dimanche 1 novembre 2015

Vivre sur le fil

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Nous n’avons pas grand chose en commun et surtout pas l’âge puisqu’elle est plus jeune que ma fille. On travaille ensemble et c’est à peu près tout. Elle voudrait faire de la peinture. Je veux dire qu’elle voudrait devenir peintre même si sa spécialité est la traduction. En fait, je la soupçonne d’être un peu obligée de faire traductrice alors qu’en réalité, elle n’arrive pas à passer de l’autre côté de ce qu’elle devrait être. Elle peint timidement alors qu’elle devrait peindre sans retenue. Elle peint après son travail alors qu’elle devrait travailler uniquement après sa peinture, pour payer sa peinture justement. Elle ne le sait pas encore, mais elle appartient à l’autre monde, celui des crève-la-faim et des marginaux, des artistes. Mais elle se retient. Elle ne se lance pas. Ou alors à temps partiel.
Je comprends. Je comprends trop bien.
Ça fait peur. Mais elle ne sait pas que la peur va augmenter avec les années. Et ce sera pire quand elle aura des enfants.
Le commun des mortels ignore à quel point ça fait peur de se lancer et de balancer tous les dogmes de la société pour aller vivre sur un fil perché au-dessus d’un vide. T’as pas idée de la douleur que ça te fait chaque matin quand tu vas travailler en sachant tout au fond de toi que ce monde là n’est pas le tiens, mais que tu y va quand même parce que c’est comme que tes parents t’ont dit de faire depuis que t’es haut comme ça. T’as pas idée de la douleur que ça fait au fond de toi. Tu te sent sale. Tu sent pute. Tu te sent lâche. Aller travailler pour un salaire, avec un boss et des machins que t’en as rien à chier, c’est comme avaler ton vomi. J’avale mon vomi depuis 32 ans, chaque matin.
Je n’appartiens pas à ce monde là mais ma lâcheté m’y a forcé.
Elle non plus n’y appartient pas. Mais je la vois et je me reconnais. J’aurais envie de lui dire de résister, de s'accrocher à son pinceau, lui dire qu'il y a la vie, et il y a ce que la société te dit de faire de ta vie.
N’écoute pas la société mon amie. Écoute ta vie. Écoute ton envie. Dans 5 ans, quand t’en auras 30, ce sera trop tard.
Elle m’apprécie parce que je suis dans son monde un peu conservateur ce qui pourrait ressembler le plus à un bohême. Et en plus je suis plus vieux que son papa. Elle me voit sans doute comme une bébite attachante et non identifiable. J’ai des amis bohêmes en veux-tu en voilà. Ils ont 30, 40, 50 ou 60 ans et se câlissent tous de la société. Ça l’épate je crois. Elle croit que je suis artiste alors que je ne suis qu’un lâche qui n’a pas tout à fait abdiquer.
Elle m’aime bien.
Et je la vois hésiter comme j’hésitais à son âge.
Fuck.
Fuck ! Fuck ! Fuck !
Ça te dirait qu’on se fasse une expo ensemble mon amie ? On va se faire ça tous les deux. Prends ma main, je vais au moins faire ça pour toi.

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