vendredi 25 septembre 2009

Saaambucaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa!

Je suis coincé depuis trois semaines dans une succursale moche fréquentée toute la semaine par des Italiens du troisième âge. Le genre qui ne parlent ni français ni anglais. Ceux de la première génération, ces vieux paysans sans beaucoup d'éducation et qui travaillent encore la terre ou la brique pour des salaires de misère. Ils viennent tous pour la plupart de ces petits villages du sud de l'Italie. J'ai remarqué qu'ils sont tous petits. Vraiment petits. Pas plus haut que trois ou quatre pommes. OK, disons cinq pommes. Ils ont tous les doigts écorchés par le dur labeur et bien sûr, ils achètent tous de la sambuca.
Conseiller des vins? Tu rigoles!
Ils achètent tous de gros cruchons à trois litres de ce vin mauvais. C'est que nous sommes en septembre et qu'ils ont tous épuisé leur vin artisanal. À partir de décembre, quand le vieillissement de leur prochaine cuvée annuelle sera terminée, on ne les reverra plus avant quelques mois.
Sauf pour la sambuca.
Tous les Italiens boivent de la sambuca. Ceux qui n'en boivent pas ne sont pas de vrais Italiens. Ou alors ils sont jeunes et préfèrent la vodka Grey Goose. La sambuca, c'est leur oxygène. Leur lait. Leur eau. Ils en mettent dans leur café le matin.
- Vous en mettez vraiment dans votre café?
- Ma ké! Ci pour méttre dé l'énergie dans lé sangne! Tou mets oune pétite shot dé sambuca dans ton ésspresso et té jamais malade. Ma ké!
Depuis trois semaines, je vends de la sambuca et du vin cheapo. Et en plus je suis coincé avec un directeur qui passe ses journées dans son bureau à rédiger des rapports et des directives qui n'intéressent personne et qui se terminent tout de suite au recyclage dès réception.
C'est un con fini mais il est le seul à l'ignorer. C'est sans doute pour ça qu'il est toujours souriant. Un sourire de con.

Il y a une caste de ces Italiens qui font faire leurs achats par leur femme. Elles entrent dans la succursale, toutes ridées, toutes plissées, toutes blanches de cheveux et achètent la sambuca pour le mari. Elles sont généralement très sympas, beaucoup plus sympas que leur mari, très compréhensives, ne parlent pas français mais se démerdent pour se faire comprendre. De toute manière elles savent toujours ce qu'elles veulent et savent comment se le procurer sans rien demander à personne. J'adore ces mémés siciliennes.
Mais quand la femme ne peux pas se déplacer pour des raison X Y ou Z, c'est le vieux mâle qui se pointe et là, c'est vraiment pathétique. Prenons le vieil Italien typique, celui qui doit faire ses courses sans sa femme et qui panique juste à l'idée de devoir s'exprimer dans un commerce dont les commis ne parlent pas italien. Déjà qu'il ne croit pas ceux qui lui jurent main sur le cœur que Mussolini ne dirige plus son pays d'origine, qu'il peine encore à comprendre comment l'eau peut se rendre dans son lavabo juste en tournant un robinet, qu'il ne sait pas que l'homme a marché sur la lune, on peut ainsi imaginer aisément le décalage spatio-temporel quand il doit faire face à une situation comme celle qui l'amène à se confronter à un drôle de zigue mal rasé et cheveux longs qui se tient derrière un comptoir d'une succursale chauffée en hiver avec autre chose que du charbon et contenant plus de 5 000 articles tous identifiés par un code barre.

Le choc des civilisations vous dites?

Il entre dans la succursale comme s'il entrait dans une autre dimension. C'est le même choc pour lui que celui qu'on aura quand on passera l'étape qui suit la vie. Il pousse la porte comme on ouvre une boîte dont on ignore si le contenu va nous exploser en pleine gueule. Il s'arrête toujours après avoir franchi la porte et ne bouge plus. On le sent déjà complètement déphasé et aux prises avec un choc émotif latent. Il est tétanisé, l'œil dilaté, les pulsations cardiaques poussées à leur maximum. Son regard scrute la pièce mais son cerveau lui dit qu'il est en terrain inconnu. Donc qu'un possible danger peut exister dans cet espace fermé. Faire un pas de plus pourrait signifier qu'il compromet son intégrité physique. Normal, c'est un réflexe naturel de survie qui existe chez tout être vivant qui doit se confronter à une situation inconnue. Donc, il bouge plus puisque son instinct lui dit que devant une expérience aussi ésotérique, aussi incompréhensible, aussi mystérieuse que celle-ci, mieux vaut ne pas faire un geste de plus et attendre pour voir ce qui va se passer. Il regrette de ne pas avoir apporté avec lui son fusil de calibre douze qu'il utilise pour chasser les taupes sur son terrain ou pour éloigner le facteur qui a la mauvaise manie de jouer avec sa boîte aux lettres depuis les cinquante dernières années. Il reste là et il attend. Il attend quoi? Qu'un être humain se pointe devant lui. Avant, au début, je veux dire la première année où je travaillais là, j'allais à la rencontre de ces vieux Italiens de première génération. Mais depuis, j'ai appris que ça ne sert à rien. Que tu sois proche ou éloigné de lui, dès que ton regard croisera le sien, la bave aux lèvres, le regard paniqué et la voix défaillante, il te gueulera systématiquement ceci :
" Sambuuuuucaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa!!!!! "

Tu sais tout de suite que même si tu parlais parfaitement italien, tu ne pourrais pas lui parler de Umberto Eco.
Remarquez, il y a le même type de client québécois (Rye), haïtien (Brandy) ou indou (Gyn). Mais je dois avouer que le vieil Italien de première génération, celui qui a les doigts tout écorchés, il est à part.

Aucun commentaire: