lundi 31 janvier 2011

Tu voudrais, mais tu ne peux plus!

Tu voudrais, mais tu ne peux plus.

C’est comme ça que je me sentais l’autre dimanche, pendant ma partie de hockey dominicale. Nous venions de passer un mois sans jouer à cause du temps de Fêtes, nous étions donc tous rouillés. Mais être rouillé à 47 ans et être rouillé à 25 ou à 30 ans, ce n’est pas la même chose.

Ce n’est pas la même rouille.

Leur rouille à eux, ces salauds de jeunes, elle n’a besoin que d’un peu d’huile aux endroits sensibles pour qu’elle disparaisse. Tandis que la mienne, de rouille, t’auras beau mettre de l’huile, de la graisse, de la Vaseline, du gras de canard, il n’y a rien à faire. Les morceaux partent en miettes, rongés par la corrosion du temps.


- Meuuuuh non!

- Mais si! Et je sais de quoi je parle bordel!


En plus, je me relevais à peine d’une grippe qui ma foi, a bien failli me laisser sur le carreau pour le reste de mes jours. Pas possible être grippé comme ça! Tu dors par tranches de 15 minutes et le reste du temps, tu sues comme un cochon ou tu trembles comme une feuille. Un avant-goût de fin du monde condensé dans un simple virus de type H1 quelque chose.

Nous jouions contre les noirs, la meilleure équipe de la ligue. Et je serais même tenté de dire la SEULE équipe de la ligue. Pendant la pratique d’avant-match, nous regardions l’autre équipe et quelque chose de gros nous a frappés. Il manquait Rochon! Le mot s’est ensuite répandu comme une traînée de poudre : «Rochon n’est pas encore arrivé!» Nous regardions l’heure et plus nous approchions du moment où la partie devait débuter, plus on y croyait. «Il ne viendra pas! Ostie, il ne viendra pas!»

Rochon, la terreur incontestée de la ligue, l’homme qui plombe les gardiens de but plus solidement qu’une batterie d’artillerie allait manquer son premier match de la ligue. On avait enfin une chance.


J’étais sur le jeu pour débuter la partie. Avec l’acquisition de Domdom, notre nouveau défenseur, j’ai opté pour commencer les premiers «shifts» à l’avant, question de donner le ton au match comme on dit. J’avais en effet décidé de délaisser la défense pour une période ou deux et de profiter ainsi de l’absence inespérée de Rochon pour me vider les tripes en attaque dès le premier jeu. Ce qui fut fait et je dois dire de belle manière. Pendant environ une minute, je me suis mis à forcer le jeu en échec avant, courant sur le porteur de la balle, l’emprisonnant dans son territoire, récupérant la balle, faisant une passe à un coéquipier, fonçant sur le filet, reprenant le rebond et tenant la balle loin dans leur zone, perdant la balle, mais la reprenant aussitôt, la repoussant loin dans leur limite, courant après, donnant tout ce que j’avais en espérant que ce sacrifice de mes os sur l’autel de la quarantaine allait inspirer mes jeunes coéquipiers.

Ce n’est pas long une minute.

Je veux dire, quand tu es dans les bras d’une belle fille et que ladite belle fille n’est que de passage au Québec, qu’elle retourne chez-elle, de l’autre côté de l’océan dans quelque jours et que tu passeras sans doute le reste de ta vie sans jamais la revoir, une minute, c’est extrêmement court. Tu comptes les jours qui lui restent à passer ici en termes de minutes justement. Alors tu n’en gaspilles aucune et tu t’arranges pour que chacune de ces minutes devienne des petits moments de perfection. Tu respires chaque seconde comme si c’était la dernière et tu ouvres toutes grandes tes narines pour capter la moindre odeur qui émane de son corps. Et une minute avec elle, ça passe en un claquement de doigts.

Mais quand cette même minute se déroule sur une surface de jeu à courir après des jeunes guépards de 25 ans, que t’arrives à contrer leur attaque, que t’arrives même à provoquer quelques chances de marquer, que t’arrives même à les tenir loin dans leur zone, cette minute-là devient interminable. Et quand tu reviens au banc pour effectuer un changement et que tu ressembles soudainement à un type qui revient d’aller nettoyer la cage des fauves du Cirque Barnum et Bailey’s, quand ton ventre fait des vagues de 20 pieds de haut sous ton maillot pour reprendre son souffle, quand tes jambes deviennent de la guenille, quand dans tes mains ton bâton pèse soudainement plus lourd qu’une tonne de briques, là, oui, tu comprends que le temps est tristement relatif et que ces soixante secondes de souffrance là n’ont rien à voir avec les soixante secondes à te perdre dans les cheveux de cette fille qui s’en va dans une semaine.

C’est la relativité du temps, comme le disait si bien le père Albert.


Il n’y avait cependant rien de relatif dans mon état de décomposition avancée qui avait suivi mon premier shift ce dimanche-là. Je venais littéralement de me brûler pour les deux prochaines heures. J’avais stupidement pensé que je pouvais à moi seul donner le ton à la partie. Tout au plus, n’avais-je fait que donner le ton à la première minute du jeu et je n’étais pas sitôt arrivé sur le banc que BANG!, on se fait marquer un but sur un lancer provenant du centre du terrain. Une merde de lancer qui dévie sur environ 345 bâtons et tout autant de tibias pour terminer sa course dans le fond de notre filet.

Deux minutes plus tard RE-BANG! Un autre!


C’était déjà 2-0 pour eux et nous venions à peine de commencer. Frustrant! D’autant plus que Rochon n’était pas là.

Nous nous sommes cependant secoués et nous avons travaillé comme des défoncés pour remonter la pente, marquant trois buts sans réplique pour terminer la première période 3-2. J’ai préparé deux de ces trois buts en y laissant à chaque fois des morceaux de poumons et des lambeaux de muscles qui s’épluchaient comme la peau d’une banane. Deux passes scientifiques (rien de moins) vers mes coéquipiers qui n’ont pas manqué leur chance.

Sans Rochon, cette équipe est toujours forte à cause de St-Fort (la couleuvre insaisissable) et JF Forget, ce petit monstre d’énergie qui a tâté du Junior à sa dernière année de hockey. À eux deux, et même avec une équipe d’unijambistes comme complément, ils seraient encore dans les premiers marqueurs de la ligue. Mais bon, Rochon n’était pas là et nous menions par un but après une période.

On y croyait.


St-Fort et JF Forget! Tu les regardes jouer et tu te dis qu’à leur âge, tu étais un peu comme eux. Ou du moins, tu pouvais courir et récupérer aussi facilement qu’eux. Les jeux qu’ils font, tu les faisais toi aussi. Tu les fais encore, remarque, mais c’est beaucoup plus lent et une fois sur deux, tu te fais contrer par deux joueurs plus jeunes et plus rapides que toi.

Tu voudrais bien être comme eux toi aussi, courir aussi vite, récupérer aussi facilement, mais tu ne peux plus. Tu ne le peux tout simplement plus! C’est juste une question d’incapacité physique. T’as moins de masse musculaire qu’eux. T’as moins de souffle qu’eux. Tu récupères moins vite qu’eux et surtout, t’as près de 20 ans de plus qu’eux. Tu voudrais de toutes tes forces que tu n’y arriverais même pas. C’est l’implacable réalité du temps qui passe et t’auras beau avoir la meilleure volonté du monde, tu ne peux plus physiquement te mesurer à eux sur un marathon de deux heures. Alors tu dois compenser dans ton jeu, économiser tes énergies, calculer tes pas, compter tes déplacements, faire des passes à défaut de monter la balle d’un bout à l’autre et te tenir près du filet en comptant sur ton habileté qui ne demande pas trop d’effort pour la mettre dedans «à bout portant».

Tu deviens soudainement un tricheur sympathique. Tu triches en effet contre le temps. Tu t’adaptes à ton handicap. Tu tentes de bidouiller je ne sais quel raccord dans ta mécanique interne pour arriver à te donner un peu de jus de plus, un peu de force de plus, un peu de kilométrage en plus. Tu triches, mais c’est une tricherie acceptable. Voire inévitable.

Tu deviens une sorte de snipper rapproché, un «garbage collector» qui n’est dangereux que dans un rayon de 20 pieds autour du filet adverse. Et encore! Il te faut dégainer rapidement quand la balle arrive sur ta palette. Avant, tu dégainais à la vitesse de la lumière et ton «shot» avait la précision d’un laser. Mais aujourd’hui, quand t’arrives même plus à récupérer entre deux shifts et que ton corps pompe l’oxygène et qu’il n’y a rien qui rentre dans tes poumons tellement t’es crevé, ton bâton pèse lourd et ton cerveau met une fraction de seconde de plus à réagir. Alors forcément, tu dégaines moins vite et tu rates des buts que tu n’aurais jamais ratés à l’époque. Ton temps de réaction est une miette plus lent et c’est vraiment ce qui est le plus frustrant.


À un moment par exemple, la balle revient dans notre zone et je suis le premier à la récupérer. Je vois arriver sur moi un adversaire qui fonce comme un malade, mais j’ai tout mon temps pour faire un jeu et l’idée c’est de le laisser se rapprocher le plus possible de manière à le coller sur moi et d’en profiter du même coup pour faire la passe à un coéquipier. C’est un jeu que je fais tout le temps et qui marche toujours. J’arriverais à le faire avec un bras attaché dans le dos. Un jeu de routine. Mais ce dimanche là, allez savoir pourquoi, j’ai figé au moment précis où je devais effectuer la passe. Non pas que j’ai raté ma passe, non! Mais j’ai figé! Comme si mon cerveau venait de se déconnecter et ne pouvait plus transmettre la moindre information à mes mains. J’étais pendant un court instant complètement cimenté sur le jeu, les deux pieds dans le béton et la tête dans la mélasse. Un court-circuit aussi improbable qu’instantané.

Il y a une explication pour ce genre de non-réaction. Ça arrivait souvent aux pilotes de F1 lorsqu’ils étaient déshydratés. C’est pourquoi maintenant on leur fait boire des liquides énergisants pendant le déroulement de la course. Dans cet état, le cerveau donne ses ordres, mais les membres du corps ne répondent plus et c’est souvent pour ça que les pilotes tapaient le mur. Ça m’est arrivé l’autre dimanche et c’est paniquant. J’étais vidé.

On a perdu finalement parce qu’on avait oublié qu’en plus d’avoir les trois meilleurs joueurs d’avant, ils ont aussi un excellent gardien de but.


***


Aujourd’hui, même chose. Nous affrontions encore les noirs et même si, cette fois, c’était JF Forget qui manquait et que j’étais à peu près «correct» au niveau forme physique, on s’est fait littéralement laver. Pourtant, nous avions bien commencé et nous répliquions après chaque but. Mais c’était oublier que nous avons dans notre équipe le pire gardien de but de l’histoire contemporaine des gardiens de but et qu’il a choisi ce soir pour jouer sa pire partie de toute l’histoire contemporaine des parties de hockey. Des ballons de plage, des bulles de savon, de minous de pissenlits, des escargots, des lombrics, il était d’une générosité extrême ce soir et il laissait tout passer. Moi qui suis défenseur et dont le job est justement de défendre mon gardien de but, j’ai le corps littéralement couvert de bleus à force d’avoir bloqué des balles de caoutchouc. J’en ai reçu une dans la gorge, une autre dans le ventre, deux sur les cuisses. Mais j’ai été plus chanceux que mon pote Franck qui a reçu un plomb de Rochon sur la couille gauche. (Aïe!!!) Tout ça pour que notre gardien de but humaniste et chrétien devant l’éternel en laisse rentrer 6 en 12 lancers en première période et près de 20 pendant toute la partie sur 45 lancers.

On frise ici la moyenne de .500. Ce qui veut dire qu’on placerait un gros «X» en bois devant le filet qu’on aurait à peu près autant de chance.

À un moment, je suis venu à deux doigts de l’empaler avec mon bâton et de lui péter la mâchoire à coups de talon. (Avant de le passer ensuite au hachoir et d’en faire des boulettes de goalie-burger que j’aurais fait griller très lentement à feu doux). Mais comme je suis un joueur d’équipe et que j’ai à coeur la solidarité du groupe, je me suis contenté de me rendre au vestiaire pour péter discrètement son cellulaire dans sa poche de blouson et de pisser dans son sac de sport.

Câlisse! On ne demande pas grand-chose de notre gardien de but! On aimerait juste qu’il soit capable de nous donner un petit coup de main des fois. Genre arrêter une balle sur quatre. Juste ça! C’est pas trop demander ciboire! (Raymondo!!! L’an prochain, arrange-toi pour que je joue pour ton équipe. Ce sont les gardiens qui choisiront les joueurs. Ne m’abandonne pas!!!!)

Dit comme ça, c’est drôle, mais quand tu joues, ça devient extrêmement frustrant. Tu dois changer ton jeu parce que tu sais que ton ostie de gardien n’arrêtera rien ce soir.


- Tiens! Un autre but!


Tu voudrais appuyer l’attaque, mais tu t’y refuses de peur de laisser la bouche de métro derrière toi sans surveillance.

Je me sentais vraiment comme ça ce soir. Seul à la défense pour protéger une porte d’entrée grande comme trois terrains de foot.

Et St-Fort! Putain quel joueur! Cette couleuvre insaisissable qui n’arrêtait pas d’attaquer et d’attaquer et d’attaquer. Ce soir, il était en feu et il doit avoir à peu près 10 buts à lui seul. Dom-dom, qui est un mec avec beaucoup d’orgueil et qui prend beaucoup de place à la défense avait décidé pendant la partie de s’occuper personnellement de St-Fort. Mais peine perdue mon vieux. Dom-dom s’est fait passer comme tout le monde et de belle manière. À gauche, à droite, à gauche encore, hop, hop, hop, et le voilà-t-y pas que St-Fort déborde Dom-dom et qu’il se retrouve devant notre filet désert. (Parce que notre gardien de but ce soir, c’était ça. Un désert aride.) Bing! But.

Bing! Encore un but.

Bing! En voilà un autre.

Vous pensez que c’est terminé? Bing! Un autre. Bing! Bing! Bing! En voici trois autres. Des mains comme ça mon ami, tu les clones pour la science parce que je connais des chirurgiens qui en auraient bien besoin.


- Tu connais des chirurgiens toi?

- Non, c’était juste pour l’image.

- Ah, d’accord. Je me disais bien aussi.



Mon hommage à ces enfoirés de surdoués.

Lui, c’est JF Forget effectuant ses exercices d’assouplissement avant une partie. Observez attentivement son oeil de tueur. Il y a dans cette pupille ce je ne sais quoi qui confine à l’immortalité et à la jeunesse éternelle.

Un féroce prédateur de gardiens de but.

Jeune câlisse!

Infatigable et doué. Il possède de bonnes mains, il court comme un guépard, il peut plomber presque aussi solidement que Rochon et même s’il a brossé la veille, il marquera ses 6 ou 7 buts par partie. C’est généralement comme ça que ça fonctionne quand t’es dans la vingtaine et que t’es venu à deux doigts de faire carrière professionnelle au hockey.

Lui, c’est Franz St-Fort, la couleuvre insaisissable. Le seul au monde qui peut me passer la balle entre les jambes et la reprendre facilement derrière moi sans que l’envie de lui couper la tête me prenne. Et vous savez pourquoi? Parce que c’est toujours fait avec une adresse à couper le souffle. On l’entend presque s’excuser quand il te déjoue. Des mains magiques et t’as beau jouer l’homme contre lui, il trouvera une manière de te faire passer pour un con. Et tout ça se fait en douceur, presque au ralenti.

- Prenez une grande respiration monsieur le défenseur, ça ne fera pas mal.

Généreux, il lui arrive de travailler pour faire marquer un de ses coéquipiers plus médiocre que les autres simplement pour lui donner l’occasion de participer un tout petit peu à ses massacres dominicaux.

Lui, c’est Rochon et c’est pour ça que je le garde pour la fin. Vous ne trouvez pas qu’il a un je ne sais quoi de gardien de camp de concentration nazi? En tout cas, c’est exactement comme ça que Raymondo le voit. C’est le plus vieux de son équipe, mais sa trentaine est largement compensée par la vingtaine combinée de JF Forget et de St-Fort qui ne cessent de l’alimenter. Et quand il est abondamment alimenté, il déploie avec une efficacité meurtrière son boulet de canon. T’as intérêt à avoir de bonnes protections si tu t’avises de vouloir bloquer un de ses plombs. (Demandez à Franck ce soir. À l’heure qu’il est, il doit être encore au gymnase en train de chercher désespérément sa couille gauche. Il ne la retrouvera jamais. Elle fut atomisée. Tout ce qu’il arrivera à trouver c’est la forme de sa couille imprimée en négatif sur l’un des murs, un peu comme ces victimes d’Hiroshima qui se trouvaient tout près du centre de la déflagration.) Non mais regardez-moi ce tueur! Il manque juste la montagne de cadavres de gardiens de but derrière lui pour que la photo soit 100% représentative de sa personnalité. Raymondo, quand il a acheté ses nouvelles épaulières, il m’a dit qu’il les a fait rembourrer avec de «l’anti Rochon» dedans.

Pauvre Raymondo! Son anti-Rochon ne vaut pas de la marde.

C'était probablement fait en Chine.

Aucun commentaire: