L’autre jour avec M..., nous avons été voir une expo sympathique à la Maison de la culture Frontenac. Une belle collection de peintures contemporaines. Dans la peinture contemporaine, il faut savoir qu’il y a de tout. Des trucs formidables et d’autres trucs complètement à chier.
Mais ce n’est jamais vraiment à chier quand ça se retrouve dans une collection privée. Enfin, ce que je veux dire c’est que certaines personnes on été capables de voir quelque chose dans ces toiles que d’autres ne voient pas toujours. Et ils voient tellement «ces choses que les autres ne voient pas» qu’ils en arrivent à payer des milliers de dollars pour les acquérir ces choses que le commun des mortels ne voit pas. Ce qui donne de la valeur aux trucs à chier et, forcément, du coup, comme par magie, logiquement, comme dans une suite logique, les choses à chier ne sont plus tout à fait à chier.
Comprenez ce que je veux dire?
C’est à chier mais ça ne l’est pas vraiment.
Du genre «C’est à chier mais c’est voulu.»
Ou encore «C’est volontairement n’importe quoi.»
Voyez la nuance?
Anyway, ce que je veux dire c’est qu’en sortant de là, je me suis dit tout bonnement et à voix haute pour que M... entende que moi aussi je pouvais faire de la peinture contemporaine. Suffit de déconstruire son véritable coup de crayon\pinceau en optant volontairement pour une technique grossière. Entendu par-là que ce n’est pas autant la qualité du «rendu» que «l’impression du rendu» qui compte.
En tout cas, c’est ce que je me suis redit en sortant de là. (À voix haute pour que M... entende)
«Redit» parce que ce n’est pas la première fois que je fais le même constat. En fait, je me dis toujours ça lorsque je vois des expos de machins contemporains.
Parce que bon, je vois des expos moi. Pas seulement des parties de hockey.
Donc en sortant de là, on a été à la maison où j’ai cuisiné un excellent rôti de boeuf contemporain que M... a dévoré avec appétit parce que, d’une part, elle avait faim et qu’en plus, c’est moi qui cuisinais. Elle voulait me faire honneur comme on dit. Ce qu’elle fit avec le brio qu’on lui connaît.
Moi, pas vous. (Dans le sens de «connaître». Faut suivre bordel!)
Les jours suivants, j’avais toujours cette idée de peinture contemporaine dans la tête. Ça me chicotait drôlement les neurones comme on dit dans les chaumières de Bratislava. Fort de cette impulsion persistante, et comme j’avais justement deux toiles vierges qui ne demandaient qu’à être remplies de peinture, je me suis laisser aller à la contemporanéité des choses qui se trouvent au bout du pinceau.
Dans un premier temps, et pour me réchauffer, j’ai accouché de ce truc.
Je répondais ainsi à l’une des règles les plus fondamentales de la peinture contemporaine, à savoir qu’il faut un jour ou l’autre peindre quelque chose de noire et de déprimant. Les thèmes fétiches abordés par les peintres contemporains sont, dans l’ordre ou dans le désordre : La guerre, la famine dans le monde, l’avortement douloureux, l’exploitation de l’homme par l’homme sous toutes ses formes, de même que quelques autres sujets du même acabit. Les ciels bleus et les enfants heureux sont des thèmes rigoureusement interdits dans la peinture contemporaine. Si on peint un soleil, il doit être de type nucléaire et apocalyptique. Si on peint des enfants, ils se doivent impérativement être des victimes des pires abus commis par les adultes.
T’as pas le choix si tu veux vraiment être respecté un jour dans le milieu de l’art contemporain. Je me suis donc plié à la règle et je me suis laissé aller à improviser quelque chose de sombre. (Et j’insiste: L’Improvisation est importante ici. Un vrai peintre contemporain ne fait jamais de croquis préparatoire. Il faut que ça soit spontané sinon, c’est de la merde. Je veux dire de la vraie. Pas de celle que certains y voient des choses que d’autres ne voient pas. Comprenez? Putain mais faut tout vous expliquer!)
Bon, comment dire? C’est n’importe quoi et ça ne m’a prit guère plus que 15 minutes à peindre. Mais ça, il ne faut pas le dire. En fait, il ne faut rien dire du tout de la contemporaine toile quand on fait de la peinture contemporaine. Sinon, tu te cales. Tu dois obligatoirement laisser l’acheteur potentiel se planter avec ses propres interprétations. C’est comme ça qu’il va finir par acheter ta merde.
«Voulue» la merde, on s’entend.
- J’adoooOOOoooore votre soldat!
- Soldat? Quel soldat?
- Celui-là! Avec le fond ocre!
- ...??? Ah oui! Le soldat!! Bien sûr, bien sûr. Mon soldat quoi.
- Je vois toute la douleur du monde dans ses yeux à peine esquissés!
- À peine esquissés... c’est ça. C’est voulu. Toute la douleur du monde.
- Et l’enfer de la guerre, bien sûr!
- Bien sûr! (hum!)
- On voit bien qu’il revient cassé psychologiquement de la guerre mais tout de même heureux d’être en vie.
- C’est cela oui, c’est tout à fait cela.
- Il s’en va vers le côté clair, preuve qu’il y a de l’espoir.
- De l’espoir, en effet.
- C’est très audacieux de votre part de laisser couler de l’espoir dans une peinture contemporaine.
- Oui heu... hum, j’ai voulu renverser les conventions... mettons.
- Génial! Combien?
- C’est heu.... 10,000$
- Une aubaine! J’achète!
Après ça, ben mes amis, j’étais crissement en forme et je me suis tapé un vieux fantasme. Je me suis fait une vieille photo d’un joueur des Canadiens qui date des années ’20 et qui me trottait dans la tête depuis des mois.
Didier Pitre son nom.
Voici la chose.
Je me suis amusé comme c’n’est pas possible et là, franchement, j’ai découvert que la peinture contemporaine, ben mon vieux, c’est cool en ostie! Comme on dit, j’ai vraiment pris mon pied et pendant près de deux heures, j’ai été un vrai peintre contemporain si vous voulez tout savoir. J’ai compris un tas de trucs en me tapant cette toile. D’abord, et la chose la plus importante, ce fut le plaisir tout simple de gosser sur du canevas pendant deux heures en ne sachant pas trop ce que ça va donner mais en étant persuadé que le plus important, ce n’était pas le rendu, mais le plaisir de s’abandonner totalement à une création.
Sinon quoi? Ben merde, faut encore tout vous expliquer???
T’as pas vu le visage de Didier volontairement déformé «mais pas trop»? Avec ces bavures de blanc sur les côtés qui font fantomatiques?
«Fantôme» comme dans «Joueur d’un autre temps, mort en 1934... qui revit dans la peinture...»
C’est voulu?
Pas du tout mais il ne faut pas le dire, c’est du contemporain nom d’un chien! Faut vous tenir encore longtemps par la main?
Et l’aspect vieillot de la toile? T’as vu?
Explication officielle: J’ai une telle quantité de peinture ocre que je ne sais plus quoi en faire.
Explication du peintre contemporain: J’ai utilisé l’ocre pour faire un clin d’oeil à l’aspect morpho-chrome (des mots compliqués, c’est toujours vendeur en art) des vieux clichés du début du siècle dernier.
Des commentaires?
À part M..., personne n’a aimé.
É... par exemple trouve que les jambes sont à chier. J’avais beau lui expliquer que c’était voulu, que la plus importante partie du sujet se trouvait dans le haut du corps, dans cette apologie démesurée du CH à travers le temps, mais il n’y avait rien à faire. L’image des petites jambes - qui amplifie pourtant mon message symbolique par le fait que le CH prend le contrôle du centre de la toile - le dérangeait.
Il faut dire que É... est un syndicaliste de la plus pure tradition qui conçoit l’art selon la notion très manichéenne basée sur le beau et du laid.
L’art contemporain, très peu pour lui.
Par contre, M... m’a dit qu’elle adorait le sexy déhanchement de mon sujet.
Ça, je crois que ça vient de l’après-rôti de boeuf, mais bon, c’est une tout autre histoire comme on dit.
Moi, sincèrement, et si vous voulez mon avis, je capote.
J’aime mon Didier Pitre 1883-1934.
Y a rien à faire, je l’aime.
Le visage surtout.
Fantomatique mon ami! Rien de moins!
Tiens, voici la photo qui m’a inspiré.
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