Y a des mecs comme ça qui s’occupent comme ils peuvent. Certains collectionnent des timbres, d’autres passent leur temps au Café, et d’autres encore s’inscrivent dans les ligues de bowling. J’en ai rencontré un aujourd’hui qui a une manie très singulière. Chaque année, à cette période, il passe au magasin pour ramasser une quarantaine de boîtes vides.
- Pour déménager?
- Non.
- Pour du rangement de bouteilles alors?
- Non plus.
Son trip à lui, c’est de monter un village de Noël dans sa salle à dîner. Si j’ai bien compris, les boîtes lui servent de reliefs qu’il recouvre avec ch’sais pas quoi et sur lesquels il déposera ses petites maisons et ses petites forêts. Il m’explique tout ça alors que je viens à peine d’ouvrir le magasin et que j’ai encore la tronche dans le cul pour cause de manque de sommeil. Mais je joue le jeu et je le relance avec des questions techniques qui n’en finissent plus de le rendre heureux. Il m’explique que ça lui prend deux semaines à tout monter, que sa femme râle toujours, mais qu’elle finit toujours par le laisser-faire parce que c’est son seul dada dans la vie. Ça lui prend 40 boîtes, pas une de plus et pas une de moins. Avec le temps qu’il me dit, il a appris à bien choisir ses boîtes. Celles de Cognac sont les meilleures (surtout les Gauthier) parce qu’elles sont les plus solides. Il me confie non sans une certaine déception que ça fait quelques années qu’il tente de contacter les journalistes pour que ceux-ci fassent un papier sur lui. Mais sans succès. Parait-il que le sujet ne les intéresse pas. On se demande pourquoi. Mais il ne désespère pas et se promet de les relancer encore cette année. Je l’écoute et je dois avouer qu’il me fascine grave le mec. Il y a tant de passion dans ses mots que ça m’impressionne. Et du coup, comme à chaque fois dans ce genre d’occasion surréaliste, je me mets à naviguer très loin dans mes pensées intérieures et j’en reviens toujours à la même chose, à savoir que pour certains êtres humains ici-bas, la longue marche de l’évolution depuis l’apparition de l’homo sapiens n’aura servi qu’à construire des petits villages folkloriques sur des boîtes de Cognac. (Gauthier de préférence, très important. Ce sont les plus solides) Pendant qu’il me raconte ses grands moments de constructeurs et de concepteurs de village de Noël dans sa salle à dîner, je jette de temps en temps des coups d’oeil sur le plancher de vente pour m’assurer que ma collègue n’aurait pas besoin d’aide. Mais ça va, c’est mercredi matin et c’est mort comme dans un désert. Même que la petite Valérie, ma collègue, se lime consciencieusement les ongles derrière sa caisse tout en tenant son téléphone entre sa joue et son épaule. C’est bon, je peux m’en donner à coeur joie avec mon sympathique monsieur. Je lui demande si ça serait possible d’avoir une photo quand il l’aura terminé. C’est pour montrer aux clients que je lui dit. Putain, vous auriez dû lui voir l’éclat dans les pupilles! Bien sûr qu’il va me refiler une photo! Même qu’il viendra me la porter lui-même. Mais pas avant deux semaines, ça, c’est sûr. C’est que ça prend du temps monter un village comme voilà-t-y pas celui qu’il a dans sa tête. Mais moi, je m’en tape. Tout ce que je veux, c’est une photo pour nourrir mon blogue. C’est certain que je vais partager tout ça avec vous. Je suis très généreux de ce côté-là. Faites-moi confiance.
Et puisque nous parlions de photos, je me suis dit que ça serait chouette de faire déjà là une première photo. Du genre lui à côté de sa montagne de boîtes pour bien montrer le coefficient de difficulté qu’il doit surmonter pour parvenir à son but ultime. Même que ça pourrait aider à convaincre les journalistes. Bonne idée qu’il me dit. On en fait une! On place les boîtes bien comme il faut pour faire plus imposant, je lui demande de prendre place à côté et hop! Photo!
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