vendredi 11 décembre 2009

Le vote


Le vote

Il y a de ça quelques années, un nouveau parti politique de gauche vit le jour au Québec. Ses membres fondateurs étaient pour la plupart des intellectuels idéalistes qui rêvaient de proposer une alternative électorale basée sur la démocratie pure et dure de manière refléter le plus fidèlement possible les vœux du peuple. Hélas, ce parti n’aura existé que le temps d’une soirée. Nous avons en notre possession le procès verbal sténographié de cette soirée historique et nous le reproduisons ici pour vous.

Président
- Mes amis, bienvenus à cette soirée historique où nous allons donner au Québec son premier vrai parti politique 100% démocratique! (Applaudissements nourris de l’assemblée) Mon nom est Hubert Dulisse et l’on m’a nommé président d’assemblée jusqu’à ce que vous, les membres, en décidiez autrement car dans ce parti 100% démocratique, chaque opinion compte! (Applaudissements nourris du public) Aussi, sans plus tarder, permettez-moi de déclarer l’assemblée de formation officiellement ouverte! (Applaudissements nourris de l’assemblée. Des Bravo fusent de toutes parts)

Une voix dans la salle (Ci-après, Duclos)
- Cher président Dulisse, loin de moi de vouloir me montrer enquiquineur, mais ne serait-il pas plus logique de demander l’ouverture de cette assemblée par un vote des membres? Ce geste serait d’autant plus symbolique qu’il cristalliserait officiellement sur le procès verbal notre démarche 100% démocratique. (Applaudissements nourris de l’assemblée. Approbation générale.)

Président
- Mon cher ami Duclos, voilà une idée tout fait pertinente! En tant que président de cette assemblée rassemblant autant d’amoureux de la démocratie, je ne peux que m’y soumettre avec joie. (Applaudissements nourris de l’assemblée. Approbation générale.) Mes amis, et comme vient de nous le proposer si généreusement notre confrère Duclos sur l’autorisation de déclarer officiellement ouverte cette assemblée de formation, je demande le vote à mains levées!
Une voix dans la salle (Ci- après, Caron)
- Un instant! Attendez! (Légère rumeur dans la salle)

Président
- Et bien mon cher Caron, que se passe-t-il?
Caron
- Désolé mon cher président, mais je voudrais me prévaloir de mon droit démocratique de déposer une proposition. Car enfin, dans ce parti à naître, chaque opinion compte n’est-ce pas? (Approbations des uns et légères contestations des autres.)
Président
- Très juste Caron. Notre rêve de créer un parti 100% démocratique vous donne en effet ce droit et vous me voyez très honoré de vous l’accorder. Qu’avez-vous donc nous proposer mon ami?
Caron
- Vous proposiez un vote à mains levées alors que je demande un vote secret sur la déclaration officielle d’ouverture de cette assemblée. (Léger tumulte; protestations diverses d’une partie de la salle, acclamations et approbations de l’autre partie. Le calme revient dès que le président en fait la demande)
Président
- Très chers membres de l’assemblée, bien que singulière, cette demande est tout à fait légitime et nous devons nous y soumettre parce que nous croyons tous qu’un parti 100% démocratique est nécessaire. Loin d’être un irritant, la proposition de notre collègue Caron est au contraire une occasion de mettre en pratique nos théories et nos visions communes de la démocratie. (Approbation de l’assemblée) Cher collègue, et bien qu’acceptant votre proposition, vous comprendrez que je ne peux que demander l’appui démocratique de l’assemblée pour la valider.
Caron
- Bien sûr mon cher président, cela est tout naturel.
Président
- Merci monsieur Caron. (S’adressant aux membres de l’assemblée) : Mes amis, que ceux qui sont pour la demande d’un vote secret sur la déclaration officielle d’ouverture de cette assemblée, lèvent la main!
Une voix dans la salle. (Ci-après Demers)
- Un instant! (Tumulte de la foule qui ne se règle qu’après plusieurs remises à l’ordre du président.)
Président
- Monsieur Demers?
Demers
- C’est très simple monsieur le président. Je demande un vote secret sur le vote secret! (Explosion de stupeur dans la salle.) Je trouve inadmissible que pour un vote aussi important, vous imposiez arbitrairement un vote à mains levées sur la proposition du vote secret.
Plusieurs voix
- Oui! Oui! Il a raison! C’est inadmissible! Le président fait preuve d’un manquement grave à la démocratie!
D’autres voix
- Non! Non! C’est inconcevable! C’est abuser de la démocratie! Le président ne doit pas accepter!
Président
- Mes amis, restons calmes et souvenez-vous de notre ambition fondatrice de placer la démocratie au-dessus de tout! Il serait impensable de lui faire défaut ici en refusant ces demandes somme toute légitimes. Nous nous devons d’accepter cette proposition et je demande sans plus attendre le vote sur la proposition de prendre un vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte!
Demers
- Merci monsieur le président.
Président
- Que ceux qui sont pour, lèvent la main.
Une voix dans la salle (ci-après Planchard)
- Non mais c’est un scandale! Imposer un vote à mains levées sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte n’est pas démocratique! Je demande sans attendre un vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte! (Tumulte assourdissant dans la foule. Deux groupes se font face en s’invectivant. Le calme ne revient qu’après plusieurs rappels à l’ordre du président.)
Président
- Mais enfin monsieur Planchard, ne trouvez-vous pas que ça en est un peu trop?
Planchard
- Monsieur le président, il ne peut y avoir deux poids et deux mesures. Ne venez-vous pas d’accorder l’instant, et par deux fois, le droit de tenir des votes secrets? Il serait donc juste et démocratique de m’accorder le même droit qu’aux autres membres de ce parti naissant. (Vives clameurs dans la foule. Les deux groupes précédemment cités redoublent d’invectives et deux personnes en viennent même aux coups. Le service de sécurité intervient promptement et calme le tout.)
Président
- Monsieur Planchard, loin de moi de vouloir vous empêcher de faire valoir vos opinions, mais il existe néanmoins une certaine limite morale ... comment dire... à abuser ainsi d’un droit démocratique. Enfin, comprenez-moi bien... il me semble que tenir deux votes sur le même type de proposition est déjà largement suffisant pour... (inaudible à cause des cris de la foule) Aussi, je vous refuse cette proposition.
Cris provenant de la salle. Plusieurs voix.
- Le président refuse un droit démocratique l’un de nos membres! C’est un scandale!
- Mais non! Il ne faut pas exagérer! Le président a raison!
- Cette demande est parfaitement démocratique! La lui refuser, c’est rien de moins que du fascisme pur!
Etc; etc...
Planchard
- Ah! Ça, j’aimerais bien entendre ce que l’assemblée en pense!
Président
- Pense de quoi?
Planchard
- De ma proposition!
Président
- Que voulez-vous dire?
Planchard
- Je veux dire que je demande le vote! Rien de moins!
Président
- Mais c’est impossible! Je viens de vous en refuser le droit!
Planchard
- Vous avez refusé ma demande de vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte, d’accord! Et même si c’est parfaitement antidémocratique, je vous accorde moralement ce droit mais j’en demande l’assemblée de la valider démocratiquement! (S’adressant maintenant à l’assemblée) Je demande le vote! Que ceux qui croient que le président peut refuser ma demande de vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte, lèvent la main!
Une voix dans la salle (Ci-après, Castelli)
- Vice de procédure! Vice de procédure! C’est un scandale! Laissez-moi passer! J’ai à parler devant l’assemblée avant que ne se prenne ce vote historique sur le vote à l’effet que le président peut refuser arbitrairement une demande de vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte! Place! Faites place s’il vous plaît!
Une voix dans la foule.
- C’est un scandale! Castelli impose arbitrairement aux membre de lui faire place pour qu’il puisse se rendre plus aisément à la tribune pour parler avant que ne se prenne ce vote historique sur le vote à l’effet que le président peut refuser arbitrairement une demande de vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte! Je demande le vote sur la demande arbitraire de Castelli de lui faire place! Que ceux qui sont contre lèvent la main!
Une autre voix dans la foule.
- C’est un scandale ahurissant! Une voix dans la foule vient d’exiger arbitrairement aux membres de l’assemblée un vote à mains levées sur la possibilité d’accorder à Castelli le droit d’exiger arbitrairement aux membres de l’assemblée de lui faire place pour qu’il puisse se rendre plus aisément à la tribune pour parler avant que ne se prenne ce vote historique sur le vote l’effet que le président peut refuser arbitrairement une demande de vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte! Je demande rien de moins que le vote secret sur la demande de la voix dans la foule qui vient d’exiger arbitrairement aux membres de l’assemblée un vote à mains levées sur la possibilité d’accorder à Castelli le droit d’exiger arbitrairement aux membres de l’assemblée de lui faire place pour qu’il puisse se rendre plus aisément à la tribune pour parler avant que ne se prenne ce vote historique sur le vote à l’effet que le président peut refuser arbitrairement une demande de vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte! (Au même moment, Castelli descend les escaliers qui mènent à la tribune et se dirige vers le lutrin où se trouve le président. Le tumulte est à son comble et déjà le service de sécurité tient l'assemblée à distance grâce aux boyaux d’incendie généreusement prêtés par les pompiers.)
Président
- Mais monsieur, pourriez-vous expliquer votre démarche singulière?
Castelli
- C’est une injustice! Un coup bas administré la démocratie!
Président
- Expliquez-vous mon ami!
Castelli
- N’avez-vous pas demandé des votes à mains levées?
Président
- Si mais nous avons aussi accordé des votes secrets. Quel est le problème?
Castelli
- Oui d’accord, mais le vote à mains levée n’est-il pas toujours le premier proposé.
Président
- Peut- être. Mais encore une fois, où est le problème?
Castelli
- Ben justement! (Castelli se retourne vers les membres de l’assemblée et s’exclame avec une fureur peu commune) : - Je suis manchot! (Il offre ensuite le spectacle disgracieux de ses deux petits moignons restés jusque là cachés dans les manches de son veston et qu’il agite maintenant avec un enthousiasme impudique.) Je n’ai pas de mains. Ni même de bras d’ailleurs. Je n’ai que deux petits moignons pour voter. Aussi, en demandant le vote à mains levées sans même prendre la peine de vérifier si tous les membres de l’assemblée ont des mains, cela constitue rien de moins qu’un manque flagrant de respect envers les membres manchots de l’assemblée!
Duclos
- Assez! Si j’avais su, je n’aurais jamais demandé ce premier vote! Cessons de tergiverser! Je dis qu’une main est une main et qu’un moignon est un moignon. Mathématiquement, donc démocratiquement, il y a plus de mains dans cette assemblée qu’il n’y a de moignons! Oublions la proposition de cet infirme et votons sur la demande de vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte!
Castelli
- Monsieur, je suis manchot de naissance et je n’ai certes pas choisi de naître ainsi. De plus, sachez que d’où je viens, un moignon vaut bien une main!
Duclos
- Ah ça! Mais que ne faut-il pas entendre! Tenez, montrez-nous si vous pouvez faire ça avec votre moignon! (Se retournant vers l’assemblée, Duclos porte son index dans une de ses narines et se met tournoyer sur lui-même rapidement, amenant un éclat de rire chez les uns et un déferlement de réprobations chez les autres.)
Plusieurs voix dans la salle
- C’est un scandale!
- Une honte! Je suis moi aussi manchot et je suis parfaitement d’accord avec mon confrère manchot!
- Ta gueule Dubois! Toi et ta clique de manchots, vous n’êtes que des fouteurs de troubles!
- Ouais! Les manchots sont des mecs qui trempent leurs mains dans de louches affaires!
- Ouais! Ces manchots ont les mains sale!
- Je sais que ça n’a aucun rapport avec l’histoire mais moi je suis capable de tourner mes yeux tout en me grattant l’oreille avec le pied droit.
Président
- Il est clair que nous sommes en face d’un grave problème. J’attends vos propositions pour nous sortir de cette fâcheuse situation sans compromettre la démocratie.
Castelli
- Je crois avoir trouvé la solution! Je m’explique: Le président de cette assemblée n’est pas autorisé voter. Aussi, comme je suis en quelque sorte responsable de cette situation, je demande la présidence temporaire, le temps de demander le vote sur la demande de Planchard à l’effet que le président peut refuser sa demande de vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte! Une fois ce vote prit, je retournerai à mon banc et le président pourra reprendre ses fonctions. (Approbation générale! Soulagement intense. On se félicite dans la salle. Le président cède sa place Castelli)

Castelli
- Messieurs, le moment est historique. Nous allons prendre le vote. Que ceux qui sont pour la demande de Planchard à l’effet que le président peut refuser sa demande de vote secret sur la proposition de vote secret sur la demande de vote secret au détriment du vote à mains levées sur la demande de déclarer l’assemblée de formation de ce nouveau parti politique officiellement ouverte... lèvent le moignon! (Hurlements de tonnerre dans la salle! Tumultes inexprimables!)
Castelli
- Ah! Je vois un moignon levé. Il appartient monsieur Dubois. Maintenant que ceux qui sont contre lèvent le moignons. (Pause...) Aucun? Alors la proposition de monsieur Planchard est acceptée à l’unanimité et nous... (interruption du discours de monsieur Castelli par une dizaine de membres de l’assemblée qui se sont rués dessus avant de le rouer de coups de pieds et de coups de poings.)
Une voix dans le groupe des assaillants (Ci-après Savard)
- Pendons le!
Duclos
- Bonne idée Savard mais il faut d’abord demander la permission aux membres de l’assemblée. (S’adressant aux autre membres de l’assemblée en train de tabasser Castelli) : Messieurs, que ceux qui sont pour la pendaison de Castelli lèvent la main!
Caron
- C’est un scandale! Duclos vient de proposer arbitrairement un vote à mains levée sur la proposition de pendre Castelli! Je demande plutôt un vote secret!
Planchard
- C’est un scandale! Duclos et Caron semblent oublier qu’ils ne sont pas seuls dans cette assemblée et qu’ils ne peuvent décider arbitrairement du châtiment à imposer à Castelli! Dans un vrai parti démocratique, les méthodes d’exécutions sommaires se doivent elles aussi d’être approuvées par l’assemblée. Aussi, je propose humblement et démocratiquement la mort par strangulation.
Demers
- C’est un scandale! Dans un parti 100% démocratique, même les plus ignobles individus comme Castelli méritent un procès avant d’être exécutés. J’exige donc un procès démocratique avant de passer ce loustic à la baïonnette.
Savard
- C’est un scandale! Exiger un procès démocratique sans passer par le vote de l’assemblée est anti-démocratique! Dans un vrai parti 100% démocratique, le droit de ne pas être démocratique fait partie de la démocratie.
Président
- Mais... ce serait du fascisme que d’agir ainsi!
Savard
- Pas si nous demandons démocratiquement à l’assemblée de pouvoir nous libérer des contraintes improductives de la démocratie. Aussi, je demande l’assemblée de reconnaître démocratiquement son droit de gérer sa démocratie selon une tendance ouvertement fasciste.
Plusieurs voix
- Ouais! Savard a raison!
- Bravo! Imposons notre vision fascisante de la politique via une structure démocratique!
- Noël! Noël! Je propose de massacrer sommairement tout ceux qui sont contre nos idées mais seulement après avoir démocratiquement décidé du choix des armes utiliser!
- Nous touchons au but! Nous touchons au but!
- Établissons des camps de la mort pour tous nos opposants mais en décidant démocratiquement des méthodes de nettoyage à utiliser.
- Le four crématoire! Le four crématoire! Le four crématoire!
- La machette! La machette! La machette!
- Il ne faut pas non plus oublier les ouvrages anti-démocratiques. Je propose de grands bûchés pour brûler tous les livres que nous déciderons démocratiquement nuisibles à notre cause!
- Ouais! Ouais! Le fascisme démocratique est la solution pour faire triompher la vision 100% démocratique de notre parti! Soyons des démocrates fascistes!

Fin

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