Il
était en train de faire cuir ses patates en papillotes sur le BBQ quand son
Skype se mit à gueuler.
Boo ti doudoodoo…. Boo ti doudoodoo… boo ti
doudoodoo…
Ça
venait de Toulouse, une ville qui se trouve de l’autre côté de l’océan et qui
sépare les Réjean d’elle. C’était elle justement. Quand il appuya sur l’onglet où
figurait la caméra, et malgré l’océan et le décalage horaire, il la vit
apparaître comme dans un rêve. Il trouva ça fantastique, lui qui était né du temps des télés en noir et
blanc et de leurs roulettes incrustées pour changer les postes. Ouais, ouais,
avec une roulette, c’est ainsi que ça fonctionnait dans le temps. T’en avais
partout. Sur le téléphone, sur la radio, sur le thermostat. L’humanité passa
par l’âge des roulettes avant le numérique.
Il
était 20h pour lui, donc il était 2h du matin pour elle. Que voulait-elle si
tard ?
Ça
n’allait pas. Elle souffrait d’insomnie et comme elle avait vu que son avatar
Skype était en vert, elle avait décidé de lui lancer un petit coucou. Malgré les
pixels, c’était tout de même la première fois qu’ils se revoyaient depuis son
passage au Québec. Il en oublia ses patates en papillotes et se concentra sur
la symphonie de son accent. Elle avait des petits yeux fatigués, les pointes de
ses oreilles perçaient comme des soleils de l’aube sous sa chevelure foncée et
il trouva ça immensément érotique, mais se garda de lui dire. Il n’avait jamais
avoué à personne qu’il craquait souvent pour les oreilles de filles perçant
sous leur chevelure. Même pas à sa psy.
Elle
était dans sa chambre qu’il n’avait jamais vu puisqu’il n’avait jamais mis les
pieds à Toulouse. Mais derrière elle, il vit un joli bordel organisé. Cela lui
plut parce que ça confirmait dans son petit cœur de grand con qu’elle était un
peu comme lui, mais en mieux organisée et sans doute avec un peu moins de
poussière sous son lit. Et puis des livres. Beaucoup de livres.
Cela
le ramenait loin dans le temps, du temps des ces automnes de pluie ou de neige
mouillée de ses 20 ans, du temps de ces chambres à coucher cégépiennes qu’il
découvrait réellement qu’au petit matin, aux premières lueurs du jour après une
nuit passée à boire et à parler de révolution, et puis à boire encore et à
parler de n’importe quoi en oubliant les révolutions qui, de toute façon,
n’existaient plus quand la révolutionnaire du moment rendait les armes sous les
assauts répétés de ses bisous éthyliques. Au temps de son CEGEP, ses dimanches
matins avaient d’autres odeurs que celles de son enfance. Te souviens-tu, ami
narrateur, de ce dimanche matin très tôt et de la lumière que faisait le soleil
en perçant le store jaune d’IKEA de cette fille dont tu ne connaissais même pas
encore le prénom ? Du matelas futon de sa chambre, couché sur le dos
et ouvrant les yeux, tu la voyais dans sa cuisine, complètement nue, préparer
le café. D’ailleurs, l’odeur de son expresso embaumait son logement et c’est un
peu ça, plus que la lumière du soleil, qui t’avais réveillé. Elle aussi avait
une chambre remplie de livres. Souviens toi, à ce moment précis, tu t’étais dit
que la vie était belle.
C’était
quoi déjà son nom ? Et justement, pourquoi oubliait-il toujours les noms
des filles de ses 20 ans ? Parce qu’elles étaient de passage ? Que
les présentations se faisaient pour la forme, juste avant leur
disparition ? L’inverse était sans doute aussi vrai. Nombre de ces filles
ne se souvenaient sans doute plus de son propre prénom. Ce qui n’est que
justice après tout.
Il
était devant des pixels et leurs virtuels rapprochements. Une chambre à coucher
qui devait sentir le tabac, mais pas trop parce qu’elle se forçait à fumer
dehors. De toute manière, c’était une estimation personnelle et invérifiable vu
que son laptop de 2015 ne lui renvoyait pas encore les parfums et les odeurs.
Cela viendra d’ici quelques années se dit-il, mais ça ne se fera pas avec une
roulette intégrée. Il en était sûr.
Elle
rencontrait son directeur de thèse le lendemain, un machin qu’elle écrivait
depuis deux ans et qui parlait du marbre des Pyrénées. Cela lui avait d’ailleurs
valu des conversations surréalistes, mais tellement intéressantes, qu’elles se
déroulassent (si, si ! déroulassent !) sur le balcon du chalet ou
celui de Montréal. Jamais n’avait-il pensé un jour être aussi passionné
d’entendre parler du marbre des Pyrénées. Au reste, lui aurait-elle parlé du
bottin de téléphone qu’il aurait trouvé ça tout aussi passionnant. Finalement, il
comprit que ce n’était pas autant le sujet que le communiquant qui titillait
ses neurones (et sans doute le reste aussi).
Elle
stressait. Ne trouvait pas le sommeil, s’alluma un pétard justement pour
trouver le sommeil.
-
Tu fumes
encore ? Je croyais que t’avais arrêté.
-
Ben
ouais, j’ai arrêté. Il ne faut pas croire tout ce que tu vois sur Internet.
Elle
avait un humour bien à elle qu’il adorait. Après une quinzaine de minutes de
discussion, elle se leva de son bureau et, avec son lap top dans les mains,
alla s’allonger dans son lit. Sans aucune pudeur parce que c’était lui de
l’autre côté de l’écran, elle portait une camisole blanche un peu trop grande
pour elle et qui, lorsqu’elle se glissa sous les draps, laissa voir le paradis
par son échancrure. Il vit tout et lévita.
Nous
répéterons trois fois parce que nous aimons cette phrase.
Il vit tout et
lévita.
Il vit tout et
lévita.
Il vit tout et
lévita.
Elle
déposa son laptop à côté d’elle et continua à lui parler comme si de rien
n’était. Lui, de l’autre côté de l’océan, loin loin loin loin loin loin loin
loin d’elle, sans roulette ni rien, ne pouvant même pas caresser les pixels de
son écran, se liquéfiait avec une seconde de délai à cause de cette
transatlantique réalité qui figeait par moments à cause de la mauvaise
connexion de son câblodistributeur. Elle était dans son lit, lui parlait, riait
de ses conneries, et lui, nom de Dieu, avait l’impression d’être à côté d’elle.
Malgré les 5.723,55 km de distance (http://fr.distance.to/Montreal/Toulouse),
ils partageaient le même lit dans la plus surréaliste discussion sur l’oreiller
qu’il avait connu.
Il
aimait Skype, même quand Skype lui faisait brûler ses patates en papillotes.
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