Je me suis présenté chez Archambault parce que je cherchais un livre. J’ai essayé de le trouver tout seul sur les rayons, mais comme je ne me souvenais plus du nom de l’auteure, ça chiait un peu. J’ai demandé l’aide d’une commis qui était à genoux devant la section des biographies. Elle plaçait des bouquins dans la dernière rangée du bas, quelque part entre MacArthur et McCarthy. «Pardon madame, je cherche un livre », combien de fois par jour entendent-ils cette question? Je ne sais pas. Assurément beaucoup. Faudrait faire des statistiques. On va rarement dans une librairie pour chercher autre chose qu’un livre. «Bonjour madame, je cherche l’allée des pâtes fraîches»
Elle s’est levée et m’a gentiment aidé.
- Quel est le titre?
- Une femme à Berlin. C’est pour une amie.
- Tout ça c’est le titre?
- Non, la première partie seulement. La suite, c’est personnel. Une précision idiote que je ne sais même pas pourquoi je vous ai glissée.
Elle a ri. J’adore quand les libraires rient de mes blagues un peu connes. Au milieu de tous ces bouquins, j’ai l’impression d’être vachement spirituel. De l’humour fin qui sent bon l’imprimée et la reliure cartonnée. Elle avait une belle bouille de fille heureuse. Genre bien nourri et des parents qui l’aiment. Sans doute une fille unique. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis dit qu’elle devait sans doute venir de la campagne. À cause de ses belles joues rouges. On en voit rarement des comme ça à la ville. C’est à ça que j’ai pensé. À ça et aussi au fait que ça serait vraiment chouette d’avoir des lunettes rayon X comme celles qu’on pouvait gagner grâce aux gommes Bazooka Joe. Fallait collectionner 5,983,998 petites blagues qui se trouvaient à l’intérieur de l’emballage pour y avoir droit. Je ne me suis jamais rapproché du chiffre. Mais qu’est-ce qu’elles me faisaient rêver ces lunettes! Tous les mecs entre 40 et 60 ans me comprennent. Le mec sur le petit dessin explicatif dans les comics de Bazooka Joe, il capotait grave. Il avait une grande-gueule qui salivait, la langue sortie, pareil comme un chien devant un os. Devant les yeux, il y avait une flèche qui pointait vers une fille. C’était pour nous expliquer qu’il regardait dans cette direction. Un dessin en coin nous montrait la fille en robe devenue transparente grâce aux lunettes Bazooka Joe. Mais chose curieuse, on ne voyait que la nénette en sous-vêtements. Nous, les mecs, on philosophait profond sur ce dessin. On se demandait comment le mec y pouvait voir à travers la robe, mais pas à travers les sous-vêtements. Il devait forcément y avoir un truc qui nous échappait. Et puis comment ça pouvait le faire capoter à ce point-là? Des filles en soutiens-gorge, on en voyait des plus bandantes dans le catalogue Sear’s. Enfin bref, la fille elle trouve le bouquin, mais elle ne l’a pas en stock. Elle peut me le commander si je veux. J’accepte. C’est pour un cadeau. Une fille au boulot. Rien de sérieux, juste une conversation passionnante que nous avons eue l’autre jour au sujet du sort des femmes pendant les guerres. Je lui ai parlé de ce bouquin. Du coup, je me suis dit que je vais le lui acheter. Comme ça, gratuitement. J’adore faire ça. La culture, je n’hésite pas à donner.
Me suis ensuite dirigé vers la sortie, mais voilà-t-y pas que je tombe sur un comptoir de téléphone sans fil. Ça fait des mois que je veux me prendre un forfait et m’arracher des mafieux de Bell. Et puis avoir un vrai téléphone avec un tas de gadgets dedans, comme dans Star Trek. Celui que j’ai, il date de ma séparation. Ça fait un bail. Très old school. À peine puis-je téléphoner avec. Je m’informe auprès de la commis, lui balance tout plein de questions, elle me montre les modèles, j’en choisis un et voilà que je suis en train de me remplir un forfait. Je me sens soudainement très de mon époque. Très hip-hop. Prochaine étape, le bal en blanc et le toupet de fif. Genre Tintin, mais en plus con. Genre Honda Civic et Loft Story si vous voulez. Oui madame! Avec des muscles partout sauf dans le cerveau. «Hey le gros!» Elle sort le jouet de son emballage. C’est vraiment ça, un jouet. Et puis pourquoi pas merde! On en est là. Moi aussi je veux prendre des photos de révolutionnaires en Iran et changer le monde. C’est un gros machin qui prend toute la paume de la main. Vachement high-tech et tout. Je peux même me raser avec si je veux.
- Vous avez la fonction appareil photo, vidéo, accès internet. Vous pouvez enregistrer le son, écouter de la musique, regarder des films.
- Est-ce qu’il y a la fonction rayon X de Bazooka Joe quand je le pointe sur vous?
- heu... non, je ne crois pas. Qu’est-ce que c’est?
- Oubliez ça.
Il fallait faire un tas de trucs compliqués pour activer la bête. Elle m’a aidé parce que c’était de son âge. Avec ses petits pouces, elle a pitonné tout un tas de trucs qui défilaient à une vitesse de fou. J’ai essayé de suivre, mais elle m’a largué au premier coin de rue virtuelle. À un moment, il fallait entrer un mot de passe. Elle m’a refilé le téléphone et s’est retournée pour ne pas regarder. J’en ai trouvé un pas compliqué à me souvenir, mais le bidule ne voulait pas le prendre. Il disait comme ça que la sécurité était médiocre. L’enfoiré! Du coup, j’ai dit à la fille «Votre téléphone, il est vraiment intelligent. Il se permet déjà d’avoir des opinions personnelles et on ne s’est même pas encore présenté» elle a ri très fort et j’étais très content de moi.
Je crois qu’on va bien s’entendre lui et moi. Il a du caractère et j’aime ça. Je vais devoir lui trouver un nom. Comment je pourrais bien l’appeler?
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