dimanche 25 mars 2012

Regard oblique


La photo est médiocre. Ce qui est tout à fait normal puisque je suis un photographe médiocre. J’ai beaucoup de volonté, mais je n’ai pas ce qu’il faut pour composer LA belle image. C’est toujours flou, mal cadré, surexposé. Mon frangin est bien meilleur que moi et j’ai beau essayé de copier ses trucs, je n’y arrive pas. Faudrait qu’il m’explique. 
La photo que vous voyez représente mon dernier tableau. Mon premier en 100 ans. J’avais le goût depuis quelques jours. Mais il arrivait toujours quelque chose qui m’en empêchait. Comme mon alcoolisme par exemple. 
C’est un machin que j’ai craché en deux heures environ. Je suis un dessinateur acceptable, mais un peintre qui en arrache. Comme la photo d’ailleurs. Je n’ai pas de technique, mais je crois vous avoir déjà expliqué tout ça il y a quelques mois sur ce blogue. J’ai donc dessiné et presque pas peins. 
Le mec sur la peinture, c’est moi, mais ce n’est pas moi. C’est un peu comme lorsque je parle de Ray qui est pour la hausse des frais de scolarité. C’est lui, mais ce n’est pas lui. Ray est pour la hausse, mais pas Raymondo. Faut essayer de vous démerder avec ça. J’ai déjà eu l’air con une fois, on ne m’y reprendra plus. 
Donc le mec, c’est moi sans être moi. Moi à 60 ans, disons, mais ce n’était pas voulu. Je n’ai pas ce menton. Ni ce nez quand on regarde bien. Ni rien du visage d’ailleurs. Mais c’est moi quand même. Comment expliquer ça? 
Je laisse aller le pinceau en ne pensant à rien. J’écoute de la musique et je pars en voyage dans ma tête. Je pense à plein de trucs chouettes qui me rendent heureux. Mon voyage au Maroc avec M..., celui en Suisse chez mon frangin, les prochains voyages de pêche, le linge de ma fille que j’ai sorti de la sécheuse ce soir et que j’ai plié à peu près correctement en trouvant chouette de me prendre pour une maman. Et puis mon amie toulousaine qui m’a téléphoné 20 jours avant ma fête pour me souhaiter joyeux anniversaire et qui a fait «meeeeeerde» quand je lui ai dit que c’était le 29. Je pense à un tas de trucs comme ça quand je couche de la peinture sur une toile. Je ne pense pas à mon sujet. Je laisse aller ma main en fonction du plaisir que j’ai d’être là et de vivre en ne faisant que ça. Ça donne donc ce que ça donne. Je ne peux jamais prévoir. Je dessine directement sur la toile comme ça vient. Sans croquis préparatoire. Trop chiant les croquis. Ça coupe les tripes, ça étouffe la pulsion. Trois secondes avant, je n’ai pas d’idée de ce que je vais dessiner. C’est comme un accouchement mystérieux, mais sans les contractions douloureuses. Le vrai plaisir dans cette toile, il se trouve dans le blouson du personnage et les plis du T-shirt. C’est là-dedans que mon esprit s’est envolé. Pour le visage, j’ai trop pensé à mon dessin. C’est pour ça que c’est un peu raté. Justement parce que je ne voulais pas rater. Faut pas avoir peur de rater. J’y arrive avec un crayon et du papier, mais avec un pinceau et une toile, on dirait que je me retiens.
Mine de rien, j’écoute les Beatles en même temps que je vous écris et puis je bois le meilleur vin à 12$ disponible à la SAQ. Domaine de Sahari, vin du Maroc. Cépages Bordelais. Cabernet Sauvignon et Merlot. Tu ne peux pas te tromper. Et puis avec la voix nasillarde de Lennon, c’est un complément parfait. 
Ma toile donc. 
Que dire de plus? 
J’aime la position du personnage. On dirait qu’on l’entend penser. Ce regard oblique, j’aime bien. Il est apparu comme ça. Ce port de tête. Cette bouche un brin interrogative. Il n’est pas certain que cette séance de portrait soit une bonne idée. On devine qu’il veut s’en aller. Qu’il n’a pas confiance au mec qui est en train de le peindre. Moi quoi. Ça fait comme un dialogue avec mon inconscient. Moi qui peint moi en train de me regarder me peindre. Vous comprenez? Non? Pas grave, moi non plus. Mais je devine qu’on frôle, frise et chatouille ici un intéressant chapitre dans l’oeuvre grandiose de monsieur Freud. Sigmund de son prénom. 
Putain Ringo, ce n’était pas un mauvais batteur. S’cusez. 
Il est crispé mon bonhomme, un brin angoissé. Pourquoi donc? Je m’interroge. Pourtant j’étais heureux quand je l’ai mis au monde cet enfoiré. N’est pas content d’être là ou quoi? C’est quoi son problème à lui? Fait chier merde. Y doit être pour la hausse des frais de scolarité. Je vais demander à Ray dimanche. 
J’ai utilisé le blanc de la toile pour le visage, les cheveux et le T-shirt. J’ai touché le moins possible. C’est une vieille technique apache que j’ai apprise en chevauchant le désert du Nouveau-Mexique en solitaire. Un pur truc de dessin à la mine de plomb que je tente de recréer avec un pinceau. Pas pour donner du style, mais parce que ça m’évite de gosser avec les couleurs de la peau. C’est du bricolage comme on dit. Un exemple parfait du manque de technique. Comme quoi vous avez la preuve que tout le monde au monde peut faire de la peinture. C’est pas compliqué. Tu fais ce que tu crois qui est le mieux et tu te fermes la gueule sur les raisons qui expliqueraient tes carences. Tu t’arranges pour faire passer ça comme étant quelque chose de voulu, de pensé, de volontaire. Même les plus grands se sont plantés dans leurs chefs d’oeuvre. Va voir le David de Michael Ange. Les mains sont disproportionnées, trop grosses par rapport au corps. Les oreilles sont trop en arrière du crâne. On dit que c’est voulu. Pour les mains, on explique que ça représente la force. Pour les oreilles, on dit que c’est pour mieux souligner la détermination dans le regard. Peut-être, mais pas sûr. Peut-être que les critiques modernes n’ont pas été capables d’accepter que le mec se soit planté. Va savoir. En attendant, je vais aller me coucher. 
Ciao.

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