mercredi 26 décembre 2012

Les aventures du petit Rémi (2)


Aujourd’hui il n’y a plus d’orphelinat. À la place, il y a des foyers nourriciers comme celui des Gaston. Tenir un foyer nourricier c’est très payant et ça ne demande pas beaucoup d’efforts. N’importe qui peut devenir tuteur de foyers nourriciers. Suffit d’avoir un bong-à-l’eau et de transformer le sous-sol en pensionnat après quoi tu peux faire ta demande au ministère. T’as pas besoin de grand-chose. Suffit de mettre sur le plancher le même nombre de matelas que t’as de pensionnaires. Même que parfois, tu peux stocker deux nourris sur le même matelas. C’est très économique. J’ai souvent vu ça dans d’autres foyers où j’ai habité. Il n’y a pas vraiment de limite de pensionnaires et même que je dirais que plus tu en stockes dans ton sous-sol, plus le ministère des nourris est content parce que ça fait ça de moins à placer pour eux. Un enfant de placer, c’est un dossier fermé. C’est comme ça qu’ils comprennent la vie ces gens-là. Pour le mobilier ou pour l’intimité, il n’y a pas vraiment de règlement. Le tuteur est libre de disposer sa maison comme il veut quand vient le temps de la transformer en foyer nourricier, pourvu que les enfants puissent avoir droit au confort minimum exigé par le ministère. Le confort minimum exigé, c’est d’avoir au moins un lit et avoir accès à une salle de bain. Pour le reste, le ministère n’est pas trop regardant comme on dit et les inspections sont assez rares. De toute manière les inspections, c’est bidon parce qu’ils avisent les tuteurs un mois à l’avance de la date de la visite et du coup, ceux-ci on tout le temps de préparer l’endroit pour recevoir bien comme il faut les agents qui viennent vérifier si tout est ok. Les inspecteurs travaillent de 9 à 5, ça veut dire que toutes leurs visites se font quand nous sommes à l’école. C’est très pratique pour les Gaston qui peuvent ainsi raconter n’importe quoi sans risque d’être contredit par l’un de nous. Bien sûr, les Gaston passent toujours ces visites avec de très bons résultats. Dans les papiers du ministère, c’est écrit que Catou et moi avons chacun nos chambres fermées à l’étage ainsi que les accès à toutes les commodités de la maison, pareil comme dans une vraie famille. Ça vient du fait que les Gaston, quand les inspecteurs débarquent, leur font visiter les deux belles chambres d’invités à l’étage et qui ne servent à rien, de même que la grande salle de bain de la maison. Les inspecteurs quand ils voient ça, ils sont drôlement impressionnés. Et ce n’est pas terminé parce qu’on leur montrera aussi l’intérieur du frigo et toute sa quantité de bonne bouffe qui déborde des tablettes et qui respecte l’obligation des menus variés exigés par le ministère. Les inspecteurs notent tout ça sur des papiers officiels et écrivent ensuite de beaux rapports où ils n’ont que des félicitations à donner au couple Gaston. Bien sûr, c’est du bidon et dans la vraie vie, on n’a pas droit ni à ces chambres ni à cette bouffe. En réalité, nous vivons dans le sous-sol avec interdiction de monter à l’étage sous peine de manger non pas la bonne nourriture du frigo, mais bien une solide baffe du gros dégueulasse qui te décroche la mâchoire à chaque fois. Et je pourrais dire que des baffes, on en mange plus souvent qu’à notre tour. Moi surtout puisque je suis un garçon et que le bonhomme Gaston s’est mis dans la tête de faire de moi un homme et que selon son point de vue à lui, un homme, ben merde, ça ne se fabrique pas autrement qu’à grands coups claques. Gifles, coups de poing, coups de pied quand il est sobre; étranglement, coups de bâton, brûlure de cigarette quand il est saoul. De ce côté là, pas de danger, c’est un menu extrêmement varié. 

Pour Catou, ça se passe autrement. Généralement, ça se déroule quand la vieille Gaston s’absente, ce qui arrive assez souvent puisqu’elle s’occupe de sa vieille mère malade qui habite Montréal. Au moins une fois par semaine, elle va la visiter et au moins une fois par mois, elle passe la nuit là-bas. C’est généralement pendant ces moments que ça se passe pour Catou. C’est toujours la même chose. Le gros dégueulasse descend dans le sous-sol, se prend l’une de ses grosses bouteilles de cidre qu’il fait lui-même et qu’il planque dans l’établi derrière son gros coffre d’outils pour ne pas que sa femme le découvre. Il nous regarde sans dire un mot et on comprend à ses yeux menaçants qu’il faut garder le secret et qu’on n’a pas intérêt à en parler à sa sorcière de femme. Il remonte ensuite à l’étage et se saoule jusqu’à tomber dans les vapes. Parfois, il est tellement saoul qu’on a la paix, mais d’autres fois, il l’est juste assez pour nous faire passer de rudes moments. C’est souvent des raclées que je me bouffe ou alors il ordonne à Catou de monter à l’étage. À chaque fois, elle en tremble tellement qu’elle a peur. Elle en pleure, mais pas trop parce que sinon c’est une baffe assurée. Le trou d’cul n’aime pas la voir pleurer quand il lui demande de monter. Quand il la frappe, moi ça me met en colère et je rêve de lui faire la peau. J’ai déjà essayé, mais je ne vous dis même pas le massacre qui en a suivi. Du coup, je ravale ma rage et je jure en moi même que je le ferai payer un de ces jours. Quand Catou redescend au sous-sol après avoir été rejoindre le vieux, elle pleure dans son coin et reste muette pour le reste de la soirée. Et même parfois pour les deux ou trois jours qui suivent. Je ne sais pas trop ce qui lui fait, je ne sais pas trop ce qui se passe là-haut parce que ça se fait toujours en silence et que Catou refuse toujours de m’en parler, mais je sais que ça la trouble grave. Dans ces moments, elle parle souvent de mourir et ça me fait peur parce que dans ses yeux, je vois bien que ce n’est pas de la comédie. C’est la même panique qu’avait Jeannot du foyer nourricier des Gauthier. Faut que je vous raconte. 

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