jeudi 6 septembre 2012

Elle souriait


Elle portait un fichu sur la tête. En fait, c’était l’une de ses innombrables écharpes qu’elle affectionnait. Je me souviens qu’il était pastel. Cela lui faisait comme un madras oriental. Cela retenait ses cheveux pendant qu’elle découpait des fruits devenus trop mûrs pour en faire une salade. 
Elle m’avait dit quelques heures plus tôt de passer par la cour arrière. Ce que j’avais fait. 
Je l’ai trouvée là, au bon milieu du jardin, coupant des fruits trop mûrs. C’était l’une de ces premières belles journées du printemps quand le soleil se met enfin à réchauffer la peau et l’âme du citoyen ordinaire. 
Quand elle m’a vu entrer, elle ne m’a pas dit bonjour. Ne m’a pas parlé. N’a même pas dit un mot. Elle a simplement relevé la tête et elle m’a souri. Puis, elle s’est remise à sa tâche, silencieuse, mais en gardant ce sourire sur son incomparable visage. 
Elle souriait et coupait ses fruits. Le genre de sourire qui te fout le feu dans le ventre parce que cela suintait le bonheur tout simple. 
Le bonheur de me voir. 
Pas besoin de le dire, elle souriait et c’était magique. 
Je vivais dans ce sourire-là. C’est moi qui l’avais créé. J’étais fort de sa beauté. Immortel. L’envie de chialer quand j’y repense. 
Je me suis assis à la table, juste devant elle et je me suis mis à la regarder couper des fruits trop mûrs. 
En silence. 
Et je souriais moi aussi parce que j’étais heureux qu’elle soit heureuse de me voir. 
On n’a rien dit pendant de longues minutes. 
Comme deux cons qui souriaient d’être content d’être en vie. 
Et justement, j’y aurais bien passé le reste de ma vie tellement j’étais bien. 
Elle aussi je crois. Et c’est surtout ça qui me faisait tant de bien. 
C’était tout con. 
Mais inoubliable. 
Ça fait plus de cinq ans de ça. 
Je n’oublierai jamais. 

Elle m’a téléphoné l’autre soir. On a parlé pendant près d’une heure malgré l’océan qui nous sépare. 
On a rigolé, pareil comme si on s’était vu la veille. Me racontait des trucs merveilleux dans son accent symphonique. Elle disait «Raïllejean» que c’était même trop beau à entendre. 
Dans mon paradis à moi, quand je serai mort, il y aura des tas de belles filles qui auront toutes des accents différents et qui chanteront mon prénom. 
Mais il y aura elle surtout. 
Et puis des fruits trop mûrs dans un après-midi de printemps tout chaud.

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