samedi 24 décembre 2011

Retour au jeu (4)


Je ne me sens pas encore assez en forme pour reprendre le jeu. Des étourdissements me prennent quand je tape des consonnes. Signe de commotion cérébrale. C’est pourquoi je poursuis encore ce soir ma remise en forme. Je vais patiner doucement, sans forcer. 

Ça se passait dans la réserve faunique Mastigouche après quelques jours de flotte. En fait, c’était le premier jour de beau temps. Je ne me souviens plus du nom du lac, mais c’était la première fois que je le testais. Il n’y a rien de plus enivrant pour un pêcheur que de tester un lac pour la première fois. Ça t’a un petit côté mystérieux qui te fait comme des papillons dans le ventre. Un peu comme quand t’es en amour secrètement avec une fille et que tu la croises sur ton chemin. Même chose mon pote sauf que là, les truites remplacent la fille et je vais te dire, tu ne perds rien au change. Une fille, c’est cool on s’entend. Mais ça mord rarement à une Toronto Wobbler et c’est peut-être le seul truc que je leur reproche, aux filles.

Toronto Woobbler... pour ceux qui ne savaient pas... 

Ce matin-là, je m’étais levé super tôt et je n’avais eu qu’à prendre mon café et m’engouffrer (quel drôle de verbe... nous engouffrâmes, vous engouffrâtes, ils engouffrèrent....) aussitôt but dans ma voiture puisque j’avais tout préparé la veille. La voiture était en effet remplie de mon matos de pêche, ne manquait que la bouffe que j’avais gardée dans le frigo. J’avais fait cuire des côtelettes de porc à profusion la veille, sur le BBQ justement pour ensuite manger froides sur le lac. J’adore les côtelettes de porc grillées, mais refroidies. Ça t’a un je ne sais quoi d’homo sapiens que je ne déteste pas du tout quand je vais me perdre en forêt. Donc côtelettes, saucissons, deux ou trois bières, oeufs durs et puis basta, pas besoin de rien d’autre. Moi y en a être homme de bois. Moi y en a être carnivore. 


Quand je suis arrivé sur place, putain, la chaloupe était comme vous la voyez sur la photo. Heureusement, il y avait quelque chose pour écoper sinon merde, j’aurais été obligé de pêcher sur la berge. Pour les non habitués, vu comme ça, ça parait énorme comme tâche, mais en gardant le rythme et en sifflant des chansons joyeuses, on en arrive à bout en une quinzaine de minutes. Mais ça fait tout de même 15 minutes de pêche totalement perdues. Du coup tu te dis qu’il te faudra travailler fort pour rattraper ce précieux temps perdu. Mais moi, ça ne m’énerve jamais. Je suis un excellent pêcheur. J’ai fait le tour du lac deux ou trois fois pour sonder par mes leurres finement choisis son ventre abyssal. (Sacrament que j’écris bien!) Rien! Pas une touche! J’ai repris en sens inverse, mais cette fois en changeant de leurre. C’est là que j’ai réalisé que cette putain de chaloupe fuyait et que l’eau y pénétrait comme un robinet qui laisserait passer un filet continu. Double problème ici. D’abord, un lac qui en trois inspections approfondies ne m’avait rien donné, puis une chaloupe de merde qui laissait passer l’eau. J’écopais autant que je pêchais. Mais bon, ça en prend plus pour me décourager, vous vous en doutez bien bande d’enfoirés que vous êtes. Même si je vous aime bien dans le fond. Pas tous, mais disons la plupart. Et n’oubliez pas de laisser vos numéros de téléphone dans mon courriel personnel. Surtout les filles célibataires. Pour aller à la réserve Mastigouche, c’est pas compliqué. Tu prends la 131 en direction de St-Zénon et juste après avoir passé le village, sur ta droite, tu vas voir une route secondaire. C’est là. Enfin, c’est la route parce que l’entrée de la réserve se trouve à environ 27 km plus loin. Ensuite, et selon le lac que tu loues, tu peux avoir encore quelques dizaines de km à te farcir dans la forêt. Ce qui est très chouette si tu aimes la balades en voiture dans les chemins de garnottes perdues au milieu de rien et au nord de nulle part. Mais moi, avant de prendre la route de la réserve, j’arrête toujours faire le plein au petit dépanneur-poste à essence qui se trouve tout près de ladite route vers la réserve. D’abord parce que quand tu entres dans un chemin forestier, mieux vaut avoir plus d’essence que pas assez. Ensuite, parce que le dépanneur dont je vous parle fait de très bons croissants chauds et que le matin avant d’aller à la pêche, c’est comme ça que je casse mon jeûne. Et enfin, pour voir la caissière-propriétaire. Cette dernière a déjà été très jolie. Enfin, disons qu’elle était désirable à une certaine époque. Mais avec le temps, putain, j’sais pas, mais elle se désagrège à une vitesse accélérée qui fait peur. Elle doit avoir à peu près mon âge et c’est ça qui me fait freaker. Je la regarde comme dans une espèce de miroir. Du coup, à chaque fois qu’une nouvelle saison de pêche débute, je ne manque jamais d’aller y faire un tour pour constater où elle en est rendue dans son processus de péremption. (Mais non je ne suis pas méchant! Lisez comme il faut! Je parle aussi de moi à travers elle Bon Dieu!) Je me souviens de la première fois que je l’avais vue. Elle avait ce charme un peu rustre des filles de régions éloignées qui m’avait tout de suite allumé. Genre bonnes hanches de fermières bien nourries propices à de multiples accouchements sans problème combinées à un visage d’une finesse touchante. Ses yeux surtout. Mais la dame, elle roulait (et roule encore) ses «R» comme c’est même pas possible de rouler un «R» ou quoi que ce soit d’autre qui se roule et du coup, ça m’avait fasciné grave. Cela lui donnait ce petit côté «Sucré salé» dérangeant, mais en même temps intrigant, genre bandante-débandante en même temps. Si vous êtes une fille, je ne saurais pas comment vous expliquer ça autrement. Si vous êtes un mec, c’est bon. Vous comprenez parfaitement ce que je veux dire. Si vous êtes en couple et que vous lisez chacun votre tour, bonne chance. Je ne suis pas responsable de la chicane qui suivra.





Sérieux, j’ai passé les 4 premières heures à chercher comme un con sans trouver. 4 heures sans une touche, c’est long. Mais vous me connaissez maintenant et vous savez que je ne suis pas homme à me décourager aussi facilement. J’ai redoublé d’efforts et j’essayais toute ma panoplie de stratégies de pêcheur acquises depuis mon enfance alors que j’ai été élevé chez les Apaches. Change de leurre, change de montage de ligne, change de vitesse de traîne, change de vers, mais fuck, rien n’y faisait. Choux blancs mon pote, choux blancs de A à Z. Vers 1h de l’après-midi, je me tire vers la berge, ouvre ma glacière et me prend deux ou trois côtelettes de porc froides que je bouffe, mais sans pour autant perdre ma superbe concentration légendaire dont Wikipédia, pour ne parler que d’eux, en ont fait trois paragraphes. Seul comme un chien au milieu des grands espaces sauvages, mais encore pénétré par mon instinct séculaire de prédateur, j’observais le lac tout en mastiquant (péniblement... à cause de ma prothèse... désolé) mes côtelettes, je me disais que forcément, il y avait quelque chose que je ne faisais pas correctement. Car comme le dit si bien mon papa dans toute sa sagesse de papa, un poisson est un être vivant qui se nourrit tous les jours. Même par périodes de grandes canicules. Le plus important est de savoir où et comment ce putain de poisson se nourrit. Pour y arriver, il faut devenir poisson soi-même. Penser comme une truite. Aller chercher le salmonidé qui nage en nous. Faire des «Boa boa boa» silencieux avec sa bouche en faisant bouger ses bras comme des ailes de poulet tout en se regardant dans un miroir le soir avant de se coucher et si possible, sans que ta blonde ne te voie. (Va expliquer ça à une fille! C’est quasi assuré que tu passes la nuit au poste de police. Juste pour la trouille que tu lui auras foutu. Comprennent pas ces choses-là les filles. D’ailleurs, c’est ce que je disais plus haut. Ne mordent jamais à une Toronto Woobler) 
Du coup, j’ai regardé une fois de plus le lac et je me suis dit « si j’étais une truite, où je me planquerais pour trouver une source de nourriture abondante?» Réponse: Près des joncs juste à côté du petit quai où se trouvait la chaloupe à mon arrivée. 
Pourquoi? 
Parce que le reste du lac ne possède aucun autre bassin de bouffe potentiel pour la truite. Les berges sont exemptes de troncs d’arbre qui plongeraient dans l’eau, accumulant sur ses flancs immergés de la nourriture de toutes sortes. Aucune branche d’arbre qui surplomberait le lac en y laissant tomber à sa surface moucherons, tics, larves ou autres friandises de la sorte. Aucune petite baie pour protéger du soleil et du réchauffement de l’eau. Aucun escarpement, aucun petit îlot si propice à l’accumulation de sédiments. Donc, forcément, ce putain de secteur de joncs pourrait être l’endroit recherché. 
Oui, mais j’avais déjà sondé ce secteur avant, comme tout le lac d’ailleurs. Et c’est là qu’une petite voix se fit entendre : «Oui tu as essayé, mais à la traîne seulement. Retournes-y, laisse tomber ton ancre pour immobiliser ton embarcation et puis «caste» ta ligne en lui laissant le temps de tomber profondément.» 
Putain de merde, ça n’a pas traîné. J’ai balancé mon restant de côtelette froide dans le lac et je me suis dirigé vers les joncs. J’ai crissé mon ancre à l’eau et je me suis mis à caster en laissant le temps à mon leurre de caler en profondeur. Puis, je ramenais en séquences. Ça n’a pas tardé. Crack! Une touche! Je ferre et je mouline. Mais va savoir, je perds mon poisson dans l’action. Je recommence en lançant au même endroit et en usant du même truc. Crack! Encore une touche, mais fuck de fuck! je perds encore ma prise. 
Je fais quelque chose de con. C’est sûr. Je ramène donc mon leurre et j’observe avec attention mon montage. J’ai un bas de ligne qui fait 12 pouces entre mon hameçon et mon Toronto Woobler. Réfléchissons. Si ça mord, c’est que mon Toronto Woobler fonctionne. Ça, c’est maintenant assuré. Il fait la job. Mon fuck est ailleurs. Je coupe mon bas de ligne et j’ajoute du lest. 18 pouces plutôt que 12. Essayons. Je lance et quelques secondes après, Crack! Une autre touche! Mais cette fois, et ne me demande pas de t’expliquer pourquoi parce que le monde des poissons est tellement mystérieux, mais la truite y reste accrochée. Je la ramène à bord et après l’avoir embrassé, je la tue parce que je l’aime. Flop! Je la criss dans ma glacière remplie d’eau et qui ne sert qu’à ça. Je relance ma ligne, et Crack! Crack! Crack! Et re-Crack! Je fais ma pêche, mon quota, ma limite permise en moins d’une heure. 

Voilà, c’était l’une de mes journées de pêche du mois d’août de la sainte année 2011. Au moment où j’écris ces lignes, de l’autre côté de la fenêtre, je vois le premier tapis blanc envelopper les rues de Montréal. Je suis loin de ma prochaine journée de pêche. Mais la bonne nouvelle, c’est que les journées recommencent à rallonger

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