mardi 22 septembre 2009

Le voyage dans le temps.

Le chèque n'est pas gros. Une centaine de dollars après impôts et retenues diverses. Ça représente une journée de travail que mon ancien employeur ne m'avait pas payée. Il prétextait que je n'avais pas le droit de m'absenter ce jour-là. Et encore moins pour aller manifester contre la présence de W.Bush à Ottawa. Le commissaire aux Relations de Travail m'avait cependant donné raison, jugeant que selon les normes en vigueur dans cette entreprise de merde pour laquelle je travaillais, et en tenant compte des heures supplémentaires non payées que je leur donnais à chaque semaine, non seulement je pouvais très bien m'absenter comme cela se faisait pour les autres mais qu'en plus, je pouvais faire ce que je voulais de mon emploi du temps en dehors des heures de travail. Ce qui est tout naturel quand on y pense. Nous sommes dans un pays démocratique à ce que je sache.
Entre autres victoires, j'avais donc aussi obtenu celle-ci et j'y tenais fortement. Non pour l'argent, mais pour le symbolisme de la chose. Gagner des milliers de dollars après cinq ans, c'est chouette mais gagner aussi cette peanut, c'était la cerise sur le sundae. Une manière de doigt d'honneur par jugement interposé.

Ils m'ont envoyé le chèque au mois de juin dernier. Non pas chez moi, mais chez mon ex puisqu'ils n'avaient pas ma nouvelle adresse. En fait, ils auraient dû l'envoyer à mon avocat mais bon, ne chipotons pas pour si peu.

Ainsi donc mon chèque était chez mon ex et je devais le récupérer depuis trois mois. C'est elle qui m'avait avisé après réception de la chose tout en m'informant du même coup qu'elle avait retrouvé un porte-folio rempli de mes dessins, peintures et autres croquis diverses qui traînait encore chez elle. Depuis trois mois qu'on tente de se rencontrer pour régler sans jamais y parvenir. Ce soir j'y suis allé. C'était la première fois que je remettais les pieds dans notre ancien logement depuis notre séparation. En fait non, la dernière fois, je me souviens, c'était pour y vider mes derniers effets cinq ou six mois après mon départ. J'étais seul avec sa mère et profitant d'un moment d'absence de celle-ci, j'avais un peu exploré les lieux. Elle était déjà avec ce type, cette chose un peu visqueuse qui drague dans le dos des copains. Je me souviens que dans la cuisine, il y avait un nouveau calendrier. Je savais que mon ex prenait l'habitude d'y écrire les anniversaires de tout le monde. En le feuilletant, j'étais tombé sur une date qui n'était pas la mienne mais pourtant douloureusement encerclée avec un cœur, exactement comme elle le faisait pour moi depuis les six dernières années. Je me souviens d'avoir pris un crayon et d'avoir tracé le mot "enculé!" à côté de cette date anniversaire du reptile en question. C'était immensément enfantin, prodigieusement ridicule, parfaitement irrespectueux, mais bon dieu, qu'est-ce que ce fut défoulant!

Les années ont passées et le reptile s'en est allé vers d'autres ménages à briser. Un ou deux autres remplaçants se sont succédés depuis, dont le dernier en date qui, ma foi, est fort sympathique puisqu'il ne m'a rien fait. Il a la même tête que (.... au moment où j'écris ces lignes, j'entends des cris dans la rue. Je vais voir. Tout est normal. Ce n'est qu'une bataille rangée entre quelques putes pour un coin de trottoir) ... je disais donc qu'il a la même tête que James Hetfield, le chanteur de Metallica mais en beaucoup plus jeune. (Normal, Hetfield a exactement mon âge.) D'ailleurs, il joue de la guitare et je crois même qu'il donne des leçons.

Je suis donc passé ce soir chez mon ex, dans ce même logement que nous avons partagé pendant quelques années. Ça m'a fait tout drôle on s'en doute. Mais ça ne m'a pas tapé dessus comme je l'aurais cru. Juste une étrange impression de faire un voyage dans le temps. James Hetfield était là aussi, ce qui était une bonne chose puisque de cette manière je me payais la totale en une seule visite. Mon ancien logement, mon ex et le chum de mon ex.
Elle m'a fait visiter les lieux que je connaissais déjà, mais en me montrant les changements apportés depuis. Je reconnaissais des choses et j'en découvrais de nouvelles. J'ai vu le salon, son bureau à elle, son bureau à lui, la cuisine mais je lui rend grâce d'avoir judicieusement passé à côté de la chambre à coucher. Ça m'a évité le malaise de devoir lui refuser de voir ça. À la place, elle m'a montré ses cochons d'Inde qu'elle collectionne dans une énorme cage qui sent un peu la ferme. C'est son genre. Une année, elle m'avait offert pour mon anniversaire un hamster qu'elle voulait appeler Napoléon. C'était la première fois de ma vie qu'on m'offrait un rat pour mon anniversaire. Pour me venger, je lui avais acheté un décanteur à vin pour le sien. J'avais pensé à une clé à molette mais je m'étais dit que le décanteur serait quand même plus utile. Pour en revenir au hamster, je lui avais dit que j'étais mal à l'aise avec l'idée de lui donner le nom du grand Empereur. Nous en avions discuté très sérieusement et nous avions convenu d'un compromis en le baptisant Armand Augustin Louis de Caulaincourt, Duc de Vicence. (nous disions simplement "Caulaincourt" entre nous pour faire plus court) Un très grand diplomate, un des préférés de Napoléon. On lui doit un extraordinaire ouvrage qui consiste à la retranscription journalière de ses conversations avec l'Empereur pendant cette longue randonnée lors de la retraite de Russie.
Vous ais-je déjà dit que je suis un crack de Napoléon Bonaparte? Le code civile, le Consulat, Austerlitz? Non?
Anyway...
Ce foutu hamster est mort devant moi après s'être empiffré d'un sac de plastique qui traînait près de sa cage. Faut vraiment être con. Je l'ai vu agoniser sans pouvoir rien n'y faire et ça m'a marqué. Depuis ce jour, je ne veux rien de vivant comme cadeau d'anniversaire. Ou alors des homards si on insiste vraiment.

J'avais soif et j'ai demandé un verre d'eau. C'est James Hetfield qui, gentil comme tout, s'est chargé de me l'apporter. J'étais déshydraté. Ça m'arrive quand je suis un peu nerveux. À la Commission des Relations de Travail, quand je devais me faire questionner par l'avocat adverse, j'avais toujours une bouteille d'eau avec moi.
J'ai bu quelques gorgées. Ça m'a fait un bien fou. Mais tout le temps que dura ma conversation, curieusement, j'évitais de regarder mon ex dans les yeux. Le cul, ça oui, j'ai bien regardé mais pas les yeux. Je me sentais inconfortable. Je ne sais pas pourquoi. Faut croire que je suis plus à l'aise avec les culs qu'avec les yeux. Normal, j'suis un mec. Donnez-nous un cul et nous vous soulèverons le monde. C'est bien connu. Je crois que c'est Archimède qui a dit ça. Ou un de ses potes, je ne sais plus. Faudrait que je vérifie. (Ne pas oublier de m'écrire une note à ce sujet)
Signe des temps, il y avait un jeu vidéo dans le salon. J'avais oublié que mon ex est de cette génération. Il y avait aussi un écran télé au plasma. Et des plantes aussi. Et puis des tableaux qu'elle a fait. De superbes toiles avec des couleurs et de la texture qui viennent te foutre des baffes tellement c'est puissant. Ça, elle ne l'a pas perdu. Heureusement.

Et puis il est 23h36 et j'écris ces mots en me tapant une bière sans trop savoir ce que je fous ici.
Petit cafard passager.
J'écoute Benjamin Biolay
Chanter Rose Kennedy
Sur un Septembre grand ouvert
Qui tente de racheter l'été.

C'est une époque lourde en ce moment.
Lourde de toutes ces choses qui passent
Et qui ne reviennent plus.
Comme ces dates d'anniversaires
Encerclées d'un cœur
Sur le calendrier jaunie
Des bonheurs effacés.

1 commentaire:

Marina Kowalsky a dit…

Beau texte!!!!

C'est " Euréka" sa phrase célèbre à Archimède.

Beau texte, dis-je.
En regardant ta vidéo de l'Arbre Mort qui Tombe, j'ai moi aussi fait un voyage dans le temps......