mercredi 21 mars 2012

Bonjour Badame


Le mec, il n’est pas méchant. Un peu lent sans doute, mais pas méchant. Si le cerveau humain était fait de circuits électriques, je dirais du sien qu’il a tout ce qu’il faut pour fonctionner sauf que les fils sont mal connectés entre eux. Le vert avec le rouge, le rouge avec le blanc et le blanc avec le vert. Genre. 
Ça fonctionne, mais tout croche. Ça pétarade là où ça ne devrait pas faire de bruit, ça éclaire là où il ne devrait pas y avoir de lumière et ça reste opaque là où justement, un filet de lumière serait très utile.
Lent, mais pas  méchant. 
Quand il parle, on dirait un personnage de dessin animé. Sa modulation est déficiente et ça part dans tous les sens, sans logique ni structure, exactement comme un chien fou qu’on laisserait courir dans un pré après trois heures de voiture. Ajoutez à cela une légère tendance à mettre des «B» à la place des «M» quand ceux-ci sont placés en début de mot. Mais pas les autres. Je veux dire, le premier M du mot devient un B, mais les autres M restent des M. Oui je sais, c’est compliqué, mais faut suivre. Tenez, par exemple, s’il avait à prononcer le mot «matamore», ça sonnerait comme «Batamore». Vous pigez maintenant? Un peu comme lorsqu’on le nez bouché. Bon alors quand il dit «Bonjour madame» 300 fois par jour, du coup, moi j’entends «Bonjour Badame» toute l’estie de journée. Ça finit par devenir obsédant. Et moi forcément, et parce que j’adore me moquer, mais sans faire mal à personne, je ne peux pas m’empêcher de pratiquer mon «Bonjour Badame» à chaque fois que je me retrouve seul. Je suis dans l’aire d’entrepôt, je place la commande, caisse par caisse, me fait des muxxcles dans les biceps des bras et après m’être assuré qu’il n’y a personne d’autre que moi, je travaille en répétant ad nauseam et à voix haute «Bonjour Badame». Ça devient comme une obsession. Je m’en écoeure moi-même, mais je n’y peux rien! C’est plus fort que moi, il faut que je répète encore et encore «Bonjour Badame» Ça fait comme une infection dans le cerveau. Comme un bobo que tu grattes trop longtemps. Tu commences par le dire en déconnant et à la fin de la journée, t’es coincé avec le truc. 
Lent, mais pas méchant. 
Il a 28 ans. Je dirais qu’il a un cerveau d’un enfant d’environ 12 ans. Pas plus. Son papa travaillait dans la boîte. Il a gardé des contacts. C’est comme ça qu’il l’a fait entrer dans l’entreprise. Bon, d’un certain côté, c’est sympa qu’on puisse donner la chance à des gens comme lui d’avoir de bons boulots. Nous sommes en démocratie après tout et en démocratie, tout le monde devrait avoir la même chance. Même ceux qui disent «Bonjour Badame». Mais y a des fois... 
Lent, mais pas méchant. 
Il marche comme un pingouin. A le regard porcin. Il est gras. Sent la sueur. Doit pas se laver souvent. A du mal à contrôler son excès de salive quand il parle. Il ne termine pas ses phrases quand il y a trop de mots dedans. Ça vient du fait qu’il manque de confiance et qu’il panique à exprimer clairement une idée, une pensée, un raisonnement. Sa tête part de gauche à droite, ses yeux tournent en rond comme deux furieuses spirales, il s’agite, il s’essouffle, il mange des mots, il tourne en rond pour finalement s’arrêter de parler au milieu d’une phrase. Il regarde à terre et s’éloigne sans autre cérémonie, te laissant là comme un con. C’est fascinant. 
Lent, mais pas méchant. 
Au début, les collègues filles, surtout les plus jeunes, en avaient peur un peu. Relisez l’avant dernier paragraphe et vous comprendrez pourquoi. 12 ans dans un corps d’un homme de 28 ans. Y a des hormones là-dedans. Ça bouillonne. Ça mijote. Ça  marine. Ça écume. Pas besoin d’être devin pour le savoir puceau. Du coup, les petites cocottes maquillées comme des carrés d’As qui font des bisous à tout le monde (même à moi, le vieux collègue qui a l’âge de leurs papas. J’dis jamais non) quand elles arrivent au boulot, ça le démange grave. «Bonjour Besdames!!!» Mais lui, il n’a pas droit aux bisous. Il voudrait bien, mais pas elles. Du coup, il n’a droit qu’à des «bonjours» très distants et très vites balancés. Lui, pas déprimé pour autant, il se reprend pendant le quart de travail en leur reluquant le cul sans ménagement ni subtilité. Il drague à sa manière, filet de bave au coin des lèvres et le regard fixés sur les seins ou le cul. Sans filtre ni hypocrisie. C’est direct et de bon coeur. Pas de chichi avec lui. Pas de faux fuyant. C’est comme ça. Je te regarde les seins et je ne bouge plus. Même quand tu me dis d’arrêter. J’peux pas. J’ai 12 ans dans un corps de 28 ans. Au début, elles se plaignaient. Nous sommes intervenus, nous, du syndicat. 
    • Il ne faut plus regarder le cul des filles. 
    • Bais vous, vous le faites bien? Pourquoi pas boi?
    • Bon, c’est vrai. T’as raison. Tu peux regarder le cul des filles, mais y a la manière mon pote. Faut être plus subtile que ça. Les filles, elles adorent que tu leur regardes le cul. Mais pas directement. Sinon ça les insulte. Et ne me demande pas de t’expliquer pourquoi, je ne pourrais pas. C’est comme ça. Y a pas de manuel d’instruction pour les filles. On appelle ça une contradiction d’attitude. Je t’expliquerai plus tard. En attendant, faut les regarder, mais sans leur montrer que tu les regardes. Tu comprends?
    • Non. 
    • Bon, oublie ça. Commence par le début. Ne leur fixe pas les seins. Ne t’approche pas le nez de leur cul comme un chien. Ce n’est pas convenable en société. Surtout quand elles sont collègues de travail. Reste discret pour commencer. Tu peux faire ça?
    • Oui Bonsieur!!!
Lent, mais pas méchant. 

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