Demain, je vais aller chez toi. Avec Éric, on ira vider ton maudit logement que tu n’aurais jamais dû louer.
On te l’avait dit mille fois de ne pas aller là, que tu n’étais pas en état de gérer un loyer puisque tu n’étais même plus en état de gérer ta personne. Tu te disais fort, mais quand je te demandais la date du jour, tu te plantais. Devant les ambulanciers du 911, t’avais même hésité sur l’année quand ils te l’avaient demandé.
On t’avait trouvé une place au Portage. Un truc génial parfait pour toi. Désintox + aide psychologique. C’est ça que t’avais besoin.
Mais t’as pas voulu et dans cette drôle de société, ça prend le consentement du délirant pour garder celui-ci dans un centre comme le Portage. Je me demande où est là logique là-dedans. On ne peut pas garder en centre d’aide psychologique un mec suicidaire sans le consentement de celui-ci. Allôôôô!! T’étais pas en état de décider, fuck, ils auraient dû te prendre de force et fuck off les droits et libertés de l’individu. T’avais déjà plus de liberté, ton esprit était une prison de folie dépressive. Trois tentatives de suicide en trois ans, ce n’était pas assez pour les convaincre de te garder malgré ton refus?
Tu connaissais bien tes droits, enfoiré. T’as joué là-dessus. Tu disais exactement ce qu’il fallait pour qu’on ne te garde pas. Même à Notre-Dame, après le premier 911 que j’ai fait, quand j’ai trouvé ton cocktail mortel caché dans ton armoire, tu les a bien roulé. Tu m’avais même appelé le soir après être sorti pour te moquer de moi.
Enfoiré.
Oui, je dis bien enfoiré. Ici, dans la relative intimité de ce blogue de merde, je te parle comme si tu étais encore devant moi.
À la fin de ta vie, quand tu délirais, t’étais plus qu’un ostie d’enfoiré. Oui bien sûr, ce n’était plus toi. C’était quelqu’un d’autre et c’est ça qui me faisait si mal. J’arrivais pas à trouver le Mario dans cette carcasse en sursis que j’avais devant moi. Mes mots rebondissaient contre l’armure de ta folie. T’étais devenu cette chose qui pleurait et riait dans la même minute. Tu puais grave la crasse, la sueur et le fond de tonneau. Tes cheveux comme des mottons de laine, tes cicatrices sur tout le corps parce que tu tombais la nuit, quand t’étais trop pété. Même Philémon, ton chat adoré, ne te reconnaissait plus. Il avait peur de cette bête qui avait pris ta place dans ton corps. T’étais même plus une épave. Une épave, ça flotte. Toi, t’étais déjà calé profond dans les abysses des âmes perdues. Je ne sais même pas ce que ça veut dire, mais tu disais que j’écrivais bien. Alors j’en crème un peu pour ta pomme, enfoiré. Parce que demain, je vais mettre les pieds dans ton logement sordide. C’est là que je t’ai vu pour la dernière fois. Non, ce n’est pas vrai. T’étais même pas là quand j’ai rentré tes meubles. T’étais encore dans ton ancien logement. Pendant ton déménagement de merde, t’avais déboulé les marches parce que t’étais trop saoul. Tu t’étais pété les deux poignets. Cassés les poignets! Et puis avec ça une commotion cérébrale. T’avais le front qui pissait le sang. Ouais, c’est ça la dernière image que j’ai de toi. Assis dans ton petit sofa, pissant le sang, geignant parce que tes poignets te faisaient mal, des kleenex dans le visage pour essayer d’arrêter le sang, incapable de lever le moindre objet à cause de tes poignets cassés, puant l’alcool de toute une nuit de beuverie, des cernes aux yeux qui te faisaient comme des valises, ta barbe des derniers jours, tes godasses détachées, du sang sur ton pull, tes bouteilles de bière cheapo un peu partout, c’est comme ça que t’étais la dernière fois que je j’ai vu. Éric ventait de quitter parce qu’il avait un rendez-vous chez le doc. Dom avait pris sa place. Tous les deux étaient en vacances, mais s’étaient déplacés pour toi. En remerciant Dom d’être venu, il m’avait dit «Le gros, un syndicat c’est comme dans l’armée. On laisse jamais un collègue en arrière. On va le chercher».
Tu l’aimais beaucoup Dom. Moi aussi je l’adore. Une force brute , mais le coeur sur la main. Il t’avait fait rire en te disant «Hey le gros, tu viens de dire que ça fait 8 ans que t’as pas touché à une femme. Pis là, tu viens de te casser les deux poignets. T’es vraiment dans la merde mon vieux»
Il t’avait fait rire encore quand, pissant le sang, tu lui avais dit que ton prochain appartement était très petit. Il t’avait dit «Hey le gros, plus petit que ça on appel ça une boîte postale»
Il ne te prenait pas en pitié celui-là. Pas comme moi. Pas comme Éric. Il te bousculait, mais tu l’aimais pour ça.
Je t’ai bousculé moi aussi. Mais ce n’était pas la même chose. Quand je le faisais, tu te mettais à chialer. À la fin, je n’étais plus capable de supporter ta faiblesse. Enfin, la faiblesse de cette chose qui avait pris ta place.
Mais je t’ai secoué solide, avoue-le. Même que ton suicide, si ça se trouve, c’est un peu à cause de moi.
J’ai coupé les ponts après ce déménagement en catastrophe. Je t’avais dit que dorénavant, je t’aiderais dans la même proportion d’aide que tu t’accorderais. La dernière fois qu’on s’est parlé, c’était le jour où t’attendais à l’hôpital pour ton opération aux poignets. T’étais tellement perdu que tu me racontais ton accident du déménagement comme si je n’avais été là. C’est moi qui t’as pris par les épaules pour te relever après ta chute. Tu l’avais oublié. Tu ne te souvenais même plus que j’étais là. Je t’ai dit de ne plus me rappeler, à moins que tu n’acceptes de demander de l’aide nécessaire pour ton cas. On ne s’est plus jamais reparlé par la suite. T’es mort maintenant.
Demain, je vais mettre les pieds dans ton appartement de merde. Je dois t’avouer que j’ai peur un peu.
Peur de ma réaction.
Peur de me mettre à chialer.
T’as pas laissé de lettre avant de te tuer. Preuve selon moi que tu n’avais pas prémédité ça le matin même. Non, selon moi et comme je te connais, tu t’es saoulé la gueule en mélangeant tout ça avec tes osties d’antidépresseurs et c’est là que t’as eu l’idée. Comme toutes les autres fois où tu t’es raté, ça s’est fait alors que t’étais complètement pété. Sobre, t’aurais jamais eu le courage.
Je te connais.
Et je te connais tellement que si vraiment tu l’avais fait sobre, ben mon vieux, t’aurais pris la peine d’écrire des lettres pour tout le monde.
Dramatique, tu l’étais jusqu’au bout des ongles. Si t’avais été sobre, tu y aurais pensé à ces lettres. Ne serait-ce que pour me faire sentir coupable de t’avoir abandonné.
Le hasard est une chose incroyable. Deux jours avant ta mort, à une réunion des AA, j’ai appris que t’avais parlé d’Éric et de moi en termes élogieux. Un type qui a fait la même désintox que la tienne et qui jouait au Hockey avec nous les dimanches soirs l’a dit à Éric. J’aime à penser que loin d’avoir provoqué ton suicide, j’ai contribué à te donner trois ans de vie supplémentaire.
Ça m’aide à me dire j’ai peut-être été utile à quelque chose.
Dans ces trois années-là, je t’ai fait rire à quelques occasions. Ce n’est pas rien ça. T’es venu chez moi, j’ai été chez toi, t’as vu ma voisine aux tomates que tu trouvais belle. Tu tombais toujours amoureux des filles que tu croisais. Moi aussi remarque, mais je sais comment me contrôler. Pas toi. J’ai été voir un show de musique contemporaine avec toi, je t’ai montré comment te démerder avec Facebook, comment tenir un blogue, ces machins.
Tu es mort Mario. Tu as monté sur le toit de ton building avec ton chat dans tes bras. Philémon qui ne te reconnaissait même plus. Un mec passait en bas, sur le trottoir. Il t’as vu sur le rebord de la corniche. Tu tenais ton chat dans tes bras. Tu le caressais. Le mec t’as dit «Ça va?» Tu lui a simplement répondu «Bonjour!» en lui envoyant la main. C’est ça qui est écrit dans le rapport de la police. Le mec a poursuivi son chemin. Il a entendu un bruit sec derrière lui. Il s’est retourné, c’était toi qui venais de te lancer dans le vide. T’étais une flaque sur le trottoir. Avec Philémon dans tes bras. Toi à l’hôpital, Philémon chez le vétérinaire. Philémon s’en est sorti. Pas toi. T’es mort après trois heures de souffrance.
Demain matin, je vais vider ton logement. Je dois le faire. Je veux le faire. Comme un dernier geste avant qu’on ne t’enterre pour de bon. Il n’y aura pas de cercueil. Mais qu’une urne de merde avec ta cendre de merde dedans. Ça, c’est pour samedi. Mais demain, j’irai crissé tes meubles dans un petit camion pour aller les déposer dans le sous-sol de ta soeur.
Enfoiré. Je t’aimais bien.
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