mercredi 26 décembre 2012

Les aventures du petit Rémi (1)


1973 

Lui, c’est Armand et elle c’est Fernande. Armand et Fernande Gaston, nos tuteurs. Nous on préfère les appeler le vieux et la vieille. Ou encore le gros dégueulasse et la sorcière. Ou encore l’ostie de mangeux d’marde et sa sale pute. Ça dépend du moment. Ils ne nous aiment pas et ça tombe très bien parce que justement, on les déteste. Le problème c’est que nous n’avons pas 18 ans et que nous sommes obligés de vivre là, dans leur maison, étant donné notre statut de mineurs pensionnés. Nous sommes en pension quoi. Ça vient du fait que ces gens-là tiennent ce qu’on appelle un foyer nourricier pour des enfants orphelins (comme moi) ou pour ceux dont les parents ne sont pas aptes à pratiquer l’élevage de leurs propres enfants (comme Catou). Un foyer nourricier, et comme son nom l’indique, c’est une maison (généralement un bong-à-l’eau) où l’on nourrit les enfants qu’on y stocke en échange d’une pension du ministère des nourris. Le ministère des nourris, c’est le gros bureau du gouvernement qui gère les cas d’orphelinage ou de problème d’élevage d’enfants dans la société d’aujourd’hui. Avant, c’était les orphelinats de Duplessis, mais ceux qui ont fait la révolution tranquillement contre Duplessis justement, ils ont tout changé ça. Parce que Duplessis, c’était un beau salaud. Il faisait des enfants par paquet de douze à ce qu’on raconte. Un chaud lapin. Tellement qu’il ne savait plus où les mettre. En plus, ça courait partout et ça faisait des tas de conneries. Oui, mais c’est normal, tu t’attends à quoi d’autre quand t’as des enfants? Mais lui, ce Duplessis-là, il n’aimait pas du tout les enfants, même s’il en avait fait des milliers. Du coup, il s’est écoeuré et a fait construire des orphelinats en briques brunes très laides et les a tous crissé là sans plus ne jamais s’occuper d’eux. Ce sont les religieux qui s’en chargèrent et bien sûr, ceux-là étaient très contents de recevoir gratuitement des milliers d’enfants à qui ils pouvaient prêcher la bonne nouvelle. Parait même que ça prêchait grave dans ces orphelinats-là. On manquait de place tellement il y avait d’enfants et forcément, quelques-uns se sont même fait prêcher contre le mur. Une prêche miraculeuse pour les religieux, mais du prêche citron pour les enfants qui ont été les vraies victimes dans toute cette sombre histoire. Enfin, c’est comme ça qu’ils disaient à la radio l’autre jour. Ou peut-être pas exactement comme ça vu que je n’ai que 10 ans et que je ne comprends pas tout, mais bon, on fera avec si vous voulez bien. J’ai pas très bien tout saisi même si l’émission m’intéressait. C’est parce que j’ai été occupé un bon moment  à recevoir les coups de poing du gros dégueulasse. J’étais rentré un peu tard de l’école et il voulait me corriger pour mieux m’apprendre l’importance de la ponctualité. Remarquez, il me corrige même quand j’arrive à l’heure et vient un moment où l’on ne sait plus trop pourquoi on se ramasse des baffes, mais ça c’est une autre histoire. Bref, j’ai raté des bouts de l’émission et ça me fait chier un peu parce que ça parlait de l’histoire des orphelinats du Québec et que moi, l’histoire des orphelinats, ça m’intéresse. Parce que dans ce type d’émissions, ils retracent toujours d’anciens orphelins qui viennent raconter leur histoire, mais aussi, mais surtout devrais-je dire, on y entend aussi des mères qui ont abandonné leur enfant il y a bien longtemps et qui le regrettent aujourd’hui. Elles viennent raconter tout ça et c’est toujours poignant de les entendre parce que la plupart aimeraient tellement revenir en arrière pour recommencer à zéro et garder leur enfant avec elle. Mais dans ce temps-là, elles ne pouvaient pas à cause du mariage qui était obligatoire pour tous les cas d’accouchement catholique qui se déroulait dans la grande noirceur. Si par exemple t’étais une femme et que t’avais le malheur d’attraper l’enfantement sans être mariée, tu devais obligatoirement laisser ton bébé aux religieuses après la naissance. Sinon, on te traitait de pute, de salope, de traînée et de toutes sortes de noms qui risquaient de faire honte à tes parents et à tes voisins, et même à Dieu qui regardait tout ça de là haut en prenant des tas de notes sur toi pour mieux te juger quand t’allais mourir. Elles racontent toutes la même histoire ces mères abandonneuses et par moment, on en viendrait à avoir pitié d’elles. Mais pas longtemps. Parce que justement, y a de bonnes chances pour j’ai été un de ces abandonnés. Si ça trouve, dans le tas de témoignages que j’ai entendus, il y avait peut-être ma mère. C’est pour ça que ces émissions m’intéressent. Des fois que... mais en même temps, je ne sais rien de mon histoire. Je suis abandonné ou je suis orphelin? Morts ou vivants mes parents? Personne ne m’a jamais rien dit. 

Aucun commentaire: