mardi 5 février 2008

Ma psy et Sergio Leone

J'avais un rendez-vous avec une femme ce soir. Ma psy. Une sympathique dame qui m'écoute parler pendant une heure par semaine. Même que parfois, elle semble tellement intéressée par ce que je raconte qu'elle ne peut s'empêcher de prendre de notes.
C'est chouette une femme qui prend des notes quand on parle. L'impression que plus rien n'existe dans sa vie que vous.
Je lui peins mes angoisses et mes tourments sous une impressionnante palette de couleurs existentielles qu'elle capte au vol en les couchant sur son petit calepin noir qu'elle tient nonchalamment sur ses cuisses de psy. Peur de la mort, peur de vieillir, peur de devenir conservateur, peur d'avoir peur...
Elle ne dit presque rien et me laisse délirer pendant tout le temps qu'il m'est accordé. Quand elle parle, ce n'est que pour me relancer ici ou là, me forçant à emprunter un chemin esquissé par un mot ou une phrase échappé de ma bouche. Par moment, j'ai l'impression qu'on forme un vieux couple elle et moi.

- Pourquoi avez-vous si peur de vieillir?
- Globalement, parce que ça me rapproche de la mort, eh! C'est logique il me semble non?
- Mais on y passe tous, vous savez.
- Ah ouais? Vraiment? Quel constat! 5 années d'études universitaire et 20 années de pratique en psychologie pour en arriver à un tel diagnostique? Et c'est tout ce que vous avez à me dire pour me soulager? Putain mais y a combien de vos patients qui finissent par s'ouvrir les veines après leur thérapie?
- Ne m'insultez pas voulez-vous!
- Et vous, ne me découragez pas d'avantage en me dessinant par trop concrètement l'inexorable finalité de l'homme! Je suis très bien capable de le faire par moi-même et c'est d'ailleurs précisément pour ça que je suis ici, pour que vous m'aidiez à me sortir de la tête toutes ces idées noires qui me bouffent ma quiétude et qui m'empêchent de respirer normalement la nuit, quand je me couche.
- Je n'ai pas de recettes miracles et vous devrez y mettre un peu du vôtre. D'abord, il faudrait commencer par apprécier ce que vous avez.
- Justement, j'ai 44 ans et je n'apprécie pas du tout.
- Je ne parlais de votre âge!
- C'est pourtant tout ce que j'ai.
- Vous êtes en santé, vous avez vos deux bras, vos deux jambes, vous avez un travail, des amis, des passions...
- Pfff... j'ai aussi un énorme vide dans mon compte bancaire, une voiture dont la chaufferette ne fonctionne plus, une voisine qui parle toute seule dans son logement, un grand lit vide et puis aussi quelques crises d'hémorroïdes biens senties.

En sortant de son bureau, et comme je ne savais pas comment passer le reste de la soirée, je me suis dirigé vers les Halles d'Anjou où j'ai été glandouiller devant les étales colorées de CD, de livres et de DVD de chez Archambault. Me suis acheté un CD de John Coltrane (Stardust, que je suis entrain d'écouter) et puis une compilation des meilleurs morceaux de Benny Goodman. Mais j'ai surtout trouvé une copie du film Il était une fois dans l'Ouest pour 6.00$ Incroyable! Et dire que les dernières merdes Hollywoodiennes du genre Spider Man ou Fantastic Four se vendaient à plus de 20$ pièce! Comme quoi il n'y pas que des inconvénients à vivre dans une époque où le goût du troupeau inculte constitue la plus grosse part du marché. Ça nous donne la chance de trouver des diamants à 6.00$ isolés dans un champs de merde pour androcéphales à casquette de baseball et Honda Civic modifiée.

Chef d'oeuvre de Sergio Leone, Il était une fois dans l'Ouest est au Western ce que le Petrus est au vin. Une pièce fondamentale de l'échiquier cinématographique du 20ème siècle. (Rien de moins..) Retirer la période Western de son répertoire et le cinéma d'aujourd'hui ne serait pas le même. Comme la plupart des films de Leone, cet oeuvre est monté comme un opéra et où chacun des personnages principaux ont une entrée en scène d'anthologie et un thème musical qui leur est propre. Gros plans par paquets de 12, longues séquences silencieuses, musique quasi religieuse de l'incomparable Ennio Morricone, la ligne dramatique du scénario qui va en crescendo et qui culmine dans un apothéose délirant représenté par un duel final qui n'a rien à envier aux ambiances romantiques des romans de Victor Hugo, le tout enveloppé dans le plus pur style du réalisme italien et vous avez devant vous la quintessence du cinéma à l'état pur.

L'une des idées géniale de Leone fut d'avoir convaincu (après un an d'intense négociations) Henry Fonda pour tenir le rôle du pire salaud jamais interprété au cinéma jusqu'alors. Il faut savoir que Fonda s'était fait un honneur de ne jouer que des rôles sympathiques et qu'il n'était pas du tout convaincu que jouer une ordure de légende commettant un infanticide (et dès sa première apparition dans le film!!) serait accepté par son public. Il eut raison d'accepter puisque ce film est aujourd'hui indissociable de sa carrière et est considéré comme l'un des meilleurs qu'il n'a jamais tenu.

Dès que je suis arrivé à la maison, je me suis fait jouer deux scènes de ce film que je connais par coeur et qui a bercé mon enfance et mon adolescence. Celle où Fonda apparaît et l'autre, à la toute fin, où il sort de scène.
Il y a quelque chose de dantesque dans la première scène de Fonda. Franck, son personnage dans le film, vient d'assassiner un après l'autre les membres d'une famille. Nous voyons les scènes suivantes par les yeux du gamin qui, jusque là, avait échappé au massacre parce qu'il était dans la maison. Le bruit des coups de feu l'amène à sortir et il constate l'horreur sans pouvoir comprendre. Tout ce qu'il a devant ses yeux sont les cadavres de son père, de sa soeur et de son frère. Puis, surgissant des buissons comme des anges de la mort, il voit 5 silhouettes funestes s'approcher de lui. Pendant un moment, son regard fixe celui de Franck et on se dit que ce dernier n'ira quand même pas jusqu'à flinguer ce pauvre gamin. Mais on entends l'un des membre de la bande demander " What do we do with the kid Franck?" Ce dernier lance un regard non équivoque à son homme avant de revenir le fixer sur l'enfant et dit d'un ton glacial: "Now that you've call me by my name..." (L'un des premiers one-liner du cinéma) Puis, il pointe son pistolet vers le gamin, esquisse un sourire.... et bang! Il flingue le gamin!


Wouuuaaaah! La première fois que j'ai vu cette scène, j'avais 9 ans et j'en ai gardé des frissons qui me parcourent encore la peau quand j'y repense aujourd'hui! Je ne pouvais pas croire qu'il l'aurait fait et jusqu'au dernier moment, j'avais espéré que... mais il le flingue! de sang froid et avec le sourire en plus! On comprends qu'à la lecture du scénario, Fonda ait pu hésiter et je me demande bien comment Leone a fait pour le convaincre.
Ce qui me fait penser que cette scène d'intro vient faire mentir Hitchcock qui disait que débuter un film par une scène forte ne pouvait que faire diminuer la trame narrative subséquente. Toute la force de Leone est justement d'être parvenu à tenir le spectateur en haleine malgré cette intro coup de poing.

L'autre scène est le duel final. Si la première m'avait marqué, celle-ci m'avait complètement bouleversé. Bronson et Fonda sont face à face et sont sur le point de régler leur compte dans un duel épique. Au moment où l'on s'attend à les voir dégainer, le film bascule dans un flash-back où l'on comprends que les deux hommes se sont déjà rencontrés plus tôt dans leur vie. Harmonica, le personnage interprété par Bronson, était le jeune frère d'un homme que Franck avait fait pendre d'une manière des plus baroque et qui ne pouvait être imaginée que dans la tête merveilleusement fêlée d'un cinéaste italien. 12 ans tout au plus, plantés sous un arc de clocher d'église d'un pueblo mexicain en ruine, les mains attachées dans le dos et tenant on ne sait comment son frère sur les épaules alors que ce dernier a la corde au cou, Franck s'approche du gamin et lui colle un harmonica dans la bouche en lui disant de jouer pour son frère. S'il tombe, - et il tombera! - son frangin meurt pendu. La caméra part du visage du gamin et recule, et recule, et recule dans une légère montée pour nous dévoiler progressivement toute la scène dans son hallucinant ensemble avec l'horizon grandiose de l'ouest américain en arrière plan.
C'est selon moi l'une des plus grande finale de l'histoire du cinéma.

J'avais 9 ans quand j'ai vu ce film. C'était donc en 1972 et Richard Nixon était au pouvoir aux États-Unis. À partir de ce moment, ma conception du cinéma et de la musique (merci, ô merci monsieur Ennio Morricone pour m'avoir donné toutes ces musiques que j'écoutais sur de vieux vinyles pour m'évader de la réalité de merde) furent changés à tout jamais.

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J'écris dans la cuisine. Benny Goodman et son Big Band (ne pas confondre avec Big Bang) jouent dans mon lecteur Windows Media Players. Je termine doucement et avec précaution un sympathique Valpolicella Classico Superiore de la maison Zenato. Demain, c'est le 5 février. Dans 2 jours, ce sera la fête de ma fille qui aura 20 ans. Soit un an de plus que sa maman quand nous nous sommes rencontrés. Je pourrai lui chanter la chanson de Moustaki...

Votre fille a vingt ans, que le temps passe vite
Madame, hier encore elle était si petite
Et ses premiers tourments sont vos premières rides
Madame, et vos premiers soucis
Chacun de ses vingt ans pour vous a compté double
Vous connaissiez déjà tout ce qu'elle découvre
Vous avez oublié les choses qui la troublent
Madame, et vous troublaient aussi
On la trouvait jolie et voici qu'elle est belle
Pour un individu presque aussi jeune qu'elle
Un garçon qui ressemble à celui pour lequel
Madame, vous aviez embelli
Ils se font un jardin d'un coin de mauvaise herbe
Nouant la fleur de l'âge en un bouquet superbe
Il y a bien longtemps qu'on vous a mise en gerbes
Madame, le printemps vous oublie
Chaque nuit qui vous semble à chaque nuit semblable
Pendant que vous rêvez vos rêves raisonnables
De plaisir et d'amour ils se rendent coupables
Madame, au creux du même lit
Mais coupables jamais n'ont eu tant d'innocence
Aussi peu de regrets et tant d'insouciance
Qu'ils ne demandent même pas votre indulgence
Madame, pour leurs tendres délits
Jusqu'au jour où peut-être à la première larme
A la première peine d'amour et de femme
Il ne tiendra qu'à vous de sourire madame
Madame, pour qu'elle vous sourie...
C'est pas vrai tout ça, Moustaki a voulu forcer la note pour l'aspect émotionnelle de sa chanson. Le printemps n'a pas oublié la maman de ma fille. Je l'ai vue cette semaine et nous avons pris un café ensemble. Du printemps, il y en avait plein ses yeux et ses sourires. Elle était aussi belle qu'il y a 20 ans. Finalement, Moustaki, c'est une merde.

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