Après avoir déneigé la toiture du chalet, et comme c'est maintenant devenu une habitude, j'enfile mes raquettes et je vais me perdre un peu dans la forêt. C'était d'ailleurs une très belle journée pour ce genre de ballade aujourd'hui. Le soleil, la température, tout s'y prêtait. J'ai marché sur la rivière sur un long parcours et une légère croûte de glace recouvrait la neige. Quand le soleil tapait dessus, l'effet visuel était de toute beauté.
J'ai ensuite pénétré dans la forêt et j'ai marché en suivant les pistes des chevreuils. J'avais espoir de revoir celui que j'avais croisé la dernière fois et qui se trouve sur un clip dans un texte précédent. Comme les lièvres, ils ont l'habitude de passer toujours au même endroit. Ce n'est peut-être pas une bonne idée quand on sait qu'on se trouve en plein territoire d'une meute de loups. Rendu à environ 1km du chalet, j'ai vu devant moi sur le tapis de neige un amoncellement de poils. Je me suis penché et j'ai pris quelques touffes entre mes doigts. Pas de doute, ça venait d'un chevreuil.
Quelques pas plus loin, et toujours sur le même sentier, j'ai vu un morceau de fourrure. J'ai cru pendant un moment qu'un braconnier était passé dans le coin et qu'il s'était fait un chevreuil. Mais j'ai levé la tête et ce que j'ai vu m'a fait comprendre que l'homme n'y était pour rien.
La neige était tapée et maculée de sang congelé. Il y avait une abondance de traces de pas d'animaux tout autour, de cavités creusées dans la neige, des branches d'arbres cassées, de l'urine à trois endroits différents comme pour délimiter un petit territoire, des excréments semblables à ceux laissés par des chiens, des touffes de poils rougies par le sang, j'étais sur le lieux où s'était déroulée une furieuse bataille pour la survie. Des loups avaient attaqué et dévoré sur place un chevreuil. C'était très récent, quelques heures à peine.
Je me suis refait le scénario et il m'était facile de voir par les traces laissées dans la neige comment s'était déroulé le drame. Le cervidés s'était fait surprendre à l'endroit précis où j'avais trouvé le premier amoncellement de poils. Je suis revenu sur mes pas et j'ai vu trois pistes émerger de la forêt par trois endroits différents mais convergeant sur le même point, précisément là où j'avais trouvé les poils. Le chevreuil aura sans doute ensuite fait quelques pas de plus et s'est effondré en se faisant déchiqueter à l'endroit montré par les photos ci-haut.
J'étais fasciné de voir que les loups n'avaient rien laissé et que tout ce qui était comestible fut complètement avalé. Je n'ai retrouvé aucune pièce de viande qui, si j'avais moi même crevé de faim à ce moment précis, aurait pu me permettre de soulager un peu mon appétit. Tout ce que j'ai trouvé à cet endroit fut l'extrémité d'une patte qui ne contenait guère de viande. Mais en observant d'avantage la scène, j'ai compris que l'endroit où je me trouvais était en fait le lieux de dépeçage et que les loups avaient sans l'ombre d'un doute procédé à une sorte de partage du butin parce que j'ai vu trois traînées dans la neige qui s'enfonçait dans la forêt par trois endroits différents et d'où je décelais ici et là d'autres touffes de poils, quelques petits osselets, de même que quelques traces de sang congelés.
Voulant en savoir plus, j'ai décidé de suivre dans les bois l'une de ces traînées macabres en espérant confirmer mon hypothèse. Je n'ai pas mis de temps à comprendre que j'avais vu juste lorsque j'ai découvert un peu à l'écart cette partie du squelette qui me semblait être une section du cou du malheureux cervidé. J'ai tenu cet os dans ma main et même en l'observant de très près, je n'y ai pas vu dessus la moindre parcelle de viande. Le terme "dévoré" ici prenait tout son sens. En remettant l'os à sa place, je me suis relevé et j'ai regardé tout autour en me disant que bordel de merde, j'étais tout seul en forêt en plein territoire de chasse d'une meute de loups. J'ai aimé cette sensation et je me sentais en pleine harmonie avec la nature. Que cette petite montée d'adrénaline réconfortait en moi ce besoin de vivre autre chose que les bouchons de circulation de Montréal. Là, dans cette partie de la forêt, loin de la ville, avec le résultat probant autour de moi d'une lutte récente pour la survivance d'une espèce, je me sentais vraiment en vie. En communion avec le Grand Tout.
J'ai continué à m'enfoncer plus en avant dans le coeur de la forêt et à environ cinq minutes de marche plus loin, j'ai trouvé dans la neige blanche le crâne de la proie. Je me suis penché et comme avec l'os, j'ai pris la chose dans ma main pour l'observer. Il lui manquait une oreille et celle qui restait était à moitié déchirée, ne tenant que par un léger filet de peau. Même l'intérieur avait été consciencieusement dévoré. Comme les yeux et la langue. Aucun gaspillage, aucune perte. La survivance ne peut se permettre un tel luxe. Elle laisse toujours derrière elle des cadavres propres.
Et en quelque part, je n'ai pu m'empêcher de trouer ça grandiose parce que je sais qu'au printemps, grâce à ce carnage, de petits louveteaux naîtront.
Et en quelque part, je n'ai pu m'empêcher de trouer ça grandiose parce que je sais qu'au printemps, grâce à ce carnage, de petits louveteaux naîtront.
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