Salut, Jean Giraud, mon ami, mon pote, mon maître! Merci, un million de fois merci! Je t’ai connu quelque part à la fin des années ’60 dans un chalet de Sainte-Émilie-de-l’Énergie. J’étais tout petit. Pas plus grand que ça. En fait, c’est ma mère qui a fait les présentations. Je t’explique. Tu dessinais déjà les aventures du lieutenant Blueberry dans le magazine Pilote. Nous passions nos étés au chalet et avant de partir de la ville, maman s’assurait que nous aurions assez de BD à lire pour nous occuper les jours de pluie. Elle passait dans ce petit magasin de la rue Berri et elle faisait la razzia dans la section des BD. Tintin, Astérix, Les 4 As, Lucky Luke et puis le magazine Pilote. Elle ne savait pas qu’elle faisait ainsi entrer le Cheval de Troie dans sa propre maison. De la culture subversive, des créateurs de gauche, des soixante-huitards contestataires qui maniaient le crayon et la plume, c’était ça Pilote. Et puis de la BD intelligente, qui te prenait pas pour un con. Tout ça était dirigé par le plus génial des rédacteurs en chef de l’histoire, un certain René Goscinny. (Quelle époque! Quel magazine! Quelle pépinière de talents!) 4 garçons à occuper dans un chalet pendant deux mois, c’est costaud comme tâche ménagère. La BD, ç’a été la meilleure idée de ma mère. Ça s’est fait comme ça. Je t’ai trouvé entre une histoire de Philémon et d’Astérix. Ç’a été le coup de foudre vieux fou! Ton coup de crayon!! Ça m’a rentré dedans solide, comme une lame de couteau. Et pas que moi, mes frères aussi! Des histoires de cowboy, tu parles! Mon frère le plus vieux a ensuite commencé à acheter tes albums. Les cinq premiers en tout cas. Je les ai encore. Tout dégueulassés de graisse de chips et de gouttes de Coca-Cola et puis plus tard, de bière. Tous les autres, c’est moi qui les ai achetés. Il m’en manque depuis le temps. J’en ai prêté qui ne me sont jamais revenus. Dernièrement, je pensais me racheter les manquants. Et puis t’avais repris la série depuis la mort de ton pote Jean-Michel Charlier, le génial scénariste. Tu te démerdais pas mal non plus au scénario. Moins de bla-bla, mais plus d’action. C’était bien. J’adorais. Je t’ai connu quand j’avais 6 ou 7 ans, t’es devenu un grand frère. Un qui me montrait à dessiner. J’ai piqué trois ou quatre de tes trucs. Les ombrages hachurés, ça vient de toi. Ça rend le dessin plus vivant, plus dynamique. Et puis voilà que tu meurs mon ami! 73 ans, c’est tout jeune! Qu’est-ce que t’as pensé? On fait quoi nous maintenant? Et Blueberry? Qu’est-ce qu’il va devenir?
http://www.blueberry-lesite.com/
C’est fou le décalage culturel entre l’Amérique et la France. À l’annonce de ta mort, ici tu n’as eu droit qu’à quelques lignes. Et encore! À Radio Canada seulement parce que sur les autres canaux, oublie ça! En France, t’as fait les unes de la plupart des journaux. (Libération t’a même rendu un superbe hommage en demandant à ton pote Bilal, un des derniers grands, à dessiner la couverture. Quel coup de génie. Un maître qui rend hommage à son vieux maître. Car enfin, Bilal, c’est l’un de tes nombreux descendants. Pas de Giraud, pas de Bilal.) Ici, t’es considéré au mieux comme un créateur mineur, au pire t’es même pas considéré du tout. En France, t’es un Dieu au même titre que Picasso et Van Gogh. Je ne sais pas pourquoi, ici la BD n’a jamais été perçue comme un art majeur. Snobisme ou inculture crasse? Un peu des deux, je crois. En France, les auteurs de BD sont aussi populaires que les écrivains ou cinéastes. Pourtant bordel, tout le monde à qui j’ai fait découvrir Blueberry ont littéralement dévoré. La dernière en date, c’est M... mon amie intello. Elle ne te connaissait pas. Je lui ai refilé ma collection de Blueberry. Elle a été deux semaines à ne plus sortir de sa maison. Elle n’a fait que te lire et admirer tes dessins. Elle avait hâte de se coucher pour te lire dans son lit. T’as ce pouvoir là enfoiré!
Tu signais Giraud, tu signais parfois simplement Gir et pour la partie plus fantastique de ton oeuvre, tu signais Moebius. J’avoue que j’ai plus aimé Giraud à cause de Blueberry. Mon histoire préférée, c’est le diptyque La mine de l’Allemand perdu et Le spectre aux balles d’or. Pu-tain tu m’as fait capoter avec cette histoire-là! ( Oubliez le premier commentaire écrit par un crétin. Lisez plutôt les autres. http://www.bedetheque.com/fiche-607-BD-Blueberry-La-mine-de-l-allemand-perdu.html ) Je n’ai plus ces deux albums. J’ai prêté à un type qui vit maintenant à Toronto. Aussi bien dire que je ne les reverrai plus jamais. Mais je vais les racheter. Dans ces deux albums, comme tu l’as fait souvent dans ta carrière, tu explores de nouvelles recherches picturales. Ici, tu deviens carrément cinématographique. L’affrontement entre Blueberry et les deux chasseurs de primes est carrément à se rouler par terre. Un jalon important dans la BD moderne. Le héros qui profite du contre-jour pour aveugler ses adversaires et les poivrer d’une balle chacun, mon vieux, c’est juste malade. Je ferme les yeux et je revois ton dessin. J’ai l’impression d’entendre les coups de feu. Comment tu fais ça???
Hey vieux, je te laisse. Je dois me coucher parce je travail demain. Je voulais juste te dire merci pour avoir toujours été là quand ça n’allait pas dans ma vie. Je suis triste de te perdre vieux sage, monsieur mon maître. T’as été quelqu’un d’important pour moi. Au même titre que les Beatles et les quelques autres qui me font dire que cette vie-là vaut quand même la peine d’être vécue.
Le petit garçon de 6 à 49 ans te dit merci Jean Giraud, Gir, Moebius, du fond du coeur.
1 commentaire:
Je suis aussi un enfant de Pilote (Matin! Quel journal!). Mon vocabulaire vient de Pilote, mon imaginaire vient de Pilote. je suis donc en deuil aussi. Surtout que j'ai dans la tête une histoire de métis au temps de la guerre de sécession qui aurait pu être illustrée par Giraud.
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