je n’ai pas de famille, je disais. Mais c’est un peu faux quand j’y pense. Parce que par moments, je me dis que Catou est sans doute ce qui ressemble le plus à une famille pour moi. C’est parfois une grande soeur, parfois une mère, parfois une amie et même que parfois, quand on passe nos soirées plates ensemble, moi en écoutant le hockey à la radio et elle en lisant ses journaux de vedettes, on ressemble à un couple. C’est tout ça mélangé. Parfois on s’engueule grave, même que parfois on se fout des baffes, mais c’est plutôt rare. Ce que j’aime le plus avec elle, c’est la nuit quand on se couche chacun de notre côté de notre séparation d’intimité. On parle longtemps avant de s’endormir. On se raconte souvent nos rêves de quand on sera assez vieux pour ne plus vivre dans des foyers de nourris. Comme elle est plus vieille que moi, c’est elle qui s’en sortira la première. Elle me dit qu’à 18 ans, elle se trouvera un travail et elle m’adoptera pour mieux me faire sortir de ce trou à rat. Du coup, je lui demande si à 18 ans, une fille a le droit d’adopter un adolescent de 15 ans. Elle réfléchit un moment, puis me dit que de toute manière, si elle n’a pas le droit, on s’arrangera pour dire que je suis son frère et puis voilà quoi, on peut comme ça prolonger nos rêves et s’imaginer des tas de trucs quand on habitera ensemble elle et moi. Mais je m’endors toujours avant de lui parler de tous mes rêves. Pas grave, ça en fait plus à se raconter le lendemain. 

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