Ta mère était là. Au début, je croyais que ce n’était pas une bonne idée. Mais en y repensant, je crois que c’était sans doute la meilleure chose pour elle. On s’entend ici, «la meilleure chose pour elle» aurait été que tu acceptes de te faire soigner, mais comme tu as décidé de te tuer à la place, tu la forces à faire un deuil que tout parent ne devrait jamais faire.
Coup d’éclat. Bravo! On ne parle que de toi depuis le 13 décembre. C’est peut-être un peu ça que tu voulais, nonobstant ton mal de vivre. Mais tu devrais voir la souffrance dans les yeux de ta mère. Oui je sais, tu n’étais plus dans ton état normal... oui je sais.
N’empêche...
Au reste, elle est très forte ta mère. Une force humble. Fragile de corps, toute chétive, mais solide dans sa tête.
J’avais le camion et je suis arrivé le premier devant chez toi. Instinctivement, j’ai regardé la corniche... l’endroit... j’ai compris que tu n’as pas été sur la toiture. Impossible de se jeter de là à cause des balcons de secours. J’en ai conclu que c’est par le dernier balcon que t’as sauté. D’ailleurs, derrière chez toi, tu as l’escalier qui y mène directement. C’était trop facile.
Dans cette journée, j’ai appris des tas de trucs sur toi. Des détails horribles. Éric (Le Che) qui m’accompagnait m’a dit qu’un jour, tu lui avais montré un immeuble en lui expliquant que t’avais déjà été sur le toit pour te balancer dans le vide, mais qu’au dernier moment, t’avais manqué de courage.
Idée fixe.
J’ai appris aussi que tu n’es pas mort sur le coup, mais que tu respirais encore quand le monsieur t’a porté secours. Il est resté près de toi jusqu’à ce que les ambulanciers n’arrivent. Philémon, ton chat, miaulait sous ton corps. Ah oui, et juste pour que tu le saches, tes boyaux sortaient de ton ventre. Mais tu respirais encore.
Avais-tu mal? Le sentais-tu? Avais-tu encore conscience? Et si oui, juste avant de passer de l’autre bord de ton âme, dans ton dernier souffle, l’as-tu regretté?
Inutile d’ajouter que ton geste a marqué pour toujours la vie de ce bon monsieur, cet ange du hasard. Tu lui as dit «Bonjour!» avant de sauter. Ç’a été ton dernier mot. Il y a ce je ne sais quoi d’humour noir que t’aimais bien dans ce dernier mot. Une dernière blague cynique avant de t’en aller.
Faut le faire quand même. Là-dessus, ouais, chapeau. Admirable.
J’ai aidé ta mère à descendre de la voiture de ton frère. Avec la slush de merde, ce n’était pas facile pour une dame de 80 quelques années. Et avec sa canne en plus. Elle s’est appuyée sur mon bras, pareil comme on fait dans ce genre d’occasion. Avec ton frère et le Che, nous avons ensuite monté les premières marches qui mènent à ton logement. Sur la porte, un mot collé. Celui de ton propriétaire. C’était écrit, «Je sais que tu es sur le point de déménager. Je ne te demanderais que de laisser le logement propre» de toute évidence, le mec ne sait pas que tu es mort depuis une semaine. Quand on parle d’un proprio discret...
Ton frère avait déjà passé il y a deux ou trois jours pour commencer le boulot. Il était accompagné de Roger, ton vieux pote de la job, celui qui est à la retraite et avec qui, à ce qu’on m’a raconté, vous formiez une solide paire de rigolos du temps où tu travaillais sur Jarry. C’était au temps où tu aimais encore la vie. On m’a raconté que dans le sous-sol du magasin, t’avais trouvé une énorme chandelle qui servait à la décoration de Noël. Ton boss te faisait chier parce qu’il trouvait que tu n’éclairais pas assez la clientèle. Du coup, t’avais enfilé cette chandelle comme un chapeau et t’avais passé la journée à conseiller les clients en leur proposant justement de les éclairer dans leur choix. Paraît même qu’après le boulot, t’avais attendu l’autobus avec cette chandelle sur la tête pour faire chier ton patron qui prenait le même autobus.
Ton logement sentait un peu la pisse de chat. Pas beaucoup, mais juste assez pour deviner que vers la fin, tu ne devais plus trop t’occuper de la litière de Philémon. (Qui, en passant, va très bien maintenant. C’est ton frère qui l’a récupéré. Il est encore un peu secoué de son opération, mais il prend du mieux) Ta mère a passé dans chaque pièce, silencieuse, hochant la tête devant ces objets qui t’appartenaient. Par moments, elle laissait échapper une phrase, toujours la même, qui sortait furtif d’entre ses lèvres «Mon Dieu... c’est-ti possible!» Puis elle s’est mise à la tâche. Solide comme un bloc de marbre, sans une larme, mais le visage défait, elle a déposé sa canne dans un coin, elle a retiré tout doucement son manteau et s’est tout de suite lancée dans la besogne. Quand il s’agit de ses enfants, et qu’ils aient 10 ans ou 53 comme toi, une mère redevient la louve aimante pour ses louveteaux. Féroce et intraitable envers ceux qui leur veulent du mal, protectrice et combattante pour la chair de sa chair jusqu’à son dernier souffle ici bas. J’ai vu cette vieille louve dans les gestes de ta mère quand elle a commencé à vider tes armoires de cuisine en prenant bien soin de tout laver et tout emballer pour que rien ne se brise. Va savoir pourquoi, mais j’ai pensé à cette scène de la Passion quand Marie lave le corps de son fils avant de le recouvrir d’un linceul. Dans le fond, c’est une scène qui se répète depuis 2000 ans, chaque fois qu’une mère voit son enfant quitter cette terre avant elle.
Vas-pas me faire dire que je te compare à l’Autre. Loin de là, même si par moment, tu pouvais facilement donner ton dernier $10 à un clochard du hasard. Ce n’est pas ça que je voulais dire. Mais simplement que j’admire cette force dans l’amour maternelle. Inébranlable.
Tu lui a fait beaucoup de mal Mario.
Avec Éric, on s’est mis sur les morceaux plus lourds. Ton sofa, ton futon, ton meuble de musique, ta commode et puis tes deux haut-parleurs de ta chaîne stéréo. Putain mais Mario!!! Ça pèse une tonne ces trucs-là! Sérieux, c’est plus lourd que ma voiture. Le seul trésor que t’avais... cette chaîne stéréo à $20,000.00. Puis ensuite les chaises, la table et finalement toutes les gogosses un peu éparses qu’on a rassemblées pour faire le tri. Je me suis permis de garder un de tes livres qui restaient encore. Ton frère avait ramené les autres chez lui la fois précédente. J’ai gardé dans le tas le roman de Gil Courtemanche : Le monde, le lézard et moi. Ton frère l’avait lu et me l’a offert. C’est ok pour toi? De toute manière, tu serais bien mal venu de refuser.
Pendant qu’on déménageait tes meubles, on a croisé deux ou trois locataires de la bâtisse. Ils savaient sans doute ce qu’il t’était arrivé parce qu’ils faisaient tous de drôles de gueules un peu mal à l’aise. Ils baissaient les yeux quand on les regardait. La mort provoque souvent ce genre de petit malaise.
Le tout n’a pas dû prendre plus d’une heure. Il était temps qu’on parte parce que ça devenait pénible. Je ne t’aurais jamais vu dans ce putain de logement de la mort. Quand j’ai aménagé tes meubles, tu venais de te casser la gueule et tu allais passer le reste de la journée à l’hôpital. 138 jours plus tard, en ressortant les mêmes meubles...
On a été porter tout ça chez ta soeur qui nous attendait. Une belle maison avec un garage et un joli sous-sol. J’ai vu le piano de la famille, celui qui date de 1882. Une belle pièce. Ta soeur nous a dit que tu en jouais très bien. Ta mère a rajouté que tu jouais aussi de la guitare, du violon et même du violoncelle. Petit cachotier! Tu ne m’avais jamais dit ça.
Elle est très sympa ta soeur. Elle a la même maladie que toi, mais dans un état pire que le tien. Elle ne peut plus manger et pour le reste de sa vie, elle doit s’alimenter avec des machins liquides. On m’a expliqué, mais je n’ai pas trop bien compris. Pourtant, qu’est-ce qu’elle est rayonnante en comparaison à toi. Elle m’a dit que c’était parce que tu n’avais jamais accepté cette maladie, contrairement à elle. Elle continue à faire de la bouffe, mais pour les autres. Elle m’a expliqué qu’une maison qui ne sent pas la bouffe, c’est une maison triste. Alors elle popote et donne tout ce qu’elle fait à ta mère, à ton frère et je la soupçonne même d’en faire pour les pauvres.
Après avoir terminé le voyage de meuble, elle nous a offert du café et des gâteaux qu’elle avait faits. J’ai accepté le café, mais pas le gâteau. Je n’avais vraiment pas faim. Un peu par ta faute d’ailleurs. On a beaucoup parlé de toi. Je les sentais tristes, mais en même temps, comment dire? Un peu soulagé tout de même. Ces trois dernières années, tu les as terriblement tourmentés avec tes précédentes tentatives de suicide, avec tes délires, avec tes cures, avec tes dettes, avec tes crises de larmes. Ça n’a pas été facile pour eux, mais ils ne t’en veulent pas. Même qu’ils commencent à accepter l’idée de ta décision. C’est ta soeur qui a le mieux résumé en disant que dans le fond, tu souffrais d’un cancer de l’âme.
Ta mère nous a montré tes dessins. Petit enfoiré de merde, tu m’avais encore caché ça! Putain mais t’avais une méchante patte! Et moi qui dessine, je sais reconnaître un bon dessinateur d’un tâcheron maladroit. Oui je sais, tu m’avais dit que tu dessinais, mais tu ne m’avais jamais montré. Fuck le gros, je suis tombé sur le cul en voyant tes deux dessins encadrés dans le petit salon de ta soeur. Dessin à la mine de plomb, un portrait de ta soeur et un autre qui représente un grand saule pleureur. J’en avais les larmes aux yeux. J’ai pris des photos pour les montrer à mes 300,000 lecteurs. Ça ne te dérange pas? De toute manière, t’es mort, dude.
Ok, j’arrête ici. Je ne vais pas écrire sur toi jusqu’à la fin des temps. Il existe d’autres sujets plus réjouissants que ta mort, tu en conviendras. Mais je suis en train de terminer un long, très long texte dont tu es le héros. J’y raconte un peu notre rencontre et notre drôle d’amitié pendant ces trois dernières années. Ça m’aide à faire passer le deuil, vieux con. Samedi prochain, j’irai au salon pour te saluer une dernière fois. Et après ça, hop! Terminé. Je passe à autre chose. Dans le fond, quand j’y repense, tu m’as aidé d’une certaine manière. C’est vrai quoi. J’ai passé un automne de cul avec son lot incessant de mauvaises nouvelles. Ta mort idiote est venue mettre la cerise pourrie sur le gâteau empoissonné. J’en ai marre de la mort et de la maladie. J’en ai marre de voir des gens que j’aime pleurer autour de moi. Alors j’inclus ta mort dans le tas et je prends tout ça comme un seul et même message.
Celui-ci : Vivre!!!!
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