mardi 8 septembre 2009

Mardi 8 septembre 2009

J'ai terminé le boulot à 18hre. Journée des plus chiantes pour le cerveau. Je suis coincé pendant un certain temps dans une succursale un peu morte avec un directeur des plus déprimant. Pas un mauvais mec, mais un type un peu trop amoureux de son boulot. En sortant de là, j'avais l'impression d'avoir gaspillé une journée de ma vie. Me suis dirigé sur St-Denis où je me suis un peu promené après avoir acheté deux bouquins en format poche. (L'affaire Homme de Romain Gary et puis La Guerre Du Faux de Umberto Eco.) Je viens de terminer Les Bienveillantes (1) de Jonathan Littell et ça m'a littéralement jeté sur le cul. http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Bienveillantes J'avais besoin de quelque chose d'un peu plus léger, quoi que Eco...
Soirée chaude malgré le mois de septembre, je marchais sans trop savoir où aller. Ça m'arrive quand je viens de passer une journée de boulot un peu plus chiante qu'à l'ordinaire. Je voulais capter un peu de cette vie particulière de Montréal quand l'été étire ses dernières chaleurs avant de passer aux choses outrageusement froides. Mais je ne captais rien, ou alors les odeurs bigarrées des restaurants que je croisais sur mon chemin. J'avais faim mais je voulais surtout commencer à feuilleter mes livres et j'avais remarqué un peu plus tôt la terrasse du Second Café qui semblait invitante parce qu'elle était éclairée et qu'on pouvait y fumer nos clopes sans risque de se faire embarquer par les flics. Mais quand j'y suis repassé avec mes bouquins fraîchement achetés, toutes les bonnes tables étaient prises. J'ai poursuivis ma marche jusqu'à la rue Rachel et je me suis arrêté au Bistro Caféo où j'ai commandé une frite mayo et un verre de vin. Un Torontes argentin à 7$ la coupe même pas pleine. À ce prix là, ce n'est plus que du vol, c'est aussi de l'extorsion de fond. Un petit vin qui ne coûte que 13$ la bouteille à la SAQ! Les enculés!
J'ai lu un peu Eco, question de me mettre au moins quelque chose dans le cerveau pour compenser cette journée de vide intellectuel sidéral.
Je suis revenu après en roulant doucement et en prenant tout mon temps, espérant que quelque chose se passe. Il ne s'est rien passé. Soirée un peu morne après une journée ratée.
En arrivant ici, j'ai ouvert mon ordi et j'ai vu que ma petite pote-frangine-confidente et correspondante de Toulouse m'avait écrit tout en me refilant une photo d'elle prise le jour même, comme je le lui avais demandé. La dernière datait du printemps et je ne voulais pas qu'elle vieillisse en cachette. Elle voulait me remercier de lui avoir refiler l'adresse du site de l'ONF sur laquelle on peut se taper des centaines de films gratos. Elle me disait qu'elle s'était fait une dégustation de films d'animation et qu'elle allait refiler l'adresse à ses potes. Le village global, c'est un peu ça aussi. C'est surtout ça en fait. Deux semaines plus tôt, elle m'avait téléphoné alors que j'étais au chalet. Je lui avais parlé alors que j'étais assis au bout de mon quai. Après lui avoir fait entendre le bruit de l'eau que j'agitais avec mes pieds, je lui disais à quel point, moi le vieux shnock de 46 ans, je restais fasciné par la technologie moderne. Et ce soir, en voyant sa photo prise au même moment où elle m'écrivait, je suis resté tout aussi épaté par la rapidité avec laquelle "l'instantané" arrive à voyager aujourd'hui. Elle portait les mêmes lunettes bleues que celles qu'elle avait lors de notre première rencontre il y a déjà trois ans de ça.
Je me suis ensuite ouvert une bouteille de blanc, Masi Tupungato Pasfo Blanco 2007, Argentin. Tout léger, parfait avec les sushis selon moi. Mais je n'avais pas de sushi, je n'avais que mon logement vide, bordelique et immensément déprimant. Je crois que c'est ce qui me tue le plus en ce moment, ce putain de logement.
Depuis deux jours, je trouve des flaques d'eau dans la cuisine et je ne sais même pas d'où elles proviennent. La bonne chose c'est que ça me force à passer la moppe et laver du même coup le plancher, chose que je n'ai pas faite depuis au moins deux ans. C'est encourageant.
Depuis que je suis de retour en ville, je ne cesse de me dire que je devrais balancer à la poubelle tout ce qui ne me sert pas et rendre ce logement le plus feng shui possible. Ne garder que le strict nécessaire. Mais je n'y arrive pas. Ce logement me tue. Son bordel surtout. J'aimerais être ailleurs. Dans la station orbitrale par exemple. Ou dans une pourvoirie de la Baie d'Ungava à pêcher la truite grise. Une cliente vient de m'envoyer ses photos de pêche de cet endroit justement.
Au moment où j'écris ces lignes, j'entends des soulards gueuler dans la rue. J'aimerais qu'ils se taisent, qu'ils crèvent même, qu'ils me foutent la paix et qu'il aillent cuver leur mauvaise bière ailleurs. Je préfère les ours et les ratons laveur de mon chalet.
Ça coûte combien pour un séjour dans la station orbitrale?
C'est où qu'il faut faire application?

Je crois que je vais aller me coucher.


(1) Ce roman marquera cette première moitié de siècle. Une fresque apocalyptique, un voyage terrifiant à l'intérieur même de la mécanique du mal absolu. Oubliez les histoires d'horreur de fiction, la réalité est encore plus abominable. Et puis Littell possède un plume qui vous cloue les mots dans le front. Ce ne fut pas qu'une lecture pour moi, mais une expérience inoubliable.

(...) Je croyais maintenant mieux comprendre les réactions des hommes et des officiers pendant les exécutions. S'ils souffraient, comme j'avais souffert durant la Grande Action, ce n'était pas seulement à cause des odeurs et de la vue du sang, mais à cause de la terreur et de la douleur morale des condamnés; et de même, ceux qui l'on fusillait souffraient souvent plus de la douleur de la mort, devant leurs yeux, de ceux qu'ils aimaient, femmes, parents, enfants chéris, que de leur propre mort, qui leur venait à la fin comme une délivrance. Dans beaucoup de cas, en venais-je à me dire, ce que j'avais pris pour du sadisme gratuit, la brutalité inouïe avec laquelle certains hommes traitaient les condamnés avant de les exécuter, n'était qu'une conséquence de la pitié monstrueuse qu'ils ressentaient et qui, incapable de s'exprimer autrement, se muait en rage, mais une rage impuissante, sans objet, et qui devait donc presque inévitablement se retourner contre ceux qui en étaient la cause première. Si les terribles massacres de l'Est prouvent une chose, c'est bien paradoxalement, l'affreuse, l'inaltérable solidarité de l'humanité. Si brutalisés et accoutumés fussent-ils, aucun de nos hommes ne pouvait tuer une femme juive sans songer à sa femme, à sa sœur ou à sa mère, ne pouvait tuer un enfant juif sans voir ses propres enfants devant lui dans la fosse. Leurs réactions, leurs violence, leur alcoolisme, les dépressions nerveuses, les suicides, ma propre tristesse, tout cela démontrait que l'autre existe, existe en tant qu'autre, en tant qu'humain, et qu'aucune volonté, aucune idéologie, aucune quantité de bêtise et d'alcool ne peut rompre ce lien, ténu mais indestructible. Cela est un fait, et non une opinion.
Les Bienveillantes, Jonathan Littell, Gallimard, 2006

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