lundi 22 février 2010

Philosophie du dimanche soir.

Je suis dans la cuisine et devant moi, il y a le gros sofa de ma fille qui me regarde d’un oeil un peu suspect. Je crois en avoir déjà parlé. Il est gros comme trois terrains de football et je l’ai déplacé tout seul en attendant de m’en défaire. J’ai sué comme un cochon pour y arriver, obligé de défaire une porte pour le faire passer dans le couloir. Un monstre de sofa. Ça doit bien faire six mois de ça maintenant, mais il est toujours là, debout contre le mur et prenant le quart de la pièce à lui tout seul. Depuis le temps, je me suis habitué à son imposante inutilité et l’on est devenus bons copains lui et moi. Quand je mange le matin, il m’arrive de lui parler. Et si par malheur je me lève en retard, il n’est pas rare de le voir venir me réveiller et de m’accueillir dans la cuisine avec un bon café frais fait. C’est un gentil sofa quand j’y pense.

Mais ce soir, je ne sais pas... il me fait la gueule. C’est vrai que je suis rentré un peu tard. Je viens de me farcir un autre dimanche soir de hockey balle avec les jeunots du boulot. Je me suis excusé pourtant, mais il me fait la gueule quand même. Je crois que ça vient du fait que j’ai voulu ignominieusement m’en départir. Mais finalement, c’est lui qui a gagné. Je vais le garder et le traîner avec moi dans mon prochain logement, celui que je vais louer sur le Plateau en juillet.

Je lui garde la surprise par contre. Je sais qu’il sera content.


Sur ma table de cuisine, trois bouteilles d’huile d’olive. Une de la Palestine expressément achetée pour faire chier Israël et deux de Grèce pour ne faire chier personne. Un rouleau de papier essuie-tout, une salière et une poivrière. Une livre de beurre salé que je garde volontairement à l’air libre pour qu’elle soit toujours molle, un pot de café instant pour les urgences, mais qui te fout les intestins à l’envers et un pot de café frais moulu pour mes espressos. Un petit miroir portatif pour me raser de près, un stylo à encre noire piqué au boulot, un tire bouchon tout aussi piqué au boulot, un bouchon, un cendrier, deux paquets de clopes, un couteau de pêche, une bouteille de blanc, une coupe de vin, un ordi et mes deux mains dessus. Je lance un dernier balayage des yeux et je ne vois rien d’autre. Je crois que tout y est et la blogosphère héritera ce soir d’un autre texte crucial qui marquera une fois de plus l’histoire de la littérature moderne.

J’en verse une larme de fierté.


J’ai le poignet droit un peu endolori, résultat de mes nombreuses garnottes tirées sur le gardien de but. J’en ai pincé deux ou trois bien comme il faut, mais l’enfoiré les bloquait toutes. Ce soir, ça n’entrait pas comme la semaine dernière où j’avais littéralement rempli le filet en faisant la barbe à ces petits jeunes loups. Ils s’attendaient à revoir la vieille épave dégoulinante de sueur de la semaine précédente sans réaliser qu’à l’intérieur de cette vieille épave justement, se cachait une grosse montagne d’orgueil qui déteste passer pour un clown quand il joue au hockey. Mais cette semaine, j’ai un peu relâché l’activité physique et ça m’a coûté quelques occasions de marquer. À 46 ans, ça ne pardonne pas, hélas. Mes trois buts marqués le furent par des tirs un peu moins forts, mais beaucoup plus précis. J’ai noté tout ça dans ma tête pour la prochaine partie. Ça et aussi le fait que je devrais tôt ou tard envisager très sérieusement de laisser tomber la clope, dis-je en m’en allumant une autre.


Mon sofa vient de quitter la cuisine sans dire un mot et se fait couler un bain. Il m’a piqué mon édition spéciale du Monde Diplomatique et s’est réfugié dans la salle de bain en faisant claquer la porte. Il me fait vraiment la gueule et je crois qu’il tente de me faire passer un message. Je devrais peut-être lui dire maintenant que je vais le garder, que je ne le refilerai pas à un pauvre du quartier qui finira inévitablement par s’endormir dessus en le brûlant avec sa cigarette. C’est bien connu, les pauvres font tous ça un jour ou l’autre dans leur vie.

Salauds de pauvres.

Des pauvres justement, il y en a des milliers dans mon quartier. C’est la matière première d’Hochelaga-Maisonneuve, une ressource sans cesse renouvelable, mais dont les gouvernements ne savent trop comment en tirer profit. Un jour, quand je travaillais dans les sondages, il m’était venu une bonne idée pour créer le plein emploi tant rêvé par les philosophes. J’avais pensé à faire un méga sondage commandé par le gouvernement et qui aurait porté sur le chômage justement. Le sondage aurait servi à dénicher tous les chômeurs de la province et à les embaucher l’un après l’autre pour travailler sur ce méga projet. Après deux ou trois ans, on aurait ainsi récupéré tous les chômeurs de la province et atteint le plein emploi. La suite aurait consisté à tous les crisser dehors et recommencer le sondage sur le même thème et les réembaucher l’un après l’autre de sondage en sondage. Et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps. Certains diraient que c’est de l’argent gaspillé, mais de la manière dont je vois comment notre gouvernement arrive à dépenser jusqu’à 30% de plus que les autres provinces pour les contrats d’infrastructures octroyés à la mafia Sicilienne ami et généreux donateur du Parti Libéral, je ne vois pas en quoi mon idée serait plus loufoque. En plus, ça nous coûterait moins cher et toute la population serait plus riche. Donc, plus de dépenses, donc plus de taxes dans les poches du gouvernement, donc plus de richesses, donc plus de développements, donc plus de tout et ainsi de suite.

Je crois que je vais donner mon nom pour occuper le poste de ministre des finances. J’suis pas plus con qu’un autre. Et en plus, j’ai des idées.


Hey putain, j’ai vraiment mal à moi poignet. À mes fesses aussi, mais ça, c’est un bon mal. Je veux dire un mal normal après avoir couru comme un lapin en fuite. Je sais que je vais bien dormir ce soir après un bon bain. Mais je dois attendre que mon putain de sofa termine le sien et me laisse la salle de bain.

En plus, il ne paie même pas le loyer l’enculé.


Je ne sais pas ce que j’écoute en ce moment, mais c’est foutrement bon. C’est Arabe en tout cas et c’est arrivé dans mon laptop je ne sais trop comment. Les Arabes ont compris quelque chose avec la musique que les autres peuples cherchent encore à trouver. J’ai toujours envi de me trémousser le bassin et de me brasser ostensiblement les seins quand j’écoute de la musique Arabe. Il doit y avoir une explication savante à tout ça, mais je ne la trouve pas. J’en ai parlé à ma psy, mais elle n’a rien dit, outre le fait qu’une sévère prescription était de mise et que mon cas était digne de la revue Science and Nature. Je l’emmerde sévèrement avec ses conseils. Moi et mon sofa, on aime bien danser sur la musique Arabe et franchement, c’est tout ce qui compte pour une bonne colocation basée sur la franche amitié. Surtout quand on se brasse mutuellement et ostensiblement les seins. Mais lui, c’est plutôt au niveau des coussins que ça se passe mais il faudrait grader ça pour vous. Ça l’intimiderait de savoir que tout le monde sache ça. Il est complexé. De fait, je suis le seul à avoir vu ses coussins. Mais j’aime mieux ne pas en parler et changer de sujet.


Ce que je bois? Un petit chardonnay australien sympathique qui ne me déçoit jamais quand j’ai le goût de me payer un petit blanc beau bon pas cher. Lindmans Bin 65. Et puis en même temps, ça me fait penser à ma fille à qui je lève ma coupe ici même, entre mon huile d’olive Palestinienne pour faire chier Israël et mon couteau de pêche qui traîne sur la table sans trop qu’on ne sache pourquoi.

La saison de pêche qui se fait attendre peut-être?

Du sang de poisson, des cous de truites cassées avant de les foutre dans la glacière, des vers de terre qu’on empale en souriant, tout ça commence à me manquer sévèrement. C’est le moment de l’année où ça me démange grave, comme dirait mon amie de Toulouse.


J’étais au chalet hier. Il n’y a pas de neige cette année. Enfin, pas comme c’est supposé. Je ne sais pas si c’est le réchauffement puisqu’il y a deux ans, c’était tout le contraire et il y en avait à plus savoir où la pelleter. Mais cette année, c’est ridicule. Est-ce que ça donnera une bonne pêche au printemps?

Je ne sais pas. Mais ça n’empêche pas les motoneigistes de tourner en rond sur le lac. Ils adorent ça. Pendant qu’ils tournent et qu’ils tournent et qu’ils tournent encore en brûlant de l’essence d’Irak ou d’Afghanistan pour faire 100 fois le tour du lac, ils oublient de penser à la nullité de leur quotidien et de l’oxygène qu’ils gaspillent en même temps à force de la respirer au lieu de la laisser aux autres. Sont tellement cons qu’ils ne pensent même pas à se suicider pour laisser l’espace vital aux autres humains qui en feraient un meilleur usage. L’été, ce sont les mêmes lobotomisés consentants qui tournent en rond sur le même lac avec, cette fois, des motos marines.

Je crois que nous vivons, du moins en Amérique du Nord, une crise reliée au confort. La surabondance de biens amène inévitablement un décalage avec la réalité. Le confort poussé à l’extrême rend con. Je n’exagère pas. J’ai vu en deux jours le même imbécile faire 30,000 fois le même trajet en motoneige. Du soir jusqu’au matin, imperturbable, sans se lasser.

J’ai essayé de comprendre mais je n’y suis pas arrivé. Pour moi, un déplacement doit obligatoirement nécessiter le départ d’un point A pour arriver à un point B. L’idée de se déplacer du point A pour revenir inévitablement au même point A, ça ne rentre pas dans mon cerveau. Mais en plus, quand l’opération est répétée inlassablement pendant des heures et des heures sur deux jours de temps, là, franchement, je débarque. Je peux comprendre que la vitesse, que l’adrénaline ou encore que le défi de battre un temps de passage puisse donner une certaine ivresse à la chose... mais sacrament! Deux jours de suite, soir et matin! Il doit y avoir un moment où le cerveau te dit quelque chose comme : «Hey mec! Ça fait deux jours que tu tournes en rond pour absolument rien. On aurait peut-être quelque chose de plus constructif à faire pour meubler le temps qui nous reste avant que la mort nous touche de son doigt glacé? Tu ne trouves pas?»


Par moments, j’en arrive à envier ces têtes sans cervelles. Ils n’ont pas d’angoisses ces gens. Tourner sur un lac gelé l’hiver et sur un lac liquide l’été et parvenir en même temps à y trouver une quelconque manière d’oublier la finalité de nos existences, il y a là quelque chose de parfaitement enviable. Tu te couches le soir sans angoisse.

- J’ai tourné en rond 345 fois aujourd’hui! Demain, je vais battre mon record!


Bon, là c’est vrai. Je vais me coucher. Il est tard et demain, je dois rencontrer un mec de la CSN pour parler de choses importantes dont il me serait mal venu d’en glisser le contenu ici.

Je vous laisse en me trémoussant le bassin et de me brassant ostensiblement les seins.

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